La tête encore dans les nuages, les pieds dans le sable, la Formule 1 va bientôt devoir se résigner à revenir aux affaires avec le retour de la discipline attendu le week-end prochain aux Pays-Bas. Pour Alpine-Renault, cette rentrée résonne comme un tournant après l’incroyable Grand-Prix de Belgique, où l’équipe a centralisé l’attention, tant par ses annonces que son show sur la piste. L’heure de la remobilisation a sonné, dans un contexte où les commentaires et les questions fusent.
Ce n’est certainement pas une surprise mais les récentes annonces d’Alpine-Renault ont suscité bien des réactions, et soulevé des rumeurs plus ou moins folles. Autant le dire tout de suite, la présence de Renault en Formule 1 n’est aucunement menacée. Une certaine presse faisait part de son doute, quand d’autres évoquaient une vente à Andretti, probablement sous couvert d’un lobbying des acteurs – nombreux – peu favorables à l’idée de voir une onzième écurie se joindre à la fête.
Dans ses colonnes, le très sérieux AutoHebdo questionnait sur la légitimité de ces rumeurs. En effet, pourquoi effectuer un tel remaniement si l’intention était de vendre ? Pourquoi se séparer entièrement d’une structure dont la valeur ne cesse de s’envoler – Alpine n’a-t-elle pas déjà vendu 24% de ses actions pour 200M€, portant sa cotation à plus de 800M€ ? ! Une cession d’ailleurs courante en Formule 1 pour se donner du cash et amortir les investissements. Enfin, ajoutons un rappel purement marketing : la Formule 1 est la pierre angulaire de la stratégie d’Alpine pour accroître sa notoriété à travers le monde.
Non content de rappeler régulièrement cette tactique, n’était-ce pas en outre Luca de Meo qui affirmait en mars dernier ne pas vouloir » être le PDG qui va mettre un terme à plus de 40 ans de Formule 1 pour Renault, [la Formule 1 faisant] partie de notre ADN » ? Sa présence régulière dans le paddock et dans la presse confirme son goût prononcé pour ce projet. En prenant des décisions aussi fortes, l’homme fort du Groupe réaffirme simplement ses ambitions, et son aspiration à voir Alpine monter en puissance rapidement. Les cas Aston Martin et McLaren ont fait des émules. »
Il y a quelques semaines, le top management a décidé de passer à la phase deux du projet de marque avec quelques changements « , explique Bruno Famin, l’homme fort du sport automobile chez Alpine. » Pas pour changer de regard, mais pour conforter le projet et aller plus vite dans le déploiement de la marque. Et puis c’était logique du côté de la Formule 1 où à mi-saison il est clair que nous ne sommes pas là où nous nous attendions à être.
« Alpine-Renault a suscité de vives critiques outre-manche, certains jugeant qu’Otmar Szafnauer n’avait pas eu le temps de déployer sa stratégie, quand d’autres estiment que mettre un terme à la collaboration avec Alan Permane était irrespectueux de par son ancienneté. Chacun se fera son opinion mais certains faits sont cependant sans commentaires.Sous la responsabilité du premier cité, Alpine a tout de même subi un camouflet majeur avec l’histoire des contrats d’Oscar Piastri et la non-reconduction de Fernando Alonso – manœuvres peu heureuses dont Laurent Rossi a certainement aussi des blâmes à recevoir.
L’A523 n’a pas progressé autant que prévu et l’exécution en course reste précaire. Pour le second cité, difficile à notre niveau de juger, mais certaines sources évoquent un pouvoir grandissant et surtout une forte aptitude à bloquer le changement.
Forcément, les langues se sont déliées suite à ces évictions.
Si Alan Permane est resté muet, Otmar Szafnauer a critiqué la Direction du Groupe Renault, Luca de Meo en tête. Trop présent et pressant à son goût. L’ex-dirigeant du programme souhaitait proposer un planning plus étendu là où notre CEO souhaitait accélérer les choses.
Comment peut-on penser le contraire et encore accepter d’attendre ?Faut-il rappeler que le projet est lancé depuis 2016, et que Renault n’a signé qu’une victoire, et une faible poignée de podiums ! Son meilleur résultat en championnat est quatrième. À son lancement, Cyril Abiteboul promettait de construire une équipe en ligne avec la réglementation 2021 (devenue 2022), avec le titre en objectif pour cette année-là. Puis Luca de Meo est arrivé en 2020 et a insufflé une nouvelle dynamique via Alpine, mais de nouveau avec un plan à 100 courses (5 ans).
C’était le constat de l’échec de la première tentative.Seulement voilà, cette seconde itération bleue végète comme ce fut le cas sous la bannière jaune. À côté, en une saison, McLaren est capable d’être en fond de grille puis de jouer la gagne.
