Matthieu Orphelin : "Le gouvernement a trafiqué l'étude d'impact de la loi climat"


Il le jure, ce n’est pas un testament. Le député écologiste Matthieu Orphelin, élu en 2017 sous la bannière LREM avant de rompre avec le parti d’Emmanuel Macron deux ans plus tard, a décidé de ne pas se représenter aux élections législatives. Figure de l’écologie à l’Assemblée nationale puis soutien de Yannick Jadot à l’élection présidentielle, l’Angevin publie A quand l’écologie en grand (Rue de L’Echiquier, 116 pages) où il revient sur ses cinq années sur les bancs de l’hémicycle et intime les écologistes de s’interroger sur leur façon de faire de la politique.

 

Matthieu Orphelin :

L’Express : Après avoir réglé vos comptes avec les Marcheurs dans un livre en 2019, vous signez un nouvel ouvrage pour en régler de nouveaux avec vos amis écologistes ? 

Matthieu Orphelin : Je n’ai pas l’impression de régler des comptes, et d’ailleurs je n’en ai aucun à régler, et surtout pas avec les écolos qui sont mes compagnons de route. Dans mon précédent livre, je regardais avec noirceur une décision qui fut compliquée : quitter la majorité. Je me suis beaucoup interrogé mais, depuis, pas une seule fois je ne me suis dit que c’était une erreur.

L’histoire a montré que j’avais raison car le fossé entre Emmanuel Macron et moi n’a fait que s’agrandir, surtout au sujet de la lutte contre le réchauffement climatique. Même le président l’admet aujourd’hui en disant qu’il doit faire deux fois plus. J’ai vu aussi ses manoeuvres et ses renoncements.

 

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Notamment sur la loi climat, comme vous le racontez longuement dans le livre. 

qu’elle ne prévoyait pas la généralisation du forfait mobilité durable pour le vélo et le covoiturage, etc.  

Vous accusez la ministre Barbara Pompili d’avoir trafiqué une étude d’impact ? 

Elle et son cabinet ont maquillé le peu d’effets de la loi, oui.

L’étude d’impact tarde à arriver, c’est une première interrogation. Quand on la reçoit, je lis une phrase longue et alambiquée qui explique que la loi climat permet de concourir à deux tiers de l’objectif de réduction des émissions. Avec mon équipe, nous avons tout recalculé, article de loi par article de loi.

On a découvert que ce n’est pas les deux tiers ni même la moitié. C’est moins ! La loi climat permet d’économiser seulement 12 millions de tonnes de CO2 par an là où il en faudrait 100 ! Quand je suis monté au créneau, le gouvernement a confié une mission au Boston consulting group pour me contredire. Problème, le BCG mais aussi les experts du haut conseil pour le climat en sont venus aux mêmes conclusions : la loi climat est insuffisante. Mais c’était trop tard pour le gouvernement de revenir en arrière. 

Pourquoi ? 

quand la ministre Barbara Pompili nous dit que cette loi est l’équivalent de la loi Evin sur le tabac, c’est au minimum un aveuglement, au pire un mensonge. 

« Je désespère de cette écologie de la polémique permanente »Dans ce livre, vous parlez aussi de l’écologie politique française, portée par EELV.

Se sont-ils vus plus gros que le boeuf comme si souvent ? 

Il est vital de se poser la question de savoir pourquoi l’écologie politique ne fonctionne pas alors que nous avons gagné une bataille culturelle dans l’opinion. Les grands enjeux sont là, nous pouvons y répondre mais les résultats électoraux déçoivent actuellement. Aucun écologiste n’a gagné de région et déjà à l’époque, les partis écologistes auraient dû faire un travail d’introspection, comprendre ce qui bloque.

On ne peut pas balayer d’un revers de main le fait que Yannick Jadot a récolté moins de 5% des suffrages à l’élection présidentielle, il faut se réinterroger collectivement. 

Que reprochez-vous à l’écologie politique et à EELV ?  

L’écologie doit mieux parler aux Français. Notre message doit être plus adapté à la réalité, au vécu des Français.

Je désespère de cette écologie du clash permanent, de la polémique permanente. Le Tour de France, le sapin de Noël, tout cela nous a desservis et cela éloigne l’opinion des très belles réussites mises en place par ces mêmes maires écolos. 

Dernier exemple en date, le burkini à Grenoble. 

Si je comprends le cheminement d’Éric Piolle et ses contraintes et débats locaux, c’est je crois une erreur tactique en pleine élection législative.

La preuve : vous m’interrogez là-dessus et pas sur l’excellent bilan d’Eric en tant que maire de Grenoble !  

C’est lui qui a décidé de remettre ce sujet sur la table, seul. 

