Quel impact la levée des restrictions risque-t-elle d’avoir sur l’épidémie ?



A partir de ce mercredi, les restrictions sanitaires vont progressivement s’alléger

© Jaap Arriens/Sipa USA/SIPA
Dès ce mercredi, le port du masque en extérieur ne sera plus obligatoire.

STRATEGIE – A partir de ce mercredi, les restrictions sanitaires vont progressivement s’alléger Bientôt le retour au monde d’avant Covid ? Fin des jauges, du port du masque en extérieur, du télétravail obligatoire : après d’autres pays européens, la France commence à lever les restrictions liées au coronavirus ce mercredi. Un allègement progressif des contraintes annoncé à la faveur du pass vaccinal, qui a remplacé le pass sanitaire. « Nous pourrons courant février lever la plupart des restrictions prises pour freiner l’épidémie », promettait le 20 janvier le Premier ministre Jean Castex. Mais avec les chiffres des contaminations quotidiennes toujours très élevés et le sous-variant d’ Omicron en embuscade, cette levée des restrictions n’est-elle pas prématurée ? Risque-t-elle de provoquer un nouveau rebond épidémique ou le pire est-il enfin derrière nous ?

Dans le sillage des Danois et des Anglais

Beaucoup l’attendaient, ce mercredi : un petit vent de liberté va commencer à souffler sur l’Hexagone. Désormais le port du masque ne sera plus obligatoire en extérieur, les jauges dans les lieux recevant du public assis tels que stades et établissements culturels seront abandonnées et le télétravail ne sera plus obligatoire, mais restera recommandé. Le second volet de cet assouplissement des restrictions est programmé deux semaines plus tard. Le 16 février, ce sera au tour des discothèques, fermées depuis le 10 décembre, de rouvrir leur dance floor et les concerts debout seront de nouveau autorisés. A cette date, la consommation au comptoir sera elle aussi possible dans les bars. Tout comme la consommation dans les stades, les cinémas et les transports. La France s’inscrit ainsi dans le sillage d’autres pays européens qui ont déjà fortement desserré leurs restrictions, à l’instar de l’Angleterre et du Danemark, où des chiffres records de contaminations ont pourtant été enregistrés. Dans ce pays scandinave, le pass sanitaire n’est même plus obligatoire. Une différence de fond avec la France, où le pass vaccinal est, a contrario, la mesure qui permet cet assouplissement des restrictions pour les personnes ayant un schéma vaccinal complet.

Un calendrier « pas déconnant »

Alors, « commencer maintenant à lever les restrictions, ce n’est pas déconnant comme calendrier, estime le Dr Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union française pour une médecine libre (UFML). On est toujours un peu attentiste dans cette pandémie : la doctrine, c’est d’aller plus vite que le virus quand les contaminations montent et d’aller moins vite quand il descend, donc il ne faut pas se presser non plus. Là, la situation sanitaire permet un certain optimisme, puisque dans ces pays qui nous ont précédés dans la vague Omicron – et la flambée de son sous-variant BA.2 – on n’a pas observé de rebond important des admissions en réanimation, donc on peut légitimement relâcher la contrainte, expose-t-il. C’est même nécessaire aujourd’hui, après deux ans de pandémie, parce qu’on est à un degré très important de lassitude de la population ». Et pour ce qui est de l’abandon du port du masque en extérieur ? « Tant mieux, on répète depuis le début qu’il ne sert à rien de le porter dehors – sauf forte densité. Cela permet au contraire de permettre aux gens de souffler en toute sécurité après l’avoir porté toute la journée », poursuit-il. Pour les autorités, la levée des contraintes est notamment justifiée par le fait que la menace sanitaire due au variant Omicron est limitée, puisqu’il est moins dangereux que ses prédécesseurs, bien que nettement plus contagieux.

La circulation virale en plateau

« C’est un choix politique, dans une situation sanitaire qui évolue très lentement et où tout le monde aspire au monde d’après », commente Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon, à Paris. Mais selon lui, la décrue n’est pas encore confirmée : « On a l’impression qu’on n’est pas encore arrivé à la descente d’un pic, mais plutôt sur un plateau ». En moyenne sur sept jours, plus de 334.000 nouveaux cas ont été enregistrés en France lundi, un chiffre qui baisse chaque jour légèrement depuis le milieu de semaine dernière. Mais les chiffres restent à des niveaux jamais vus avant l’arrivée fin 2021 du variant Omicron. « La circulation du virus reste extrêmement élevée et les infections ne vont pas retomber d’un coup après le pic », met aussi en garde l’épidémiologiste Mircea Sofonea. Et « on sait qu’actuellement, il y a encore une hausse des hospitalisations par endroits, certes pas en réanimation, mais cela reste un paramètre auquel il faut être attentif, abonde le Dr Marty. On a des hospitalisations d’enfants en nombre ces dernières semaines, plus que jamais auparavant depuis le début de la pandémie, avec des cas de PIMS (syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique) et des covid longs. Il faut garder à l’esprit que le virus est présent, circule beaucoup et tue encore : pour la seule journée de ce lundi, il y a eu 319 morts, ce qui est énorme », insiste le médecin.

« Attention au manque d’humilité »

Alors, faut-il redouter un rebond épidémique avec la levée progressive des restrictions ? « Aujourd’hui, entre la couverture vaccinale et les chiffres exponentiels des contaminations, le réservoir de circulation virale est moindre, mais la maladie est très peu immunisante, compte beaucoup de variants, et entraîne beaucoup de réinfections. Donc la réalité, c’est que nous n’en savons rien », répond avec prudence le Dr Marty. En revanche, la fin du télétravail obligatoire ne devrait pas avoir d’effet délétère, puisque cette pratique est « entrée dans les habitudes des Français, qui vont rester nombreux à travailler à distance, et qui ont à cet effet signer des avenants à leur contrat de travail », soulignait lundi sur franceinfo le Pr Philippe Amouyel, épidémiologiste. Mais « il ne faut pas sous-estimer le virus, dont l’histoire naturelle l’amène certes à muter dans le sens d’une plus grande transmissibilité et d’une moindre létalité et qui nous prouve qu’il est impossible de faire des prévisions fermes et fiables à moyen terme. Il peut encore engendrer de nouveaux variants virulents et hautement contagieux, rappelle le Dr Marty. Donc attention au manque d’humilité ».

« Le problème, c’est l’air intérieur »

En outre, « dans la mesure où on allège des contraintes sans pour autant mettre en place en même temps des mesures de freinage comme l’installation de capteurs de CO2 pour évaluer le niveau de contamination de l’air intérieur, la décrue pourrait être très lente », prévient Mircea Sofonea. Dans le même temps, le virus circule particulièrement dans les écoles, la grande majorité des enfants n’étant à ce jour pas vaccinés. Jean Castex a envisagé un allègement du protocole sanitaire pour les établissements scolaires au retour des vacances de février, soit pas avant le 7 mars, date où tous les enfants (des trois zones) seront rentrés de vacances. « Le problème, c’est l’air intérieur, puisque le mode de contamination principal c’est l’aérosol, confirme le Dr Marty. Début mars, on n’en sera pas sortis du Covid-19, il va nous accompagner encore un bon moment, donc il est temps de se saisir de cette question, insiste-t-il. Surtout si on annonce bientôt la fin du masque en intérieur, à l’instar des Danois qui ont levé l’ensemble de leurs restrictions sanitaires. Or, pour l’heure, cela n’a jamais été fait. Il serait temps que les pouvoirs publics mettent enfin le paquet les détecteurs de CO2 ».