En une intersaison, Aston Martin passe d’une pénible Q1 à l’équipe capable de pousser Red Bull dans ses retranchements. Face à ce constat, comment expliquer à un Luca de Meo bien alerte sur la Formule 1 la nécessité d’un délai additionnel pour monter en puissance ?Il est vrai que parmi le discours affiché par les personnes évincées, il ressort deux éléments : un manque de budget et une forte ingérence de la Direction du Groupe Renault. Deux points qui, historiquement, ont toujours été pointés du doigt.
D’ailleurs, il était souvent mentionné que le Losange gagnait malgré de faibles budgets, preuve d’un savoir-faire et d’une optimisation sans faille. Cependant, à l’heure du tout hybride, cela ne passe plus et depuis 2014, notre marque subit la concurrence. » Chaque année, les ambitions étaient de plus en plus grandes et chaque année, malheureusement, les ressources mises en œuvre n’étaient pas….
disons pas à la hauteur de ces ambitions « , explique Marcin Budkowski, un ancien cadre du projet. » Mais ce sont des choses que les membres du conseil d’administration de Renault n’ont pas toujours voulu entendre. «
» Et lorsque des personnes comme moi ou Otmar disent qu’avec ces seuls moyens et cette approche, il sera difficile d’y parvenir (à gagner) aussi rapidement, les gens du conseil d’administration ne veulent tout simplement pas l’entendre.
Il faut aussi dire que les résultats d’Aston Martin ou de McLaren cette année ont montré qu’il était possible d’accélérer le processus, même si l’on peut voir qu’Aston Martin est en train de reculer un peu et que McLaren a eu des avantages et des inconvénients, même si ce n’est pas un processus linéaire « , ajoute-t-il. » Derrière les grands succès de ces 30 dernières années, vous trouverez une structure simple, détachée d’un organigramme industriel, construite autour de trois ou quatre personnalités fortes, couplée à un pilote champion « , rappelle de son côté le très respecté Alain Prost, pour le compte de L’Equipe. » Ces écuries avaient aussi un président fort et complètement impliqué dans la F1 : Luca di Montezemolo, Dieter Zetsche et Dietrich Mateschitz.
Quand Renault a connu le succès, il y avait un homme, Flavio Briatore, et un pilote de légende, Fernando Alonso, soutenu par un management de spécialistes (Patrick Faure, Louis Schweitzer. Ndlr) prenant des décisions rapides. « » Durant mes années chez Renault, combien de fois ai-je entendu dans les couloirs du siège à Boulogne-Billancourt, que la F1 était un sport simple qui pouvait être dirigé de la maison par des hommes en place.
Grossière erreur comme le prouve le dernier des dirigeants Laurent Rossi, dont Luca de Meo s’est séparé « , ajoute-t-il.Avec Luca de Meo, Renault a retrouvé l’un de ses hommes forts, mais a certainement besoin d’un autre au sein de l’écurie. Otmar Szafnauer n’a finalement pas tenu ce rôle.
Les rumeurs, de plus en plus insistantes, évoquent l’arrivée de Mattia Binotto, l’ancien cadre de Ferrari en Formule 1, aujourd’hui libre. Il pourrait rejoindre Alpine avec une série d’ingénieurs, notamment côté moteur.
Le Losange serait prêt à ouvrir le carnet de chèques pour convaincre et se donner les moyens de gagner.
D’ailleurs, signe de cette volonté, Alpine se dote actuellement d’un nouveau simulateur, en plus d’investir dans de nombreux autres domaines et de faire du lobbying pour augmenter l’enveloppe budgétaire autorisée pour développer les infrastructures – aujourd’hui limitée par la réglementation -. » Le simulateur dont nous disposons actuellement est un modèle assez ancien « , explique Matt Harman, Directeur technique d’Alpine. » Il est très performant et les personnes qui l’utilisent font un excellent travail pour en tirer le meilleur parti, mais il a quelques années de retard en termes de résolution, de mobilité et de capacité à donner confiance au pilote dans tous les aspects.
« » Nous avons donc décidé d’investir massivement. Nous tenons beaucoup à ce qu’il soit déployé et en place, prêt à informer fondamentalement la conception de la voiture de 2026. Il viendra s’ajouter à notre simulateur actuel, de sorte que nous conserverons l’unité actuelle afin de pouvoir établir des corrélations « , précise-t-il. »
Nous sommes une équipe d’usine, nous devons donc tout reprendre à zéro, y compris la transmission, l’hydraulique et tout le reste, c’est pourquoi nous envisageons d’investir fortement dans un nouveau système de test pour cela. Nous en possédons déjà un que nous utilisons actuellement, mais il ne couvre pas les exigences [de 2026]. Nous avons donc besoin d’un tout nouveau système « , ajoute Matt Harman.
