Publié le 21 Sep 21 à 20 :12
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Milie* l’avait pressenti. Entre les moqueries répétées au collège, les messages et les commentaires d’insulte parfois, l’émergence du hashtag #Anti2010 et des « brigades anti 2010 » sur les réseaux sociaux, « nous les 6e, on va se faire défoncer », avait-elle confié d’emblée à sa mère cet été. Et les jours suivant l’arrivée au collège lui ont malheureusement donné raison. Partout en France, des témoignages se sont succédé pour dénoncer le harcèlement poussé dont sont victimes les nouveaux 6e. Ce qu’on leur reproche dans les faits ? Leur année de naissance, 2010. Autrement dit, leur jeune âge.
#rentreescolaire2021 Le taux de harcèlement cette année avec les 2010 au collège :
Ce phénomène, loin d’être cantonné à quelques établissements isolés, a fini par prendre une ampleur telle qu’il est remonté jusqu’aux oreilles du gouvernement. Tandis que, dans les collèges, certains parents ou professeurs, parfois dépassés par les événements, se sont emparés du problème.
« Il s’est fait frapper parce que c’est un 2010 »
« Avant la rentrée, c’était un peu pour rigoler qu’on nous charriait. Je trouvais ça même drôle tellement c’était bête », commence Milie, nouvellement collégienne à Thionville (Moselle). Mais, tous les jours, les railleries s’enchaînent, et désormais, Milie ne rit plus : « aujourd’hui, c’est devenu plus méchant, ce n’est pas normal. »
Ce sont plutôt les garçons qui se font embêter dans mon collège, parce qu’ils essaient parfois de faire leurs malins auprès des grands ou de se défendre. Les filles se font interpeller aussi, mais on répond moins.MilieElève en classe de 6e
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La jeune fille nous évoque par exemple ce garçon, dans sa classe, qui s’est fait frapper par d’autres élèves plus âgés « parce qu’il portait des Geox et parce que c’est un 2010 ». Ou un autre 6e qui a tenté de se défendre face aux interpellations incessantes (« toute la journée ») d’un élève de 3e, et qui a été menacé de se faire violemment régler son compte à la fin des cours.Milie nous parle aussi d’une amie qui, sur son compte TikTok, a été insultée « avec des gros mots » par des inconnus, encore une fois en raison de son jeune âge. La mère de la jeune collégienne s’immisce alors dans notre conversation pour ajouter qu’en échangeant avec d’autres parents, elle a appris que, dans un village voisin, les 2010 ont été rebaptisés… « les cancers 2010 ».
quand sa mère lui conseille de dire qu’elle est née en 2009 ou que la jeune Mosellane tombe (encore) sur des vidéos « anti 2010 » où des jeunes utilisateurs écrivent « on va bien s’occuper d’eux », ça la rend « triste ».
« L’objectif est de les rendre infréquentables »
La fille de Damien, scolarisée à Epinal (Vosges), a elle aussi subi ce harcèlement ciblé. « Les remarques sont les plus basiques qui soient, mais elles viennent de tous et de toutes, à chaque récréation, dans les couloirs, devant l’école. Du type « les 2010 sont idiots », « ils ne savent pas s’habiller », « les 2010 c’est une mauvaise année », etc. », retranscrit Damien.
On leur reproche le fait qu’ils s’habillent encore comme des enfants, qu’ils sont immatures. Mais l’objectif est de les rendre infréquentables, juste sur la base de leur année de naissance.DamienPère d’une fille née en 2010
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h2>La virulence des réseaux sociaux
Ce « bashing » a même dépassé le simple cadre de TikTok puisque même les jeunes n’y ayant pas accès, utilisant d’autres réseaux sociaux ou étant tout simplement plus âgés, ont entendu parler du phénomène. Julien*, en 6e dans le Maine-et-Loire, s’est ainsi fait traiter de « petit 2010 de merde », témoigne son père, par des enfants qu’ils connaissaient d’ailleurs (sport et primaire)… alors qu’il n’a ni smartphone, ni réseau social.Comme Milie, Julien en a parlé très rapidement à ses parents, « très surpris de l’attitude des plus grands qu’ils avaient connus dans un autre cadre, notamment sportif », poursuit son papa qui, comme son fils, n’avait pas fait le lien avec les réseaux sociaux avant d’entendre parler du phénomène dans les médias.« Le reproche n’a rien à avoir avec l’école, c’est vraiment le fait de s’en prendre aux petits nouveaux, aux plus jeunes, qui n’ont plus leurs marques en passant du primaire au collège. Mais là, il y a aussi une exacerbation du phénomène qui relève des réseaux sociaux », explique Gilles Demarquet, président national de l’Association de parents d’élèves de l’enseignement libre (Apel).
Tout est plus vite médiatisé, il y a sans doute un effet de surenchère pour attirer le plus l’attention. Sans compter un véritable effet de « bande. »Gilles DemarquetPrésident national de l’Apel
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Un avis partagé par Carla Dugault, co-présidente de la Fédération nationale des conseils de parents d’élèves des écoles laïques (FCPE), et pour qui l’usage de TikTok vient effectivement faire la différence. « On y voit de vrais appels à frapper les 2010, il n’y a aucun charriage là-dedans mais un appel public à la violence voire à la haine« , déplore-t-elle.
