Quand on demande à Alexandra, 31 ans, combien elle a d’enfants, elle répond qu’elle est « enceinte de son quatrième ». Pourtant, sur les récentes photos de famille, un visage manque à l’appel. Il y a deux ans et demi, Malik, le deuxième membre de la fratrie, est décédé, 48 heures après sa naissance, à cause d’un volvulus (malformation des intestins).
Pour elle et son conjoint, en couple depuis plusieurs années, faire le deuil de cet enfant est passé par l’envie de redonner la vie.
« Retomber enceinte était la façon la plus logique de poursuivre notre vie après Malik »
Ce n’est pas un remplacement. Ce n’est pas non plus une façon d’oublier.
Quand Alexandra apprend la disparition de son deuxième enfant il y a presque trois ans, la suite est déjà toute tracée. Sa famille nombreuse, ce n’est pas la mort qui la lui enlèvera. Son deuil, elle ne veut pas le faire dans la solitude.
Alors le jour même, le sujet d’une troisième grossesse est abordé. Le lendemain, la décision est prise : « retomber enceinte était la façon la plus logique de poursuivre notre vie après Malik ».À l’époque Alexandra est à mille lieues d’imaginer que son enfant va mourir.
La grossesse s’était déroulée à merveilles, aucun risque de malformations n’avait été détecté… Si bien que Malik a même eu le temps de sortir de la maternité. « Quand nous sommes arrivés à la maison, il s’est mis à vomir une couleur verdâtre », se rappelle la maman. Infirmière dans une maternité, elle sait que quelque chose ne tourne pas rond.
« Nous avons été envoyés dans un centre spécialisé, tout est allé très vite, puis nous avons appris que ses intestins étaient nécrosés à 90 % », détaille-t-elle, « ce n’était pas viable ». C’est donc à deux qu’Alexandra et son conjoint rentrent à la maison, déboussolés. Si leurs instants partagés avec cet enfant, ont été de courte durée, la trentenaire évoque l’importance de le compter parmi les membres de leur famille, de le nommer, de parler de lui.
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Enceinte à tout prix
Une épreuve que le couple décide de surmonter main dans la main. « Dès l’annonce du décès de Malik, il était évident que nous allions devoir communiquer et parler de nos émotions pour surmonter cette étape à deux », confie Alexandra. Ensemble, ils sont confrontés aux regards de la société.
« Certains collègues disaient que si je retombais enceinte, j’allais remplacer Malik par un autre enfant ». Des remarques qui ne laissent pas indemne, mais, pour Alexandra, donner la vie devient une nécessité. « Si je ne retombais pas enceinte, je stagnais dans ma douleur », confesse la trentenaire.
Quand le test est positif, c’est une explosion de bonheur. « Je suis retombée enceinte six mois après la mort de Malik, les six mois les plus difficiles de ma vie. » Une joie altérée par un sentiment de peur.
Dans sa famille, un autre enfant perd la vie quelques jours après la naissance. Se pose alors la question d’un problème génétique. « Cette période était très stressante, ce n’est qu’une fois tous les tests effectués que nous avons pu souffler.
» Très vite, ce n’est pas la grossesse qui angoisse Alexandra mais le post-partum, et l’idée de perdre à nouveau un enfant après sa naissance.
Faire « la part des choses »
Déjà maman d’un petit garçon, elle parle de ce nouveau bébé à son aîné. « C’était difficile pour Zack au début.
Nous lui avons expliqué qu’il allait une nouvelle fois être grand frère, mais quand il voyait mon ventre, il disait « bébé Malik ! « . » À quelques mois de grossesse, le couple apprend que ce troisième enfant sera une fille. « Ça a facilité les choses pour mon fils, mais aussi pour moi », affirme la jeune mère.
Une nouvelle qui lui permet de faire « la part des choses ». Alexandra décide de repeindre la chambre de Malik et s’attelle à racheter des vêtements, « ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si j’avais attendu un autre garçon ». Le choix du prénom est, lui aussi, abordé avec plus de légèreté.
Mais cette fois, hors de question d’en parler à l’entourage. « J’avais peur de dire son nom et qu’elle meure, elle aussi. »Pour la Québécoise, cette nouvelle grossesse est l’occasion de libérer la parole au sujet du deuil périnatal.
C’est à cette époque qu’elle décide de raconter son histoire sur les réseaux. Une manière « d’extérioriser » et de se rendre compte que des milliers de parents traversent la même épreuve. Une activité qu’elle considère comme une thérapie : « Les vidéos dans lesquelles je parlais de Malik permettaient de le garder en vie.
Si je ne les avais pas postées, j’aurais gardé beaucoup trop de douleur en moi. Mon contenu est devenu assez populaire et je me suis rendu compte que je vivais peut-être mieux le deuil que certains parents. » Sur son compte, elle normalise l’envie d’être enceinte après la perte d’un enfant.
« Si une grossesse est ce dont vous avez besoin en tant que couple, alors c’est la bonne solution. »Lire aussi >> Témoignage : après deux fausses-couches, la douleur de la grossesse extra-utérine
La peur de la naissance
Après neuf mois de questionnements, la petite Élie vient agrandir la famille. L’appréhension s’intensifie pour le couple, hanté par les derniers souvenirs de Malik.
Leur fille est hospitalisée à son tour, une semaine après sa naissance, pour une immaturité pulmonaire. Un cauchemar pour les parents, résignés à revivre les mêmes étapes que pour leur deuxième enfant : « La voir sur une table d’hôpital, partir en ambulance, entubée… C’est tout ce que je craignais », se rappelle Alexandra.Fort heureusement, la petite Élie ne connaîtra pas le même destin.
Et rentrera à la maison en bonne santé. Une maison où trône désormais les photos de trois enfants. « C’est important d’afficher le souvenir de Malik », insiste la trentenaire.
Une photo d’un petit garçon de deux jours à peine, pour que le sujet soit abordé le plus naturellement possible. « Les enfants comprennent bien plus que ce que l’on pense », estime Alexandra. Si Élie est encore jeune, Zack a dédié sa carte de Saint Valentin à son frère et accompagne ses parents, chaque 30 juillet, pour leur traditionnel lancer de lanterne à l’occasion de l’anniversaire de Malik.