Des enfants et des adolescents souffrent de symptômes prolongés du Covid. Pour certains, depuis le début de l’épidémie. Le syndrome post-viral étant méconnu chez les plus jeunes, les familles se retrouvent en grande difficulté. Enquête et témoignages. On estime aujourd’hui qu’au moins un patient sur dix, positif au Covid, continue de présenter des symptômes, trois mois après l’infection. Les jeunes adultes et ceux qui ont eu une forme légère de la maladie sont concernés par le syndrome post-Covid ou « Covid long ». Invisibilisés au début de la flambée épidémique et souvent pris pour des patients psychosomatiques, les malades « Covid long » commencent à être mieux pris en compte. En février, la Haute autorité de santé (HAS) a publié des recommandations afin de guider les médecins. En l’absence de signes de gravité qui doivent orienter vers l’hôpital, l’instance préconise une prise en charge globale de premier recours, adaptée au tableau clinique de chaque patient, et pouvant inclure le traitement des symptômes, le repos, la rééducation (respiratoire et/ou à l’effort), et les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Des soins capables « d’améliorer la plupart des malades en quelques mois ».Pas un mot sur le Covid long pédiatrique, au grand dam des parents : « Les familles sont en détresse ! Elles se heurtent à l’incompréhension du corps médical. Beaucoup de médecins nient l’existence du Covid long chez l’enfant. Quant à ceux qui essaient de poursuivre des investigations, ils sont confrontés au manque d’information institutionnelle », explique Cristina, dans la région de Marseille, qui gère « Covid enfant/adolescents (1 millier de membres), un groupe sur Facebook, où « les témoignages se multiplient » depuis sa création au mois d’octobre. En ligne, les familles échangent principalement sur le Covid long, qui concerne « surtout des adolescents de 12 à 18 ans, mais aussi des plus jeunes ».
« Beaucoup d’enfants sont incapables de suivre une scolarité »
Beaucoup de familles désemparées ont fait le rapprochement avec le Covid en lisant les témoignages du groupe de soutien « Long Covid Kids » (plus de 1300 familles pour 1800 enfants). Actif sur les réseaux sociaux, ce collectif de parents collabore désormais avec des chercheurs et le système de santé anglais afin d’aider à mieux comprendre le phénomène, et améliorer la prise en charge des enfants.
« Un soir, j’ai vu le visage de ma fille s’affaisser subitement »
mais pas la fille. « Mon médecin traitant et le CHU ne croyaient pas au Covid long chez l’ado. J’ai dû trouver moi-même les spécialistes qui acceptent de la recevoir. On a perdu du temps. » Pas de test à l’effort pour Mylène, et des soins de réadaptation (respiratoire et physique ) qui ont démarré des mois après ceux de sa mère. « Les médecins pensaient que ma fille se remettrait plus vite que moi », commente Marie-Laure.
« J’étais en parfaite santé avant le Covid. C’est tout une image de moi qui s’écroule »
Pourtant, j’étais en parfaite santé avant. » Marie-Laure doit « faire une croix » sur son métier d’assistante maternelle, devenu trop éprouvant physiquement. Elle espère aujourd’hui que sa fille ne sera pas contrainte « d’arrêter ses études » ou de les mettre « en stand-by ». Dans la région de Bordeaux, Sandrine* a lutté pour trouver un médecin qui « prenne au sérieux » le cas de son fils. Tombé malade, à 11 ans, en février 2020, Matteo* s’est aggravé au fil des semaines. Syndrome grippal, problèmes respiratoires, palpitations, douleurs cardiaques, sensation de brûlures aux yeux, signes cutanés… L’attention du médecin s’est surtout portée sur la mère, qui souffre aussi de symptômes prolongés du Covid. « Ça passera », a estimé le généraliste pour son fils.
