Hôpital  : « Ce n’est pas en achetant plus cher des conditions de travail exécrables qu’on les améliore »


et une grande conférence santé durant l’été.

Le 8 juin, la ministre de la Santé aujourd’hui démissionnaire, Brigitte Bourguignon, annonçait trois mesures urgentes pour faire face à la crise en cours. En 2019 déjà, en réponse à la mobilisation des hospitaliers et à la grève des services d’urgence, un « pacte de refondation des urgences » avait été adopté. Et il y a deux ans, après la première vague Covid, un Ségur de la santé, censé répondre aux problèmes de l’hôpital, avait été organisé.

Hôpital  : « Ce n’est pas en achetant plus cher des conditions de travail exécrables qu’on les améliore »

Les annonces se suivent et se ressemblent. Que se passe-t-il à l’approche du plein été dans les hôpitaux ? Que penser des annonces qui ont été faites ? Et surtout, quelles solutions faudrait-il adopter pour remettre l’hôpital public à flot ?

formé en 2019 pour soutenir le Collectif Inter-Urgences et dénoncer les politiques austéritaires à l’hôpital public.

Formée dans deux spécialités, l’hépatologie et les maladies infectieuses, elle exerce à l’hôpital Louis Mourier à Colombes (Hauts-de-Seine) dans le service de gastro-entérologie et hépatologie, et à l’hôpital Bichat à Paris, dans le service des maladies infectieuses et tropicales.

A l’approche des vacances d’été, les hospitaliers tirent la sonnette d’alarme face à la pénurie de personnel et à la fermeture de lits qu’elle entraîne. Quel tableau dressez-vous de la situation ?

Anne Gervais-Hasenknopf  : On n’est pas en train d’attendre la catastrophe, on y est. L’hôpital public ferme. Pendant très longtemps, on a réduit les capacités des hôpitaux. On fermait les lits. Cela permettait de réduire le nombre de personnels car, on le sait, le personnel coûte cher. Il représente entre 58 % et 65 % du budget de l’hôpital. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit  : faute de personnel, on est contraint de fermer des lits.

Quel est le rapport avec la crise des urgences ? Une partie de l’explication à cette crise tient au manque de lits en aval. Lorsque des patients se présentent aux urgences pour de la bobologie, ils ressortent. Ils ont attendu dix heures, l’urgentiste n’est pas le mieux placé pour répondre à leur besoin  : ce n’est pas satisfaisant, mais ce n’est pas une catastrophe, c’est « juste » du gâchis.

La situation est autrement plus grave pour les patients qui ont besoin d’être hospitalisés. Par exemple, un de mes patients atteint d’une cirrhose du foie m’envoie un mail ou me téléphone pour me dire qu’il a de la fièvre et a pris du poids. Je lui propose une consultation en urgence et j’essaie de le gérer en externe, en lui disant de rentrer chez lui.

Mais si je me rends compte que j’ai besoin de l’hospitaliser malgré tout et que je n’ai pas de lit, je l’envoie aux urgences en me disant « je le prends dès que je peux ». Il attend sur un brancard ou dans un service post-urgences, et je demande au collègue urgentiste de faire quelques examens – ce qui, au passage, n’est pas son métier – en attendant qu’un lit se libère dans mon service.

Et voilà comment je contribue à mon échelle, malgré moi, à la crise des urgences, faute de lit dans mon service, par manque de personnel.

Quelle est la situation dans les deux services dans lesquels vous exercez ?

A. G. -H.  : Au service des maladies infectieuses à Bichat, qui est un gros service, avec 65 lits, un quart des lits sont aujourd’hui fermés et il manque 4 postes d’infirmier.e.s sur 22.

Au service d’hépatologie, à Mourier, qui est plus petit (24 lits), 50 % des lits sont fermés. Parmi les titulaires de jour, il reste 4 infirmières sur les 9 nécessaires. On fait appel à des intérimaires ou des soignant.e.s d’autres services.

Ces infirmier.e.s en renfort ne connaissent pas les patients, les pathologies prises en charge et les médicaments. Cela les met en insécurité et les dégoûte du métier.

On parle de perte de chance pour les patients. Qu’observez-vous ?

Leur espérance de vie peut se trouver raccourcie de quelques mois, mais ce ne sera pas très visible.

C’est ce qu’a montré une modélisation réalisée par l’Institut Gustave Roussy pour la prise en charge et le dépistage des cancers pendant la première vague Covid. Le fait de venir plus tard se faire dépister – se faire faire une coloscopie par exemple – retarde la prise en charge et entraînera une augmentation de la mortalité par cancer entre 2 % à 5 % à cinq ans.

L’effet est sans doute plus visible sur les soins intensifs, comme le rappellent les professionnels des services neuro-vasculaires. Pour les accidents vasculaires cérébraux (AVC), on sait qu’il y a un enjeu à ce que la prise en charge soit rapide, pour limiter les séquelles. Il faudrait voir s’il y a plus d’AVC pour lesquels les artères ne sont pas débouchées ou qui entraînent la mort des patients, lorsque la prise en charge ne répond pas aux standards recommandés.

Le recours à l’intérim à l’hôpital est pointé du doigt. Dans le Lot, un centre hospitalier a dû se résoudre à payer 3 000 euros la garde du week-end d’un médecin anesthésiste et 1 500 euros la garde en semaine. Au micro de France Inter, le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, (qui quitte ses fonctions fin juin) a qualifié les infirmières intérimaires de « mercenaires ». Qu’en pensez-vous ?

