Ian Brossat : "Tant mieux si des électeurs qui ont voté FN revotent à gauche !"


Ian Brossat est heureux. Rarement le Parti communiste français n’a eu telle audience ces dix dernières années. Il faut avouer que le PCF n’avait pas présenté de candidat à l’élection présidentielle depuis 2007 et Marie-Georges Buffet.

L’époque est alors moribonde. Fabien Roussel a fait oublier cette période sombre, claquant la porte au nez de Jean-Luc Mélenchon. Roussel a remis le PCF au goût du jour avec un discours où la question sociale est centrale et qui ne fait aucune concession sur les valeurs de la République.

Ian Brossat :

De quoi déranger chez certains à gauche et chez les écologistes qui le jugent « de droite » voire « d’extrême-droite », rien que ça. Des accusations qui font bondir Brossat, le directeur de campagne du candidat « coco ». 

L’Express : Qu’est-ce qui se cache derrière le convoi autoproclamé de « la liberté » ? 

Ian Brossat : Ce mouvement m’intéresse moins par les revendications qu’il porte que par ce qu’il dit de l’état de notre société.

Ce qui est certain, c’est qu’en France comme dans beaucoup d’autres pays occidentaux, il y a tout un pan de la société qui se sent méprisé, mis de côté et pas reconnu comme il le devrait. L’aspiration à la dignité, au respect n’est pas un vain mot. Dans ce mouvement, il y a aussi des gens qui ont tenu le pays à bout de bras pendant la pandémie, qui ont répondu présent à chaque fois que l’on a eu besoin d’eux et qu’on continue malgré tout à payer au lance-pierre.

 

« Fabien a toujours été très clair sur le vaccin, il a été l’un des premiers à y être favorable contrairement à d’autres responsables à gauche qui ont soufflé le chaud et le froid sur le sujet »Offre limitée. 2 mois pour 1€ sans engagement

Pourtant, ce convoi revendique avant tout son opposition au vaccin, au passe vaccinal et on y trouve également beaucoup de complotistes. 

On ne peut pas ignorer cette dimension-là, vous avez raison. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Fabien Roussel et les communistes n’approuvent pas toutes leurs revendications.

Fabien a toujours été très clair sur le vaccin, il a été l’un des premiers à y être favorable contrairement à d’autres responsables à gauche qui ont soufflé le chaud et le froid sur le sujet. Nous sommes un parti héritier des Lumières, pour la science et le progrès et jamais nous n’avons fait huer les scientifiques dans nos meetings. Une fois que j’ai dit tout cela, cela ne nous empêche pas de chercher à comprendre ce qui pousse ces gens à agir ainsi, ce que ces mouvements révèlent de la société dans laquelle nous sommes et ses failles.

 

Admettez aussi que ces gens, pour certains d’entre eux, se mettent d’eux-mêmes en marge de la société. 

Je me méfie de toute forme de condescendance ou de mépris vis-à-vis d’hommes et de femmes qui jouent un rôle, décisif pour la société, par leur travail. Demandons-nous plutôt ce qui fait qu’une partie de la société a le sentiment de ne plus en être.

C’est une question redoutable à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui en France. Une bonne part des gens non-vaccinés le sont surtout parce qu’ils n’y ont pas accès, c’est bien le signe qu’il y a un problème d’ampleur avec les déserts médicaux dans le pays. Pour faire société, il faut des services publics, il faut organiser le retour de l’État.

Or, le libéralisme a réduit l’État à sa fonction purement répressive. L’État doit être là avant tout pour garantir les droits fondamentaux de la population. 

Emmanuel Macron à annoncer la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires existantes, et la construction d’au moins six EPR 2.

On imagine que le candidat Fabien Roussel, qui rappelle très régulièrement son attachement à la filière, applaudit des deux mains, non ? 

(Rires) Fabien Roussel et les communistes ont toujours eu un discours cohérent contrairement à Emmanuel Macron sur le nucléaire. Contrairement à lui, nous ne nous sommes pas découvert une passion pour le nucléaire un beau matin de février 2022. Sa conversion est tardive.

