Maruca vitrata, l’un des parasites de cette légumineuse . La demande est traitée relativement rapidement. Le 18 février 2022, l’Agence nationale de biosécurité (ANB) organise une consultation publique biaisée (voir encadré ci-dessous). Et, le 30 juin, elle accorde une autorisation pour dix ans, renouvelable . Il s’agit de la première plante transgénique autorisée dans ce pays. L’USDA (Département de l’Agriculture des États-Unis) précise, en juillet 2022, que désormais « le SARI peut mener des essais dans les champs des agriculteurs sur plusieurs lieux et sur deux saisons afin de produire des résultats qui seront soumis au Comité national de libération et d’enregistrement des variétés du Conseil national des semences pour validation et approbation finale en tant que nouvelle variété » . Ce qui signifie qu’il faudra encore attendre quelques années avant que ce niébé Bt puisse être cultivé commercialement. Cependant, notons que cette autorisation a été accordée alors que la Cour des droits de l’homme du Ghana étudie une plainte déposée par l’ONG Food Sovereignty Ghana qui demande de ne pas autoriser cette variété (HRC/43/15). Une audience de cette Cour a en effet eu lieu le 31 mars 2022 . L’affaire a débuté en 2015, elle est passée par la Cour suprême et la Cour d’appel et est revenue cette année devant la Cour des droits de l’homme.
Le niébé transgénique Bt avait été préalablement autorisé au Nigeria en 2019 . Des essais en champs sont en cours au Burkina Faso ou sont programmés au Mali, Sénégal et Malawi . Peu d’informations précises sont disponibles sur la réalité de ces essais en champs. Au Ghana, les essais en champs avaient, eux, commencé en 2013.
Contrairement à la très grande majorité des plantes transgéniques autorisées dans le monde, il s’agit d’une culture vivrière et traditionnelle. Les autres OGM transgéniques sont surtout utilisés pour nourrir le bétail (soja, maïs, colza), produire des textiles (coton) ou des agrocarburants (soja, colza). Une partie du colza, du soja et du coton est utilisée pour la production d’huile alimentaire. Le maïs et le soja sont certes consommés par les êtres humains, mais les variétés transgéniques sont dédiées à l’alimentation animale.
Une histoire à tendance néo-coloniale
ont accepté un « transfert de technologies » sous conditions. « Les entreprises de biotechnologie voulaient que l’Asie et l’Amérique latine fassent parties de ce deal car dans ces régions les affaires y sont florissantes. Elles voulaient également des contrats de licence stricts précisant où, quand et à qui elles mettraient les gènes à disposition gratuitement » .
Au fil du temps, d’autres « donateurs », tels que UK Aid (l’agence du gouvernement britannique en charge de l’aide humanitaire et de l’aide au développement) et des entreprises telles que PepsiCo, ont rejoint la coalition. En 2004, la fondation Rockefeller soutient la création de la Fondation africaine pour la technologie agricole (en anglais African Agricultural Technology Foundation, AATF) dont l’objectif est d’introduire les plantes OGM en Afrique. L’AATF a immédiatement reçu le soutien de plusieurs entreprises agrochimiques et semencières qui souhaitaient ainsi montrer leur motivation philanthropique, sans cependant cacher qu’elles espéraient ouvrir de nouveaux marchés à long terme . Cette organisation coordonne de nombreux projets de recherche sur les OGM en Afrique subsaharienne, dont celui du niébé transgénique Bt. Ce projet a reçu le soutien technique de la CSIRO , de l’Organisation fédérale pour la recherche scientifique et industrielle (Australie), de l’Institut de la Recherche agricole (Nigéria), de l’Université Ahmadu Bello (Nigéria) et de l’Institute for International Crop Improvement du Donald Danforth Plant Science Center (États-Unis) ainsi que le soutien financier, entre autres, de l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), des fondations Rockefeller et Gates. Le projet « niébé Bt » est un bon cheval de Troie pour favoriser des législations laxistes, impliquer des chercheurs nationaux et les « sensibiliser » aux enjeux des biotechnologies végétales, aider à la mise en place d’essais en champs ou à rédiger les dossiers de demandes d’autorisations…
Des promesses mal étayées
diptères et lépidoptères »
Impossible donc de savoir si cette variété est réellement libre, et si oui sous quelle condition. Les agriculteurs devront-ils payer des redevances comme celles sur les semences de ferme en France ? À partir de quelle quantité ?