« On me disait que Matteo allait se remettre ou que c’était lié à l’adolescence »
Deux mois plus tard, le jeune adolescent est épuisé : il dort « entre 16 et 20 heures sur 24 », se réveille fatigué, et ne prend plus qu’un repas par jour. « On me disait que c’était une grosse fatigue due au virus et qu’il allait se remettre, ou que c’était lié à l’adolescence », explique la mère. Jusqu’à ce qu’une pédiatre « à l’écoute » envisage la possibilité d’un Covid long. Matteo est alors adressé en urgence à un cardiologue qui l’a examiné et orienté vers l’hôpital. « Il n’avait aucun antécédent cardiaque. Aujourd’hui, il a un problème à surveiller jusqu’à sa majorité, qui nécessitera ensuite des examens plus poussés », explique Sandrine. Très sportif avant le Covid, Matteo ne peut plus faire une petite activité sans être épuisé. Au collège, il a manqué la moitié de son année de 5e. Les phases d’amélioration alternent avec les rechutes quand il reprend les cours : fatigue, douleurs, et « brouillard cérébral », un trouble neurologique typique du Covid long. « Quand mon fils n’est pas bien, il s’épuise dès qu’il doit se concentrer. Si on le force un peu, il ne sait plus quoi répondre. Si on le force davantage, son regard part dans le vide, il est pris de tremblements et n’entend plus ce qu’on lui dit. Parfois, il pique une crise de colère… Ça se calme après quelques heures de sommeil. » La pédiatre et le médecin traitant sont démunis et les délais des consultations à l’hôpital sont longs.Onze mois après le début de la maladie, la consultation en neuropédiatrie n’a pas été concluante. Pas de lien établi entre les problèmes de concentration de Matteo, ses changements d’humeur, et le Covid. Le mois dernier, la mère est ressortie désappointée de son premier rendez-vous avec un pédiatre interniste. L’IRM cérébrale est normale, le résultat de l’électrocardiogramme est en attente. « Le médecin a insisté sur le caractère psychologique des symptômes », déplore la mère. « Les troubles de Matteo ne sont pas dus à une dépression. Au début de la maladie, il n’avait pas d’idées noires. Elles sont vraiment apparues au fil du temps, à force de rechuter. » Elle-même toujours en incapacité de travailler, Sandrine s’inquiète pour la prochaine rentrée scolaire. Et craint que la maladie de son fils devienne chronique.
« J’aimerais bien entendre Blanquer sur ces enfants encore malades du Covid, et déscolarisés ! »
« Il est important de maintenir les écoles ouvertes, mais pas dans n’importe quelles conditions ! », peste Florence, dans la région de Lille, très remontée contre le ministre Blanquer. « J’aimerais bien l’entendre sur ces enfants-là ! Ceux qui sont encore malades du Covid, déscolarisés, et en détresse psychologique ! », poursuit la mère. Son fils aîné, positif au Covid en septembre, « trois jours après un test de course à pied au lycée, avec cinq classes, en intérieur et sans masques », se sent, à 17 ans, comme « un jeune dans un corps de vieux ». Fatigue majeure, problèmes de concentration, troubles gastriques… « Un jour, il va mieux. Le lendemain, c’est la catastrophe », résume la mère. Chez ce garçon « sociable » et « très sportif », les troubles apparus, deux mois après une infection bénigne, ressemblent à des crises d’angoisse : douleurs abdominales très intenses, « l’impression de s’étouffer » avec la « peur de mourir ». Aux urgences et en ville, les médecins conseillent de l’adresser à un psychiatre, prescrivent un anxiolytique… Idem en post-Covid, à l’hôpital, où Adrien* est interrogé puis adressé à une psychiatre, « très désagréable ».
En manque de réponses et lancée sur la piste du Covid long, Florence décroche une consultation au service des maladies infectieuses du centre hospitalier de Tourcoing, avec le Dr Robineau, coordinateur d’une étude sur le Covid long (Cocolate). Le médecin reconnaît le syndrome post-Covid chez l’adolescent, enfin « soulagé d’entendre quelqu’un qui l’écoute, le rassure, et qui a vu des patients comme lui ». Depuis qu’il a démarré la kiné respiratoire, Adrien va un peu mieux, mais il a besoin d’un soutien psy car son moral est encore fragile. « Il a beaucoup de mal à se projeter dans l’avenir. Je ne l’avais pas vu pleurer depuis qu’il était enfant », confie la mère. Persistance virale dans l’organisme? Réaction inflammatoire? Réponse immunitaire inadaptée? Troubles d’ordre psychosomatique? Plusieurs hypothèses (cumulables) sont avancées pour expliquer les mécanismes à l’origine des symptômes prolongés. Les contours de la maladie sont encore flous. L’affection pourrait correspondre à plusieurs syndromes distincts, dont l’encéphalomyélite myalgique ou syndrome de fatigue chronique (EM/SFC), survenu chez les patients, notamment lors de l’épidémie de SRAS. Récemment, des chercheurs américains ont observé que cette maladie neurologique pouvait être déclenchée par le Covid, chez de jeunes adultes et adolescents, même après une infection bénigne.
De nombreux symptômes expliqués par l’atteinte du tronc cérébral
précise le Pr Guedj. De quoi expliquer les nombreux symptômes de ces patients qui ne présentent pas de vraies lésions physiques d’organes.« Ce qui est caractéristique chez eux, c’est cette atteinte du tronc cérébral, qui explique le dysfonctionnement de la fréquence cardiaque et respiratoire, de la température, du sommeil, et des voies de la douleur. On ne l’observe ni dans les pathologies psychiatriques ni dans celles du stress post-traumatique », estime le chercheur, qui cite par ailleurs les études de ses collègues italiens et américains : les zones du cerveau où des séquelles apparaissent, chez des patients sévères, sont les mêmes que celles où sont relevés des hypométabolismes, chez ses patients Covid long. « Il y a probablement une signature du virus qui touche en particulier ces régions cérébrales, dès la phase aigüe », conclue-t-il.
