Dans la fabrique opaque des sondages


Par Luc Bronner Publié aujourd’hui à 05h47 Réservé à nos abonnés EnquêteA l’approche de l’élection présidentielle, Luc Bronner, grand reporter au « Monde », a participé, sous des identités factices, à un très grand nombre de sondages, seul moyen pour raconter, de l’intérieur, les coulisses des études d’opinion, et lever le voile sur le système particulièrement nébuleux des panels d’internautes. Ces six dernières semaines, j’ai répondu à plus de 200 sondages. Enfin, soyons précis, ce sont mes avatars qui ont été sollicités et qui ont répondu aux enquêtes proposées par les plus prestigieux instituts opérant en France : Ipsos, IFOP, Kantar, BVA, OpinionWay, Harris Interactive, GfK… Pour l’un, je m’appelle Ludivine. Pour un autre, Karim, Louis ou Géraldine. Selon les cas, j’ai 19 ans, 26 ans, 47 ans, 73 ans. J’ai déclaré habiter aussi bien la banlieue parisienne que la Bretagne, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ou le Grand-Est. Je me suis présenté comme homme ou femme, employé, retraité, enseignant ou de profession libérale, artisan ou technicien. A partir d’une dizaine de comptes enregistrés sous des identités factices, j’ai répondu à un nombre incalculable de questions sur mes habitudes alimentaires, vestimentaires, politiques, sur mes revenus, ma santé, mes goûts, sur mes derniers achats, mes voitures, mes chats et chiens, mes enfants. J’ai inventé des réponses sur les briquets jetables, les dessins de sucettes pour bébés, une future publicité de l’enseigne Système U, les emballages des chocolats Lindt, les slogans d’Orange Bank, de la MAIF ou de Meetic, l’image d’Air France, les bandes-annonces de films qui sortiront en mars 2022, les qualités des acteurs britanniques Robert Pattinson ou Benedict Cumberbatch, les meilleurs ketchups, les meilleurs sextoys, l’image personnelle de Michel-Edouard Leclerc, la politique vaccinale française, les bières artisanales, les crèmes solaires, une comédie française qui devrait s’appeler Medellin, le casting de la future série Amazon The Peripheral, mais aussi sur Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Michel Barnier, Xavier Bertrand, le congrès des Républicains, Eric Zemmour, Emmanuel Macron et l’élection présidentielle.

Des études moins coûteuses

Derrière la communication des instituts de sondage, qui n’ont d’instituts que le nom et sont des sociétés d’études marketing dont l’activité principale est de répondre aux commandes des entreprises sur leur stratégie et plus encore sur leur image, se cache un système particulièrement opaque : le recours à des panels de consommateurs, recrutés sur Internet, sans véritable contrôle ni régulation, en échange d’une rémunération modique, pour donner leurs opinions sur tous les sujets imaginables. Des outils devenus déterminants aussi bien dans la conduite des politiques publiques par les Etats que dans la bataille des campagnes électorales, et notamment celle de l’élection présidentielle. Il vous reste 92.2% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.