Le Ghana est le cinquième plus grand producteur de niébé en Afrique. Selon les chercheurs du SARI, ce niébé Bt permettra aux agriculteurs d’obtenir un rendement de deux tonnes par hectare (quatre fois plus que celui des variétés conventionnelles) . Ce chiffre interpelle. En effet, sur le site du SARI , il est mentionné que la variété « Songotra » (sans modification génétique) a déjà un rendement potentiel de 2t/ha…. Et d’autres variétés de niébé inscrites au catalogue des semences ouest-africaines ont un rendement potentiel qui se situe aussi autour de 2t/ha, voire plus pour certaines d’entre elles. Et surtout, l’écart entre les promesses dans les stations expérimentales et la réalité sur le terrain est souvent important.
De même, ces chercheurs affirment que l’adoption de cette variété Bt permettra au Ghana de devenir autosuffisant en niébé. Le SARI, dans son enthousiasme, prévoit même que l’arrivée de cette variété transgénique permettra au Ghana d’exporter du niébé. Plusieurs articles de presse ou une note de l’USDA reprennent deux données : le Ghana produit seulement 57 000 tonnes de niébé par an, pour une consommation avoisinant les 169 000 tonnes. Or, le service statistique de la FAO mentionne une production de niébé pour 2020 de 204 607 tonnes. Interrogées par Inf’OGM, l’USDA et l’ANB n’ont pas répondu à notre demande de clarification de cette divergence de données.
Mumuni Abudulai, chercheur principal pour le projet de niébé Bt au Ghana, affirme que la variété « Songotra » est déjà cultivée sur environ 20 % de la surface cultivée de la région nord du Ghana. Il affirme donc que le niébé GM n’exigerait pas des agriculteurs pauvres qu’ils fassent quoi que ce soit de plus, si ce n’est maintenir un refuge (une zone cultivée avec une variété non OGM) pour éviter, ou au moins retarder, l’apparition de parasites résistants au Bt. Des zones refuges sont imposées par les autorités pour ralentir l’apparition des résistances, mais cela est rarement respecté et si ce niébé est réellement cultivé par des petits agriculteurs, donc sur de petites surfaces, mettre en place de zone refuge risque de s’avérer très compliqué, pour ne pas dire impossible.
Or, comme nous venons de le voir, cela dépendra, en partie, de la présence d’autres parasites . Les agriculteurs devront toujours s’occuper de ces ravageurs. Il existe de très nombreuses variétés de niébé. De nombreux articles scientifiques comparent certaines variétés de niébé et Songotra a parfois des résultats bien inférieurs à d’autres variétés mais peut aussi présenter un intérêt comme, par exemple, vis-à-vis des nématodes .
Produire c’est bien mais encore faut-il stocker, transporter.
Matthew Schnurr, professeur à l’Université Dalhousie (Canada), pourtant partisan des biotechnologies végétales, considère que la question de la sécurité alimentaire est aussi liée, si ce n’est pas principalement, à des questions telles que le stockage et autres infrastructures et qu’il faudrait en priorité s’intéresser à ces questions… Même son de cloche pour Charles Kwowe Nyaaba, membre de Peasant Farmers Association of Ghana, qui demande au gouvernement et aux organisations d’aide internationale d’aider à la construction d’infrastructure de stockage, de subventionner les semences et les équipements agricoles. La distribution et le transport sont également problématiques. Environ 90 % du niébé ghanéen est cultivé dans le nord, et bien qu’il existe une demande non satisfaite de niébé au sud, les mauvaises routes et le manque de stockage, entre autres facteurs, ont dissuadé les négociants, dit Nyaaba.
Brian Dowd-Uribe, professeur associé à l’Université de San Francisco qui étudie le projet de niébé génétiquement modifié au Burkina Faso, craint que ce projet ne perpétue l’ancien modèle de développement agricole qui profite d’abord et très largement aux agriculteurs riches qui, plus alphabétisés, comprennent la technologie et peuvent se permettre de prendre des risques. Il écrit dans un article publié le 28 janvier 2022 : « Mais un examen objectif des performances passées montre que les cultures GM en Afrique sub-saharienne n’ont pas encore atteint le » bien « . Les cultures GM ont apporté des bénéfices à de nombreux agriculteurs commerciaux et riches. Mais pour la classe la plus importante des agriculteurs sur ce continent – ceux qui exploitent moins de quatre hectares – les gains ont été insaisissables, et lorsqu’ils ont été obtenus, ils n’ont pas été durables ».