Ce sujet n’est pas une priorité. Il enferme et ce n’est pas ce que la majorité des gens attendent de l’écologie politique.

Bref, ce n’est pas le meilleur moment pour porter cela et pas le meilleur combat pour porter l’écologie. Résultat : ce sujet laisse les extrêmes et Gérald Darmanin exprimer leurs passions tristes. Et ces polémiques nous détournent du chemin de réconciliation et de progrès que doit porter l’écologie politique.

 

« Je ne peux pas dire que j’arrête définitivement la vie politique »Revenons-en à l’échec des écologistes. Force est de constater, aussi, qu’il manque à EELV et ses partenaires un récit structurant, qui donne envie. 

Il y a une question à laquelle personne ne sait répondre chez nous : pourquoi les jeunes électeurs ne votent pas pour les écologistes alors qu’ils sont les premiers à s’engager dans les associations environnementales et à battre le pavé lors des marches pour le climat ? Aux régionales, 84% des moins de 35 ans n’ont pas voté.

Elle est là la clef des élections, mais jamais Yannick Jadot ne s’en est rendu compte. Ce n’est pas faute de le lui avoir répété encore et encore. Le salut de l’écologie politique ne passera que par l’engagement d’une jeunesse dans la politique.

Il faut une écologie du progrès et de l’espoir pour convaincre cette génération éco-angoissée et qui a perdu la foi dans la politique. Il est là notre récit.  

Il a pu arriver aussi que la société n’ait pas eu envie d’aller aussi vite que les écologistes le réclament.

Prenons le sujet des éoliennes : il y a de fortes résistances des gens localement.  

Ce n’est pas ce que souhaitent les écologistes, c’est ce qu’il faut parce que les scientifiques et autres experts du climat l’ont démontré. Le problème de ce quinquennat, c’est qu’il n’a pas été assez loin et qu’il n’a pas suffisamment accompagné les Français, pour qu’ils en soient acteurs de la transition énergétique et qu’ils l’embrassent.

L’alternative au diesel, la rénovation énergétique, une alimentation de meilleure qualité. C’est tout bénef pour les gens ! Je sais dire quand des choses vont dans le bon sens, comme la proposition d’Emmanuel Macron sur le leasing à 100 euros pour une voiture électrique. C’est une bonne idée qu’il faut mettre en place dès cet été, ne pas attendre. Mais j’observe en même temps une ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, dire qu’il faut minorer le développement de l’éolien terrestre car on ne peut pas aller plus vite que la société. C’est une erreur fondamentale de sa part et un renoncement au progrès.

On peut faire plus et mieux, tout en respectant mieux la biodiversité.  

Les écologistes ont décidé de se ranger derrière Jean-Luc Mélenchon, au sein de la Nouvelle union populaire écologique et sociale. C’est ce qu’il fallait faire ? 

J’ai toujours dit, avant et pendant l’élection présidentielle, que s’il y avait plus d’un candidat de l’écologie et de la gauche, aucun d’eux ne serait au deuxième tour.

Ce grand rassemblement s’imposait depuis longtemps et il aurait bien plus de force s’il avait été fait avant la présidentielle. Car je vois aussi les conditions dans lesquelles s’est faite cette union : un peu à la va-vite, avec des partis qui faisaient semblant de se détester deux semaines plus tôt. Quand Yannick Jadot choisit de faire ses trois dernières semaines de campagne en attaquant Jean-Luc Mélenchon, c’était une faute.

D’autant plus que les mêmes qui, hier, nous expliquaient qu’il avait raison de le faire nous disent avec la même vigueur que l’alliance est la condition sine qua non de la réussite. Cela mis à part, ça va clairement dans le bon sens. A eux de jouer maintenant et de convaincre, car, en ce qui me concerne, je mets la politique en pause. 

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« En pause » ? Est-ce à dire que vous y reviendrez ? 

En pause très longue ! Je ne peux pas dire que j’arrête définitivement la vie politique, car bien malin celui qui peut prédire l’avenir.

Peut-être, j’y reviendrai dans cinq, dix ou quinze ans mais aujourd’hui je sais que, pour les prochaines années, je serai plus utile ailleurs. Oui, la politique est un monde cracra (sic) avec plein d’apparatchiks mais il y a aussi des gens qui travaillent dur et de formidables batailles à mener. Ceux qui disent que l’Assemblée nationale ne sert à rien ont tort, c’est un endroit fabuleux pour faire changer les choses.

Ce livre, ce n’est pas mon testament mais plutôt un cri du coeur pour appeler les gens à s’engager. La politique, c’est du combat permanent mais c’est aussi bien de ne pas y rester trop longtemps. 

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