Entre la galère de Parcoursup et les #EtudiantsSansMaster, des étudiants «dégoûtés»


© Matarezo
Pour celles et ceux qui se retrouvent sans proposition, c’est d’autant plus difficile à accepter que rien ne leur est expliqué. Rien d’autre que le mot «refusé» sur un écran.

Des espoirs douchés. Ce jeudi matin, Fanny (1) jette un œil sur Parcoursup. La phase complémentaire d’admission se termine ce jeudi, et il ne lui reste que quelques heures pour être admise dans une des quatre licences de psycho pour lesquelles elle a postulé. Probablement «trop tard» pour qu’elle trouve une place dans cette formation dont elle rêvait. Depuis juillet, l’étudiante de 20 ans en pleine réorientation s’accrochait à ses quatre vœux toujours en attente. Mais là, le doute n’est, presque, plus permis : il faudra retenter l’année prochaine. Fanny prévoit d’abord de se trouver un job, puis de se réinscrire sur la plateforme d’admission en 2022. «En colère», «frustrée» et «dégoûtée» à l’idée de «perdre encore un an», elle craque : «J’ai l’impression d’être laissée de côté alors que tout ce que je veux, c’est étudier.» Sa place sur la liste d’attente ? «Aucune idée», soupire-t-elle. Depuis la fin de la phase d’admission principale, le classement a disparu de la plateforme. «On ne peut même pas se projeter, on est dans le doute jusqu’au bout.»

120 000 candidats sans proposition

Difficile de mesurer l’ampleur du bazar pour l’instant mais une chose et sûre : cette année encore, ils sont nombreux à se retrouver sans formation pour cette rentrée. Pendant la phase principale d’admission sur Parcoursup, un tableau de bord quotidien était mis en ligne par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Le dernier a été publié le 16 juillet, date à laquelle la phase complémentaire pour les étudiantes et étudiants n’ayant rien obtenu jusque-là a commencé. Depuis, nada. Tout ce qu’on sait, c’est que cet été, plus de 120 000 candidates et candidats n’avaient pas reçu de proposition d’admission. «On n’a aucune visibilité niveau chiffres depuis deux mois. On ne peut qu’attendre la conférence de presse du ministère», déplore Maryam Pougetoux, vice-présidente de l’Union nationale des étudiants de France (Unef).Lucas, lui, a vu ses espoirs se dissiper bien vite. Dès juin, il a pu observer que cinq de ses vœux avaient été refusés. Il est en attente du résultat pour le sixième, mais la formation en question ne l’intéresse même pas : «On m’a conseillé d’en mettre plus pour avoir de meilleures chances d’être admis quelque part. Mais à quoi ça sert, si je n’aime même pas ce que j’étudie ?» Résultat : Lucas se retrouve à chercher tant bien que mal une école privée dans laquelle poursuivre ses études, en alternance, faute de pouvoir payer les frais d’inscription lui-même. Quand on lui demande s’il retentera Parcoursup l’année prochaine, il répond sans sourciller : «Non. Je suis dégoûté.»

«Rien d’humain»

Pour celles et ceux qui se retrouvent sans proposition, c’est d’autant plus difficile à accepter que rien ne leur est expliqué. Rien d’autre que le mot «refusé» sur un écran. «Les critères de sélection sont flous, trop sélectifs, ça n’a rien d’humain», dénonce Fanny. Des propos à l’image de ceux que Libération avait recueillis en juillet 2020, au moment de la fin de la phase d’admission principale de Parcoursup. L’étudiante le martèle : «Ça fait des années qu’on répète toujours la même chose sur Parcoursup : que c’est mal fait, que les jeunes en souffrent et j’ai l’impression que le gouvernement ne nous entend pas.»Cette colère et cette incompréhension, on les retrouve aussi chez ces jeunes qui tentent de trouver une place en master cette année, sans y parvenir. Cet été, les témoignages sous le hashtag #EtudiantsSansMaster se sont enchaînés sur Twitter. Là encore, le phénomène est «dur à quantifier», comme l’explique Angèle Delpech, vice-présidente de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) : «Même si, à mon sens, il reste assez important. On a toujours des étudiants qui nous contactent sur le sujet». Et la quantité de tweets sur la question ne dit pas le contraire. «Le baby-boom des personnes qui sont nées en 2000 n’a pas été anticipé et maintenant, elles postulent toutes en master en même temps», résume Maryam Pougetoux, de l’Unef, avant d’ajouter : «Le problème est accentué, mais le manque de places existait déjà avant.»

«On ne fait rien avec une L3»

En juillet dernier, Frédérique Vidal l’avait promis : 14 000 places supplémentaires allaient être créées pour cette rentrée dans les filières en tension dans l’enseignement supérieur, s’ajoutant aux 5 000 déjà prévues pour les BTS. Puis en août, la ministre de l’Enseignement supérieur avait cette fois annoncé la création de 1 400 places supplémentaires en master. La moitié en droit, l’autre moitié en économie-gestion. «Ce n’est pas suffisant», rétorque simplement Maryam Pougetoux. «Créer des places, ça demande des moyens que le ministère ne met pas. Il faut titulariser des contractuels, rénover des locaux voire en construire…», poursuit la vice-présidente.En attendant, des diplômés de licence sont laissés sur le carreau, faute de places. «Ils vont dans le privé, prennent une année de service civique ou de stage…», énumère Angèle Delpech. Comme Jérémy (1), 21 ans, qui a obtenu sa licence de droit à l’université de Cergy cette année. Il a beau avoir postulé dans une vingtaine de masters de droit différents, l’étudiant n’a fait qu’empiler les réponses négatives depuis juin. Faute de mieux, il tente sa chance dans une école privée à 3 350 euros l’année. «Je suis boursier, je n’en ai pas du tout les moyens, mais je n’ai pas le choix. Alors je vais faire un prêt…» Quant à Claire (1), 22 ans et diplômée d’une licence de psycho, la rentrée sera rythmée par son boulot à la boulangerie. Aucune de ses douze candidatures en master n’a été validée : «Pourtant, quand on nous accepte en première année, on sait bien qu’on ne fait rien avec une licence, donc c’est évident qu’on va devoir faire un master», lâche-t-elle sans cacher sa déception. Elle compte bien tenter sa chance à nouveau l’année prochaine, parce qu’elle n’a «rien à perdre». Mais sans trop compter dessus non plus. Au bout du compte, «le plus dur à accepter, c’est que j’ai pas eu le choix, on m’a forcée à arrêter mes études».(1) Ces prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.