Des enfants dépassés
Pourtant, les harceleurs n’ont parfois même pas conscience de leurs actes et de leurs paroles. « Les parents avec qui j’échange constatent avec moi que certes, c’est une génération plus aguerrie aux réseaux sociaux – on dit souvent qu’ils sont nés avec -, mais ils ne les maîtrisent pas forcément », complète Carla Dugault.
Damien sait qu’ils ont clairement leur rôle à jouer dans ce phénomène « anti 2010« . « Une rumeur peut circuler beaucoup plus vite et les influenceurs jouent un rôle important dans les modes. C’est sans doute parti d’une blague, mais c’est très vite monté en intensité », analyse-t-il.Les réseaux sociaux posent aussi la question de « l’impunité supposée » des internautes, relève Gilles Demarquet. Certains utilisateurs pensent ainsi qu’ils sont « intouchables » sur les réseaux sociaux, « alors que c’est complètement faux. »
J’ai parfois l’impression que les jeunes ne mesurent pas la conséquence de leurs actes. Sur TikTok, Twitter, Instagram, Facebook, il y a un sentiment d’immédiateté – on écrit comme on pense, mais ça laisse des traces. Un élève harcelé pense que le harcèlement se finit en sortant des cours, mais non, tout est sur son téléphone ou son ordinateur.Gilles DemarquetPrésident national de l’Apel
min-width: 325pxsa11 vous êtes un 2010 ?: ethan_berrebi_ #humourfamily #2010 #2006 #drole #foryou #pourtoi ♬ son original – Ethan Berrebi
« C’est une transition qui peut s’avérer compliquée, l’élève est en pleine construction de soi, et ce phénomène peut clairement l’affecter », ajoute Carla Dugault.
Réactions du ministère de l’Education nationale et de TikTok
Depuis, dans certains établissements, les choses semblent se tasser au fur et à mesure que s’éloigne la rentrée. Et, surtout, l’équipe éducative a pris conscience du problème. Une fois qu’elle a eu vent de ce phénomène, « la prof principale de ma fille a pris les choses à bras le corps », confirme ainsi Damien.
Les enfants se sont plaints aux professeurs et apparemment, ces derniers se sont montrés un peu plus vigilants et ont averti les surveillants pour rappeler à l’ordre les élèves qui se moquent des plus jeunes.DamienPère d’une élève en 6e
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De son côté, la FCPE affirme avoir fait remonter l’information au ministère de l’Education nationale et interpellé les chefs d’établissements sur l’ampleur du phénomène, devenu national. Le ministre Jean-Michel Blanquer s’est d’ailleurs emparé du problème… sur les réseaux sociaux, en souhaitant la #BienvenueAux2010 et en dénonçant le harcèlement scolaire et le cyber-harcèlement.
Nous disons OUI à la fraternité.Et NON au harcèlement.Nous souhaitons la bienvenue aux nouveaux collégiens et collégiennes, élèves de 6ème.Alors vous aussi, souhaitez la #BienvenueAux2010. Et ne laissez rien passer :➜3020 face au harcèlement➜3018 face au cyber-harcèlement
Le ministre de l’Éducation nationale a par ailleurs promis qu’un « nouveau cran » allait être franchi dans la lutte contre le cyberharcèlement, « en allant beaucoup plus loin, par une relation renforcée avec les plateformes », a-t-il déclaré lors d’une visite dans un collège à Grandvilliers, dans l’Oise, ce lundi 20 septembre.Autre avancée, provenant directement de TikTok : la plateforme chinoise a annoncé vendredi 17 septembre que le hashtag #Anti2010 avait été supprimé de ses réseaux et que les vidéos contenant ce hashtag seraient étudiées « individuellement » et supprimées si elles « vont à l’encontre de son règlement. »
Pousser l’éducation aux médias
Mais plus qu’une vigilance, il faut aller plus loin dans l’éducation aux médias, acquiescent les parents d’élèves. « Pas de cours de réseaux sociaux, pas de réels cours de sensibilisation au harcèlement. En cours de techno, les enfants apprennent à développer très sommairement, ils apprennent à mettre en page des Powerpoint ou des documents Word, ils découvrent des sites internet, mais la sensibilisation sur les dangers d’internet ? Rien », assène Damien.
En vrai, on pense que cette génération est douée avec l’outil numérique, mais il n’en est rien.DamienPère d’une fille née en 2010
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De son côté, Milie reste sceptique quant à « l’action des adultes » sur le harcèlement des 2010 : « Autour de moi, on n’en a pas parlé, ça ne sert à rien, puisque ça va continuer toute l’année. Pourquoi ? Vu comme les grands sont bêtes alors qu’ils n’ont qu’un an de plus, vous pensez vraiment que ça va s’arrêter comme ça ? »Sa maman se dit enfin prête à intervenir. Avec un point d’ombre, toutefois : « autant en école primaire on pouvait discuter avec l’instituteur ou l’institutrice, autant au collège, on ne sait pas trop qui aller voir, vers qui se diriger et le poids que ça aura. »* Les prénoms ont été modifiésCet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Actu dans l’espace Mon Actu. En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.