Côté piste, que faut-il attendre d’ici à la fin de la saison ? Alpine-Renault aspire toujours à devenir la quatrième force du championnat, à défaut d’obtenir cette position au classement des constructeurs. Des évolutions vont être apportées en ce sens, pour accompagner celles déjà installées au cours de l’été, et dont les résultats ont apporté une certaine satisfaction. À cela s’ajoute forcément le besoin de remotiver les troupes derrière un projet quelque peu chahuté. »
Nous ne pouvons pas apporter des améliorations majeures à chaque course « , confesse Matt Harman. » Au début de la saison, nous avons lancé un grand nombre de nouvelles pièces. Nos concurrents étaient plus avancés.
Nous avons donc pris une petite pause. Notre troisième phase de développement a commencé avec l’aileron avant. Elle s’est poursuivie à Spa avec un nouveau plancher.
Nous espérons que cela aura bientôt un impact sur les résultats. Nous n’avons pas changé nos objectifs. Nous voulons être la quatrième meilleure équipe et je ne vois pas pourquoi nous n’y parviendrions pas d’ici la fin de la saison, [et] vous verrez des améliorations même après la pause estivale.
« » Quand nous avons apporté de bonnes mises à jour à la voiture, nous nous battions près du top cinq « , ajoute de son côté Esteban Ocon. » C’est très encourageant de voir qu’à chaque fois que nous apportons une évolution, la voiture semble faire un pas en avant. Cela a toujours été un de nos points forts.
Les évolutions ont juste besoin d’arriver plus régulièrement, et je pense que ça ira. Cela n’est tout simplement pas allé dans notre sens récemment, d’autres équipes se sont améliorées plus que nous. McLaren a donné un exemple.
Je ne dis pas que nous pourrons le suivre mais cela montre à quel point c’est serré et à quel point apporter quelque chose sur une ou deux courses peut changer les choses. «
Le vrai test pour Alpine-Renault sera certainement la saison prochaine. Il sera difficile d’accepter un nouvel échec avec le projet 2024.
Dès lors, beaucoup d’efforts sont fournis pour mener à bien le développement de celle qui portera le nom d’A524. » Nous avons commencé à travailler sur la nouvelle voiture dès la semaine 40 de l’année dernière, avant que la voiture 2023 ne dispute sa première course « , confirme Matt Harman. » C’est une pratique courante dans notre secteur d’activité aujourd’hui.
Le processus de conception de la A524 bat déjà son plein. Après la pause estivale, nous nous réunirons et déciderons quand allouer l’essentiel de nos ressources pour l’année à venir. « Alpine-Renault affiche en tout cas une pleine confiance en son organisation réactualisée, et communiquera en temps voulu l’identité de celui qui pourrait remplacer Otmar Szafnauer.
L’enjeu aujourd’hui est d’éviter la fuite des cerveaux et instaurer une confiance dans le projet. Le A fléché se restructure à sa tête pour accompagner ses ambitions de victoire. » Il faut du temps pour mettre en place l’organisation et habituer les gens à fonctionner différemment et à avoir une culture de progression continue « , explique Matt Harman.
» C’est la mission que je me suis fixée ces cinq dernières années. J’aime à penser que vous verrez des indices de cette amélioration dans chaque domaine, que ce soit dans la façon dont nous procédons aux arrêts au stand ou dans la façon dont nous travaillons au niveau de l’ingénierie de base. « » Le travail numéro un est de parler au personnel, à tous les membres du personnel y compris à l’usine, de partager ce qui se passe, d’expliquer ce qui se passe et de s’assurer que tout le monde est à bord « , explique de son côté Bruno Famin.
» Nous avons besoin de toutes les énergies, nous avons besoin de tout le monde à bord. Bien sûr, pour tous les gars, c’est un peu difficile d’avoir toutes les informations. Je vais à Enstone pour partager cette information, l’explication, pour répondre aux questions, avec tout le personnel d’Enstone.
«
» Ce que je voudrais introduire, c’est l’amélioration constante de l’équipe « , poursuit-il. » Je fais entièrement confiance à Matt, il gère toute l’équipe technique, il n’y a donc aucune urgence à remplacer qui que ce soit du côté technique. Sur le plan sportif, je fais également entièrement confiance à Julian Rouse.
Je pense qu’il a de très bonnes idées. Je vais tout partager avec le personnel, c’est pourquoi je ne peux pas commenter maintenant ici. « » En ce qui concerne la fonction de Team Principal, pour le moment je vais l’assurer, je vais y réfléchir, et je déciderai.
Mais il n’y a pas d’urgence, nous pouvons gérer la situation de transition « , ajoute-t-il.Il faudra donc s’armer d’un peu de patience avant de connaître l’épilogue des négociations autour du possible nouveau Team Principal. Mattia Binotto semble tenir la corde mais en Formule 1, rien n’est jamais acquis d’avance.
D’ici là, Alpine-Renault doit redonner confiance, et installer un climat serein au sein de sa propre structure. Le potentiel humain et matériel est là, les projets d’amélioration sont ciblés et » en route « , reste à faire en sorte que la machine soit bien huilée pour fonctionner de façon optimale. Et ainsi de nouveau voir la vie… en rose !