Des risques sanitaires et environnementaux existent-ils ?
Dans une note de travail, la chercheuse en génétique à l’École Nationale Supérieure d’Agriculture (ENSA) du Sénégal, Irina Vekcha souligne les risques de ce niébé Bt. Le premier point est, à l’instar d’autres plantes transgéniques, la possibilité que ce niébé contamine les variétés paysannes par pollinisation. Or, l’Afrique de l’Ouest , et notamment le Ghana , est un des centres d’origine du niébé. Et le Protocole de Cartagena demande la protection des centres d’origine des plantes contre la contamination par les OGM. Cependant, les chercheurs estiment que ce risque est infime : le niébé est principalement auto-pollinisé et seuls les abeilles et les bourdons peuvent, parfois, transporter du pollen d’un champ à un autre. « Les taux de croisements entre les variétés de niébé cultivées sont faibles, allant de 0,5 à 0,85% lorsque le niébé est planté en rangs alternés à un mètre de distance, et entre 0,01 et 0,13% lorsqu’il est planté en cercles concentriques autour d’une source de pollen », peut-on lire dans le rapport d’autorisation de cet OGM. Irina Vekcha évoque aussi le fait que les toxines Bt, en général, sont aussi néfastes à d’autres insectes ou organismes du sol. Ces toxines Bt ne sont jamais aussi ciblées que le vantent les promoteurs des OGM. D’autre part, la résistance conférée par le Bt est relativement temporaire, comme cela a déjà été observé pour le coton Bt ou le maïs Bt .
Ils n’excluent pas la possibilité de flux génétique vers les variétés indigènes et régionales ou des parents sauvages.
Du fait de ces incertitudes, des problèmes récurrents dans le monde avec les plantes Bt, des questions socio-économiques, une coalition, qui regroupe plusieurs ONG ou syndicats paysans , demande la révocation des autorisations de mise en culture commerciale des niébés transgéniques au Nigéria et au Ghana . « Nous demandons l’arrêt immédiat de la distribution aux agriculteurs, car cela ne manquera pas d’avoir de graves répercussions négatives à long terme sur l’environnement, les semences et les agriculteurs, ainsi que sur les pratiques de production. En outre, les agriculteurs nigérians pourraient se retrouver piégés dans des pratiques agricoles non durables, inadaptées et inabordables, ce qui aggraverait la menace pesant sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle et, en définitive, sur les droits des agriculteurs. Nous exhortons également les autres gouvernements africains à renoncer à l’utilisation de cette variété et d’autres cultures GM sur le continent, qui représentent un extractivisme agraire continu et l’exploitation des petits exploitants agricoles ». La coalition souligne également que les consommateurs ne seront pas informés de la nature transgénique du niébé qu’ils vont acheter : le Ghana (et le Nigéria) n’imposent pas d’étiquetage obligatoire et, sur le marché, la vente de ce haricot se fait très souvent en vrac . De plus, affirme la coalition, il est aussi fortement probable que certains agriculteurs ne soient pas informés du caractère OGM des semences achetées.
Une consultation publique biaisée
2043 « signatures » ont été reçues et l’ANB conclut que les commentaires étaient en grande majorité en faveur de la culture de ce niébé OGM . Deux commentaires sont négatifs, et ont été exprimés par deux organisations, Food Sovereignity Ghana (FSC) et Centre for Climate Change and Food Security (CCCFS). Ces deux réponses comptent pour une signature même si ces organisations ont plusieurs centaines de membres. À l’inverse, certaines réponses positives ont été signées par plusieurs personnes et donc comptent plus. Par exemple, la lettre envoyée au nom de l’Université du Ghana (sans plus de précision) a été signée par 85 personnes, celle de l’Université de l’Énergie et des Ressources naturelles (sans plus de précision non plus), par 102 personnes. Concrètement 19 lettres comptent pour 1567 signatures. Les deux organisations opposées au niébé Bt, la prochaine fois, n’auront-elles pas intérêt à faire signer leur lettre par l’ensemble de leurs membres ? Compter non pas les contributions mais les signatures s’avère être un biais important…