« Il serait temps d’admettre, en France, que la maladie existe »
Quelques enfants suivis en post-Covid, dans le service de pédiatrie générale de la Timone (AP-HM), ont été explorés par Pet scan, dans son service : les données relevées chez l’enfant et l’adulte seraient similaires. Les résultats de cette étude devraient être publiés prochainement.Covid long adulte et enfant : “L’effort peut aggraver tous les symptômes”A Barcelone, un service hospitalier « Covid long » vient de communiquer des données sur ses 70 premiers jeunes patients (5 à 17 ans) : 30% d’entre eux ont des symptômes prolongés depuis au moins 6 mois, 43% ne peuvent pas aller à l’école à temps complet, et 90% ne peuvent avoir d’activité extra-scolaire. Alors que ces consultations émergent dans plusieurs pays (Suisse, Royaume-Uni, Etats-Unis, Canada), Cristina se désespère du « retard de la France ». « Des enfants s’aggravent par manque de prise en charge ou suite à des programmes de rééducation prescrits sans évaluer leur tolérance à l’effort. Certains se retrouvent en fauteuil roulant car ils ne tiennent pas debout », soupire-t-elle, impuissante à aider réellement les familles : « Nous n’avons toujours pas de pédiatre de référence au niveau du collectif. » Les recommandations récentes de la Haute autorité de santé vont-elles bientôt s’élargir aux enfants? C’est ce que les parents demandent aujourd’hui. « Il serait temps d’admettre, en France, que la maladie existe », conclut Cristina.Patients « Covid long » : l’autre visage de la maladie* Le prénom a été modifié
Symptômes prolongés du Covid : combien d’enfants et d’ados concernés?
En Italie, des pédiatres qui ont suivi 129 jeunes patients l’année dernière, on estimé que le Covid long était peut-être plus fréquent que supposé. La plupart non hospitalisés (93%), les enfants évalués, d’une moyenne d’âge de 12 ans, ont présenté une forme non grave (y compris asymptomatique) du Covid, au moment de l’infection. Quatre mois plus tard, plus de la moitié d’entre eux souffraient au moins d’un symptôme persistant et 42% se sentaient gênés dans leurs activités quotidiennes. « Fatigue, douleurs musculaires et articulaires, insomnie, problèmes respiratoires étaient particulièrement fréquents, comme cela a été décrit chez l’adulte », précisent les auteurs de l’étude, publiée début avril.Au Royaume-Uni, l’Office national des statistiques (ONS) a communiqué récemment des estimations par tranche d’âge. Ces données issues d’une enquête de suivi, en population, ont été comparées à celles d’un groupe témoin. 7,4% des enfants de 2 à 11 ans, 8,2% des 12-16 ans, et 11,5% des 17-24 ans présentaient encore au moins un symptôme (fatigue, toux, maux de tête, douleurs), trois mois après l’infection. D’après ces estimations, la proportion d’enfants « Covid long » se rapprocherait de celle des patients adultes, à partir de l’adolescence. Ces résultats doivent « être interprétés avec prudence », selon les auteurs.A l’autre bout du globe, les données d’une étude australienne sont rassurantes. Chez 151 petits patients suivis, la toux post-virale (4%), la fatigue (2%), ou les deux symptômes à la fois (1%) ont duré près de huit semaines. A six mois du diagnostic Covid, les enfants avaient retrouvé leur état de santé initial. Des résultats peut-être limités, précisent les auteurs, en raison de la moyenne d’âge très jeune des enfants (3 ans). Deux autres études récentes (non évaluées par les pairs), suggèrent de très faibles taux de symptômes prolongés chez l’enfant. La première, une grande étude de dépistage sérologique, en Suisse, révèle que 2 à 4% des enfants présentent des symptômes au-delà de six mois… qu’ils soient positifs ou négatifs ! La seconde, une étude britannique de suivi des symptômes réalisée via une plateforme numérique, sur un large échantillon de population, conclut que le Covid long existe chez l’enfant à l’âge scolaire, mais qu’il est rare : « Seule une petite proportion d’enfants est malade au-delà de quatre semaines (…) et la plupart voient tous leurs symptômes disparaître au bout de huit semaines. » Association AprèsJ20 Long Covid FranceGroupe anglais LongCovidKidsSources médicales et scientifiques :Réponses rapides HASEtude ComPaRe (Hôtel-Dieu)Etude Pr GuedjEtude italienneStatistiques Royaume-UniEtude britanniqueEtude australienneEtude américaine EM/SFC et CovidToute reproduction interdite