Crues et sécheresse, crise de l’énergie, prédation de l’ours : les sujets de tension n’ont pas manqué durant l’année 2022. Mais pour la préfète Sylvie Feucher, tout se résume en un point : il faut trouver le point d’équilibre entre les besoins des différents acteurs du territoire. Entretien.
L’année 2022 a été compliquée, quel bilan en tirez-vous ?
Il y a d’abord des choses positives. On a quand même vu la fin de l’état d’urgence (lié à la pandémie de Covid-19, NDLR) et la reprise d’une vie quasi normale, en dépit de taux d’incidence encore élevés. Mais tant que l’hôpital n’est pas saturé.Autre événement sympa, et c’était la première fois que je le vivais, c’est le Tour de France à Foix, avec une partie organisationnelle très complexe. C’est bien rodé, mais c’est un gros challenge et on est content quand ça s’arrête. Pour moi, les services de l’Etat, les forces de l’ordre, les pompiers, les élus, c’est un beau souvenir. On a d’ailleurs eu beaucoup de manifestations et qui se sont bien passées, y compris la manifestation des agriculteurs du 18 octobre. On se connaît bien, ça se passe bien.Et puis il y a eu les élections présidentielles et législatives. On attend maintenant de savoir quelle sera la décision du Conseil constitutionnel sur les élections dans la 1re circonscription. S’il faut organiser de nouvelles élections, on le fera et on veillera à ce que ce qui s’est passé la dernière fois ne se reproduise pas.
Mais il y a surtout eu des crises.
De quelle manière ?
Ce sont des questions compliquées, il y a de l’économie derrière, mais aussi l’environnement, la réalité de le ressource. On ne peut pas être seul à décider, il vaut mieux un partenariat. C’est pourquoi il y aura des assises de l’eau avec le conseil départemental, la chambre d’agriculture, la direction départementale des territoires, l’Etat. C’est un sujet central et on réfléchira à ce qu’on fera la saison prochaine et les saisons suivantes. La situation n’est pas rétablie, le lac de Montbel est au plus bas et s’il n’y a pas suffisamment d’eau, il faudra repenser à l’adduction d’eau par le Touyre.Nous sommes dans une société qui vit à crédit, comme si toutes ces ressources étaient inépuisables. Comment fait-on pour gérer une ressource, pour ne pas se trouver un jour privés de ressource ? Il faudra que tous les citoyens changent leurs comportements. Je pense qu’on y arrivera, mais il faudra beaucoup de pédagogie.
Il y a aussi la crise de l’énergie. Comment se présente la situation ?
J’ai été au contact des professionnels et des politiques, par exemple dans les mairies, pour comprendre ce qui se passe avant d’avoir des difficultés. On voit poindre des soucis, des faillites qui avaient été mis entre parenthèses par le Covid, il ne faudrait pas que la crise de l’énergie amène d’autres difficultés.Mais c’est encore trop tôt, il n’y a pas vraiment de signes : les boulangeries, Aubert et Duval, Maestria ont renouvelé leurs contrats individuellement, je n’ai pas de vision globale. Pour l’instant, il n’y a pas de signes forts de faillites liées à cette situation. L’État a fait beaucoup, mais juin verra la fin des tarifs réglementés. Je suis préoccupée, mais je ne vois pas encore de signe fort.
Comment se porte donc l’économie ariégeoise ?
mais il ne faut pas non plus ne rien faire. Ce n’est pas une ressource neutre, et on n’a pas tant de leviers économiques. Il y aura sans doute des assises du bois, avec la question de savoir comment on restaure les espaces exploités.
La sécurité a également été un point noir en 2022, particulièrement la sécurité routière.
quand on voit ça, quand on annonce un décès, on se comporte plus prudemment.
Quel est le bilan ?
En 2021, nous avions eu 155 accidents, 218 blessés et 12 morts. En 2022, 160 accidents, 210 blessés, mais 18 morts. On va donc organiser des assises de la sécurité routière avec les gendarmes, la police, la justice, les associations de victimes, de motards, avec des ateliers pour voir ce qu’on peut faire. Sachant qu’on fait déjà beaucoup.
Et puis il y a bien sûr la question de l’ours.
Quand je suis arrivée en Ariège, la préfète précédente m’avait avertie que ce serait un sujet compliqué. C’est nous, en Ariège, qui sommes au plus près des difficultés puisque les trois quarts des ours sont dans le Couserans. On veut comprendre, on veut bien faire et on veut tout concilier, mais on n’y a pas trop réussi cet été. Il y a un arrêté ministériel (réglementant l’effarouchement de l’ours, sur lequel trois arrêtés préfectoraux successifs ont été annulés par le tribunal administratif au mois d’août, NDLR), on l’applique, le juge casse, on essaye de compléter, ça ne passe pas, on recommence, ça ne passe toujours pas. Il faut qu’il y ait des données scientifiques pour appuyer nos actions. Les dernières remontent à 2013.
Avez-vous rencontré le nouveau préfet ours, Thierry Hegay ?
J’ai rencontré le préfet ours, il s’est montré très à l’écoute, je pense que tout se passera bien. Le précédent préfet, Denis Olagnon, avait bien travaillé, mais il savait qu’il allait partir et il en était très affecté. Le nouveau préfet devrait rester deux ans et c’est bien qu’on ait un préfet ours pour coordonner les très nombreux acteurs. Je peux coordonner les aspects techniques, mais je ne peux pas tout coordonner. On revient à la question de l’équilibre : il faut trouver un moyen terme qui satisfasse tout le monde, mais actuellement, c’est compliqué d’avoir un dialogue équilibré.
La question des indemnisations, notamment, a suscité quelques réactions.
On indemnise très vite, particulièrement quand il y a des dérochements, ce sont des dossiers qu’on traite en priorité. Cette année, nous avons eu 405 dossiers, 350 ont été indemnisés. C’est toujours une discussion avec la profession, mais il y a aussi des associations, et c’est aussi de l’argent public. Il y a toujours eu de la mortalité d’animaux. Lorsqu’il n’y a pas d’indemnisation, ce n’est pas forcément parce qu’il n’y a pas eu de prédation, c’est parce qu’on n’a pas d’élément disant qu’on peut indemniser.
Quelles sont les pistes d’action pour l’année à venir ?
C’est une profession qui s’est énormément transformée et qui a joué le jeu, mais il faut plus : plus de financement des chiens de protection, des barrières, plus de bergers d’appui, sans parler de l’effarouchement.
L’effarouchement qui a justement été au cœur de l’actualité l’été dernier.
Vous parlez de tirs létaux, un de nos députés, Laurent Panifous, n’hésite pas à évoquer la question de la régulation de l’ours. Qu’en pensez-vous ?
Il faut surtout penser à ce qu’on fera demain. Il faut connaître la population, avoir des données, avoir un plan d’action à plus d’un an. Il ne faut se priver de rien qui nous permette de décider.
Et le loup ?
Il est encore de passage, il n’y a pas de meute en Ariège.
Pour conclure, que bilan tirez-vous de la manière dont ces crises ont été abordées par tous ?
Je trouve que ça s’est bien passé, avec des partenariats que je trouve exceptionnels avec tout le monde. J’essaye toujours d’expliquer ce que je fais et pour l’année à venir, ce sera la même méthode. Ce n’est qu’en comprenant les difficultés des autres qu’on peut équilibrer son propre propos. Mais on ne peut pas tout changer d’un coup. ça vaut pour les agriculteurs, les associations, que ce soit sur l’ours ou sur l’eau. C’est ce point d’équilibre qu’on a du mal à trouver, alors que c’est possible.