C’est le pompier pyromane qui a d’abord tourné le dos à la filière en vendant Alstom en 2015, en fermant Fessenheim, en enterrant les programmes de recherches, etc. Il a passé les quatre dernières années à démanteler la filière du nucléaire et se réveille à deux mois de l’élection présidentielle. Que de temps perdu pour développer une énergie décarbonée ! C’est bien le signe que nous devons retrouver une maîtrise publique de l’énergie pour éviter ce genre de changement de pied. Cela suppose une renationalisation du secteur.

 

Votre position ne va pas plaire aux écologistes. 

Je crois que les écologistes, et Jean-Luc Mélenchon aussi d’ailleurs, ont très mal posé le débat. On nous a expliqué pendant trop longtemps qu’il fallait choisir entre le nucléaire et les énergies renouvelables en oubliant un peu trop vite que la vraie priorité était la fin des énergies fossiles. Le débat a évolué, et c’est tant mieux.

 

« Yannick Jadot se tire une balle dans le pied »Ce n’est pas votre seul point de divergences avec les écologistes. Depuis plus d’un mois, communistes et écologistes s’envoient anathème sur anathème. Elles sont là, les nouvelles gauches irréconciliables ? 

Mais qui conduit ces voitures critères 3, 4 ou 5 ? Des familles modestes, qui n’ont d’autres choix. Si on ne fait rien, si on ne leur permet pas avant toute interdiction d’accès aux grandes villes d’avoir accès à un véhicule moins polluant, alors on les assigne à résidence.

Les ménages les plus riches auront toujours les moyens de changer de voiture, de conserver ce droit à la mobilité. L’objectif écologique et l’objectif social peuvent être conciliés mais encore faut-il en accepter parfois les limites, les tensions et les contradictions. 

À écouter Fabien Roussel, notamment depuis la polémique suscitée par ses propos sur la viande, on se dit qu’il s’en donne à coeur joie sur les écologistes.

Il semble dire d’eux qu’ils sont des peines à jouir, est-ce le cas ?  

La nécessité de la lutte contre le changement climatique est incontestable mais qu’est-ce qui est à l’origine de cette crise environnementale ? Le système capitaliste, le fait que l’on produit tout et n’importe quoi à n’importe quelles conditions, quelles que soient les conséquences pour la nature. Ce sont les travailleurs de notre pays qui sont victimes du même système et à qui on demande en priorité de changer de mode de vie. C’est très injuste.

Ce que dit Fabien Roussel, personne à gauche ne le disait ces dernières années : ce n’est pas aux plus modestes de payer les pots cassés. Quand j’entends Yannick Jadot dire à Libération qu’il veut taxer ce qui est gras et ce qui est salé pour que cela coûte plus cher, il ne se rend pas compte que les plus modestes vont pâtir de ce type de mesures. Ce n’est pas en baissant quelques taxes sur les produits bios, vu le différentiel de prix, qu’on les rendra plus accessibles.

En tout cas, ça ne suffira pas. Cette proposition de Yannick Jadot est antisociale. 

Vous avez aussi des mots durs à leurs égards et pourtant vous avez vocation à gouverner ensemble si tant est que l’union de la gauche fonctionne un jour.

Tout le moins pourriez-vous vous rassembler dans l’opposition dans un futur proche.  

Cela dit, ce n’est pas parce que nous affirmons nos différences que nous sommes irréconciliables.  

Certains à gauche n’hésitent pas à dire que vous êtes de droite voire d’extrême-droite, cela vous blesse en tant que communiste ?  

C’est surtout grotesque ! Quand Yannick Jadot dit qu’il n’y a – je cite ! – « que l’extrême droite qui soutient le nucléaire », c’est grotesque. Il se tire une balle dans le pied.

Beaucoup d’écologistes en Europe sont pro nucléaires, en Finlande, en Norvège. Considère-t-il que ses alliés scandinaves sont d’extrême-droite ? C’est devenu le nouveau point Godwin, une manière d’empêcher le débat, de ne pas argumenter. Et cela contribue d’autant plus à normaliser l’extrême-droite, de fait.

 

« Une partie de la gauche est malade de son sectarisme »C’est quoi « être de gauche » aujourd’hui ? 

une gauche de la distinction comme disait Bourdieu, une gauche qui passe son temps à faire la morale, à vous dire ce qu’il faut manger, comment se déplacer, etc.

