Alors que le gouvernement parle de « revitalisation » des territoires ruraux, plusieurs sénateurs déplorent la loi qui restreint l’ouverture des pharmacies. En effet, elle prévoit que pour ouvrir une officine de pharmacie, il faut que celle-ci se situe dans une commune d’au moins 2 500 habitants. Une officine en plus, est autorisée pour chaque tranche de 4 500 habitants supplémentaires.
Cécile Cukierman (PC) appelle à « revenir sur ces décisions qui visent à concentrer les pharmacies », et qui fragilisent les territoires ruraux. Dans son département de la Loire, une manifestation s’est tenue hier à Crémeaux pour demander la réouverture de la pharmacie. Village d’un peu plus de 900 habitants, la pharmacie est fermée depuis janvier 2021.
Un peu moins d’un millier de manifestants étaient présents, selon la sénatrice. Au-delà du soutien populaire, ce qui l’a beaucoup marqué est la présence en nombre d’élus. La question des fermetures de pharmacies en territoire rural touche de plus en plus de communes en France.
« La situation de Crémeaux n’est pas unique » A la manifestation de Crémeaux étaient présents les maires des communes voisines, mais aussi des élus de tout le département. Pour Cécile Cukierman (PC), « c’est une question qui touche ». Il y a « une prise de conscience pour les communes de moins de 2 500 habitants ».
Sur les 323 communes de la Loire, 270 ont moins de 2 500 habitants ! Les exemples de communes qui se battent pour l’ouverture d’une pharmacie sont nombreux. Le sénateur Cédric Vial (LR) y est confronté en permanence dans son département de Savoie. Au-delà des pharmacies, c’est le dynamisme des zones rurales qui est remis en cause.
Un article récent du code du tourisme dispose que les communes devaient abriter une pharmacie pour avoir le statut de « station de tourisme ». Mais des petites communes n’en possédaient pas, et ayant moins de 2 500 habitants, ne pouvaient en ouvrir. Elles risquaient de perdre leur classification.
C’est le cas des Baux-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ou de plusieurs stations de ski savoyardes. Cédric Vial s’est battu auprès du gouvernement pour revenir aux statuts originaux, qui demandent une pharmacie à moins de 20 kilomètres des communes « touristiques ». Les conditions pour être classé en « station de tourisme » ont été réécrites la semaine dernière.
Ainsi, ces communes peuvent garder leur étiquette touristique et sortir de l’impasse pharmaceutique.Le conditionnement de l’ouverture des pharmacies présente un « double souci », pour Cécile Cukierman. Même si une commune trouve un pharmacien, il ne sera pas possible d’ouvrir de pharmacie.
Pour Bernard Delcros (UC), il n’y a pas de difficulté pour trouver des pharmaciens mais le problème réside dans la structure. « La règle d’aujourd’hui n’est pas du tout adaptée aux territoires ruraux », explique-t-il. La loi impose un « critère du nombre d’habitants » déconnecté du terrain.
Sénateur du Cantal, il prend pour exemple le village de Vézac. Depuis 2017, il interroge les différents gouvernements sur l’impasse dans laquelle se trouve ce village. Malgré une population de 516 habitants en 2020 selon l’INSEE, Vézac connaît une importante offre de santé.
Vézac a une « belle offre de développement ». Mais la mairie se retrouve interdite d’installer une pharmacie, qui bénéficierait aussi aux communes voisines. Depuis six ans, Bernard Delcros et Vézac se battent pour leur pharmacien, en vain.
« Le principe est totalement idiot » pour Cédric VialMais que préconisent les sénateurs pour répondre « à ce principe totalement idiot » ? Cécile Cukierman ne veut pas « aller à une déréglementation, mais apporter de la souplesse ». Ils ne comprennent pas les motivations de la loi, qui pénalise les territoires qui ont besoin de pharmaciens. De plus, ces territoires présentent « toutes les garanties » pour un commerce viable selon Bernard Delcros.
Il appelle à laisser faire le marché. « On ne peut pas inciter les collectivités locales à se réunir et laisser faire le retrait des pharmaciens » juge Cécile Cukierman. Il est « compliqué de revitaliser les territoires sans pharmacies ».
Elles s’inscrivent dans un parcours de soin et supprimer les pharmacies c’est « le début de la fin » des soins dans les zones rurales. Et cela « n’ira pas en s’arrangeant » poursuit-elle.Les sénateurs appellent à « revenir au plus vite sur ces décisions qui visent à concentrer les pharmacies ».
En les regroupant dans d’importantes zones urbaines et réduisant leur dispersion, les pharmacies se retrouvent loin de la population. Elles remplissent toutes un « rôle de suivi », rappelle Cécile Cukierman. « L’essentiel du chiffre d’affaires d’une pharmacie, ce sont des maladies chroniques » confirme Cédric Vial.
Il poursuit en expliquant que la patientèle est « majoritairement une population de plus de 60 ans ». Il avance le chiffre de 70% des clients qui font partie de cette classe d’âge. Il ne comprend donc pas pourquoi imposer des dizaines de kilomètres de trajet à une population âgée, et ça régulièrement.
Les départements de la Loire ou de la Savoie, comme tous les territoires de montagnes ou très ruraux, sont encore plus impactés en raison des conditions météorologiques. Par exemple en hiver, les temps de trajets peuvent exploser en raison des chutes de neige.« La balle est dans le camp du gouvernement »Les élus se retrouvent impuissants.
Depuis qu’il alerte sur le sujet en 2017, Bernard Delcros reçoit beaucoup de réponses, mais aucune ne débouche sur une mesure concrète. Il explique qu’en 2018 des mesures d’assouplissements sont annoncées. Mais le décret d’application n’est toujours pas paru.
Depuis 2018, la réponse du gouvernement est identique pour tous les sénateurs qui l’ont interrogé : « Le décret d’application va paraître ». Ce que veulent les sénateurs est de « déverrouiller le nombre d’habitants », « d’assouplir les critères » et prendre comme critères « les bassins de vie » et non plus les communes.En janvier 2018, avant l’annonce des mesures d’assouplissement, la loi est durcie.
Jusqu’alors, les communes pouvaient obtenir une dérogation de la part du préfet. Mais depuis, le préfet n’a plus ce pouvoir et « l’ARS [agence régionale de santé] applique strictement la loi » détaille Cécile Cukierman. « Il faut tous se mettre autour de la table : professionnels, élus, ARS et locaux » appelle la sénatrice de la Loire.
« Dans 10 ans, ce sera compliqué de rouvrir les pharmacies » pour corriger la situation. Cédric Vial a proposé une loi en juillet 2022, visant à « faciliter l’accès par la population en zone rurale aux officines de pharmacie ». La proposition de loi n’a pas abouti.
Antoine Vermorel (LR), député de la Loire et plus précisément de Crémeaux, a pris contact avec Cédric Vial pour mutualiser leurs forces dans ce combat et peut-être « donner naissance à un texte en automne ». Bernard Delcros appelle tout simplement à « regarder l’intérêt général des territoires » et « répondre au besoin des usagers en matière de service ».