"La toxicité des vêtements sera le prochain grand scandale sanitaire" : pourquoi nos habits peuvent nuire à notre san...


Dans le cadre de sa campagne annuelle, l’ONG Fashion Revolution France commémore cette année le dixième anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza, bâtiment qui abritait plusieurs ateliers de confection à Dacca au Bangladesh. Mais cette semaine sera également l’occasion de mettre en lumière les avancées et les actions réalisées pour tendre vers une mode plus éthique et responsable. Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France, revient sur les nombreux enjeux auxquels est confrontée l’industrie textile. Interview.

Cette Fashion Revolution Week est marquée par le dixième anniversaire de la tragédie du Rana Plaza. Est-ce que ce drame qui a fait plus de mille morts a réellement servi de détonateur dans l’industrie de la mode ?

L’effondrement du Rana Plaza, qui est à l’origine de 1.138 morts et 2.500 blessés, a effectivement servi de détonateur car cela a été un choc mondial. Cela a pris du temps, bien sûr, mais il y a eu énormément d’articles sur le sujet et le grand public s’est rendu compte de l’enfer des travailleurs qui fabriquent nos vêtements. Au niveau des lois, il y a eu ‘The Accord on Fire and Building Safety in Bangladesh’, signé par les marques et fabricants, qui garantit la sécurité contre les incendies et l’effondrement des bâtiments, et a été reconduit en 2018. Cela permet de lutter contre la précarité de certains bâtiments qui sont construits à la va-vite, mais malheureusement toutes les marques ne signent pas ces accords. On se rend finalement compte que les choses évoluent lentement quand il n’y a aucune contrainte, et que tout dépend de la seule volonté des acteurs de la mode.

Est-ce la seule réglementation imposée depuis ce drame ?

En France, il y a eu la loi relative au devoir de vigilance en 2017, qui découle elle aussi de cette catastrophe, pour contraindre les donneurs d’ordre à s’assurer de la sécurité dans les usines. Le problème avec la fabrication des vêtements, c’est l’opacité. On peut assurer la sécurité des travailleurs du textile à condition d’avoir une totale transparence sur l’ensemble de la chaine de production. Malheureusement, il arrive souvent que les usines fassent appel à la sous-traitance; ce qui engendre une moindre visibilité. Il y a aujourd’hui une prise de conscience de la part du consommateur, mais il reste beaucoup de chemin à faire en matière de sécurité et de conditions de travail dans l’industrie textile.

Le made in France est-il la solution à ces problématiques ?

Au final, nous avons beaucoup de choses dans nos armoires, et l’une des solutions est de faire un tri pour se rendre compte que nous n’avons pas besoin de grand-chose de plus, si ce n’est de renouveler une ou deux pièces de temps à autre. Cela éviterait le gaspillage qui aboutit à des décharges à ciel ouvert sur les plages du Kenya ou du Ghana.

Malgré ses efforts, le modèle de la fast fashion est constamment pointé du doigt pour son impact sur la planète, et les conditions dans lesquelles sont produits les vêtements. Mais est-ce l’unique responsable ?

comme l’a montré le rapport remis par Audrey Millet à la Commission européenne en février dernier. Et tout cela est lié à cette boulimie vestimentaire, à cette injonction qui incite à croire qu’il faut consommer pour être heureux, et nuit à l’environnement, à la santé, et à ceux qui fabriquent les vêtements.

Comment expliquer que la loi REACH ne soit pas plus contraignante ?

Cette réglementation est justement en révision avec pour objectif l’intégration d’autres produits chimiques qui ne sont pour l’instant pas décrits dans la loi, et pour aller voir ce qu’il se passe dans les usines. La question de l’importation est aussi centrale, car on retrouve sur le marché français des produits qui ont passé la frontière alors qu’ils contiennent des substances toxiques censées être interdites par le règlement européen. Et cela concerne là encore tous les segments, du luxe jusqu’à la fast fashion.

Il y a ce fameux paradoxe : une prise de conscience des consommateurs qui se tournent pourtant toujours en masse vers la fast fashion. Détiennent-ils finalement la clé pour contraindre les marques à changer ?

Il est évident que ce sont les consommateurs qui inciteront les marques à changer, mais tant qu’ils surconsomment les choses n’évolueront pas – ou peu. Les consommateurs ont envie d’acheter bien et mieux, mais il y a trop de choses sur le marché, et c’est pour cela qu’il faut aussi réguler l’industrie.

Le contexte inflationniste, et la hausse des prix de l’énergie, peuvent-ils constituer de nouveaux freins pour tendre vers une mode éthique et responsable ?

L’inflation amplifie bien évidemment le problème, mais il faut aussi s’intéresser à la longévité des vêtements. Il est plus intéressant économiquement d’investir dans un jean que l’on va garder longtemps, plutôt que dans trois jeans qu’il faudra remplacer au bout d’une année, voire moins. Il faut faire de la pédagogie, et expliquer aux gens qu’on n’est pas plus heureux quand on a 50 jeans dans son placard. Et c’est pareil pour tous nos vêtements. On ne porte qu’un tiers de notre garde-robe, alors pourquoi acheter autant ? Je peux tout à fait comprendre qu’on n’ait pas toujours les moyens d’acheter éthique et responsable, mais dans ce cas mieux vaut aller dans une boutique de seconde main et rechercher une pièce de qualité que l’on paiera moins cher.

Il y a eu un boom des initiatives durables et éthiques post-pandémie, mais ces avancées semblent aujourd’hui stagner. Comment expliquer que les choses n’avancent pas plus vite ?

Je dirais quand même que ça avance un peu, que des choses se mettent en place. La Commission européenne va signer la loi relative au devoir de vigilance élargie à l’Europe dans le courant du mois, et il y a également la mise en œuvre de l’affichage environnemental… Ce sont malgré tout de petites avancées, même s’il est évident que cela ne suffit pas.

Quels seront les moments forts de la nouvelle campagne annuelle de Fashion Revolution ?

C’est très important, car nous ne sommes pour l’instant qu’à 15% de l’objectif. Il faut vraiment qu’il y ait une prise de conscience quant à la misère des ouvriers de l’industrie textile.