J’ai adhéré au PCF à l’âge de 17 ans, je le faisais parce que ce parti, et une très grande partie de la gauche à l’époque, avait vocation à améliorer le sort de la grande masse des gens. Je ne l’ai pas fait pour leur faire la morale ! Quelque chose s’est cassé. Je ne veux pas d’une gauche qui regarde de travers tout ce qui est populaire.

C’est un tort, c’est une faute politique. La gauche ne peut pas être aimée du peuple si elle n’aime pas le peuple. 

Qu’est-ce qu’être communiste en 2022 ? On a l’impression que tout le passé, y compris les heures les plus sombres de ce mouvement, a été oublié, effacé.

C’est presque devenu un mouvement « cool » aujourd’hui. 

Oh, certains aiment à nous le rappeler, ce passé. Dans les années 1990, quand j’étais adolescent, beaucoup théorisaient « la fin de l’Histoire », c’est-à-dire le triomphe ferme et définitif du libéralisme. Il fallait, disaient-ils, ranger le communisme dans les poubelles de l’Histoire.

Même les socialistes se convertissaient au social-libéralisme. Aujourd’hui, le libéralisme et la loi du profit sont mis en doute de toute part. Ceux qui contestent ce système ne se reconnaissent d’ailleurs pas tous dans le communisme.

Prenez la question du logement dont j’ai la responsabilité en tant qu’élu à Paris. Dans les années 1980 et 1990, on appliquait des politiques extrêmement libérales. On cassait le logement social en Angleterre sous l’impulsion de Margaret Thatcher, on dérégulait le marché immobilier ad nauseam.

Ces politiques ont été catastrophiques au point qu’on en revient totalement aujourd’hui. À New York, à San Francisco, on applique des politiques très interventionnistes sur le marché immobilier. À Londres, on a recréé du logement social après avoir saccagé le secteur HLM.

C’est bien la preuve que le communisme n’est pas mort, il survit. Il faut, je crois, séparer le bon grain de l’ivraie. Le communiste, c’est une réalité historique, un mouvement politique mais c’est aussi une idée et l’idée survit aux soubresauts de l’Histoire.

 

Tout le monde semble aimer les communistes en ce moment, même à droite. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a même dit que Fabien Roussel était « un ami ». Le communiste que vous êtes n’est pas mal à l’aise avec tant d’amour qui vient plutôt d’adversaires politiques que de partenaires de gauche ? 

L’amitié et la politique sont deux choses extrêmement différentes et puis, ne nous voilons pas la face : ceux à droite qui disent du bien de Fabien Roussel le font par tactique électorale.

C’est un moyen pour eux de se recouvrir d’un vernis social bon marché. C’est bon pour leur propre image. Observez qu’ils étaient moins nombreux une fois qu’il avait sorti son programme.

Ce qui nous importe, ce sont avant tout les électeurs. Nous ne demandons pas aux gens leur carte d’identité politique. Il y a des gens qui ont voté à droite, à l’extrême droite, à gauche, qui se sont abstenus. C’est ainsi.

Un candidat à l’élection présidentiel doit s’adresser à tous les Français, sans exclusivité idéologique. Je trouve affligeant que certains responsables politiques à gauche poussent des cris d’orfraie devant l’idée que des électeurs qui ont pu voter FN puissent revoter à gauche. Mais tant mieux ! Ce n’est pas une infamie.

Si on veut faire reculer la droite et l’extrême droite, il faut bien convaincre leurs électeurs que nous avons le meilleur projet. L’objectif, c’est de convaincre et pour convaincre il ne faut pas commencer par insulter et mettre des électeurs au ban de la société. Une partie de la gauche est malade de son sectarisme, elle est dans une quête de pureté qui la conduit à se recroqueviller sur elle-même.

 

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Si Jean-Luc Mélenchon n’a pas ses 500 parrainages et ne peut donc concourir à l’élection présidentielle, est-ce un problème pour la démocratie français ? 

Je n’ai aucun doute sur le fait qu’il les aura. Ce serait tout à fait logique et légitime. Qui me fera croire que Jean-Luc Mélenchon n’y arrive pas alors que Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) et Jean Lasalle ne rencontrent aucune difficulté à les collecter ? Tout ça n’est pas sérieux.

 

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