A. G. -H.  : Je peux témoigner de ma propre évolution idéologique sur cette question. Je suis personnellement très opposée à l’intérim, qui est contradictoire avec le service public, lequel implique un engagement sur le long terme, une responsabilité vis-à-vis des patients et un exercice collectif du métier.

Pour assurer le service public, on ne peut pas être là vingt-quatre heures et s’en aller. Il m’arrive de travailler avec des intérimaires. Cela signifie une perte en compétences et en rapidité. Ce sont des soignants qui souvent ne connaissent pas la spécialité, ce qui les met parfois en porte-à-faux.

Mais lorsque vous êtes écœurée des conditions de travail qu’on vous propose, vous préférez vous faire du mal seulement vingt-quatre heures, vous reposer trois jours et ne pas endosser la responsabilité du dysfonctionnement au quotidien. Je comprends qu’on se préserve, même si je ne le ferais pas.

Les intérimaires sont une conséquence du problème. Ce sont des médecins – souvent des urgentistes ou des anesthésistes – qui ont choisi le service public et ont fini par le quitter. Les mauvaises conditions de travail les transforment en intérimaires.

Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement que traiter les causes de ce problème, plutôt que ses conséquences, ce qu’on fait en stigmatisant les soignants qui y ont recours.

En janvier et février, l’ARS Ile-de-France a proposé des contrats très attractifs pour recruter des infirmier.e.s  : il s’agissait de CDD assortis d’une prime, de 4 000 euros si l’on s’engageait à rester six mois et 7 000 euros pour neuf mois.

Le gouvernement a beaucoup mis en avant le Ségur de la santé de 2020 pour dire qu’il avait répondu aux demandes des soignants. A l’évidence, ce n’est pas le cas. Quel bilan tirez-vous du Ségur ?

A. G. -H.  : Le Ségur a malheureusement été réduit au premier pilier, les revalorisations de 183 euros net par mois pour les paramédicaux. Il y a eu un artifice de la part du ministre de la Santé d’alors, Olivier Véran, qui a dit que la revalorisation pouvait atteindre pour certains près de 500 euros. Mais pour toucher 500 euros, il faut avoir vingt ans d’ancienneté. Or, les infirmières restent en moyenne cinq à sept ans, donc personne n’atteint ce montant.

le week-end et la pénibilité au travail, d’autre part.

En outre, cela reste en deçà des pratiques des pays alentour. Si vous êtes infirmière en Alsace, vous allez travailler en Allemagne ou en Suisse.

Quid des autres piliers du Ségur de la santé ?

A. G. -H.  : Il n’y a pas eu, comme nous le demandions, d’inversion de la logique. Sur le deuxième pilier, l’aspect budgétaire, l’hôpital public continue d’être régi par une logique comptable, qui part d’objectifs en matière d’économies à réaliser, plutôt que des besoins du terrain. Les projets de loi de financement de la Sécurité sociale adoptés depuis 2020 l’ont montré.

« L’hôpital public continue d’être régi par une logique comptable, qui part d’objectifs en matière d’économies à réaliser, plutôt que des besoins du terrain »

Il en va de même sur le troisième pilier, la gouvernance. Pendant la première vague Covid, on indiquait nos besoins, et la tutelle – l’administration, les directeurs – se mettait en quatre pour nous donner les moyens de bien travailler. Cela a été de courte durée. Elle a rapidement repris la main selon la logique  : « voilà les moyens, débrouillez-vous pour répondre aux besoins ». La prise de décision est verticale et budgétaire. Elle est déconnectée du terrain.

Cette déconnexion est devenue insupportable. On a l’impression que les décideurs ne se rendent pas compte de ce dont on a besoin, que la réalité de l’exercice du métier est niée.

D’autant que s’il y a un problème, c’est nous qui allons être responsables. Ceux qui font faire expliquent aux agents ce qu’ils ont à faire. Alors que ce sont ceux qui font, qui savent, et non ceux qui font faire.

D’où la coalition actuelle, qui rassemble infirmier.e.s, médecins de base et chefs de service. Les chefs de service non plus n’ont pas le sentiment d’être écoutés lorsqu’ils parlent. Leur légitimité professionnelle est pourtant indéniable.

Comment mettre en place les téléconsultations, qui sont très bien pour des riches en bonne santé, mais impossibles en pratique pour 30 % de la population plus âgée, ou moins connectée, ou souffrant de polypathologies ?

Le 8 juin, la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon (aujourd’hui démissionnaire après avoir été battue aux élections législatives) a annoncé des mesures d’urgence. Le doublement de la rémunération des heures supplémentaires du personnel non médical et du temps de travail additionnel des médecins, l’employabilité « immédiate » des élèves infirmiers et le cumul emploi-retraite « facilité » pour les soignants. Qu’en pensez-vous ?

A. G. -H.  : Cette mission comme l’annonce d’une grande conférence à l’été sont un moyen de gagner du temps. Le diagnostic et les propositions sont connues. Il est incompréhensible que la réponse à la situation actuelle soit une énième mission flash.

De plus, ce n’est pas en achetant plus cher des conditions de travail exécrables qu’on améliore ces conditions de travail. Cela risque de ne pas beaucoup attirer, sauf si le salaire est très très élevé et accru tous les six mois.

La preuve en est les contrats dorés de l’AP-HP proposés cet hiver dont j’ai déjà parlé. Il manque 1 400 postes d’infirmières à l’AP-HP. Avec ces contrats, on a réussi à en attirer 63. C’est bien la preuve que oui, on attire, mais que ça ne suffit pas, il faut améliorer les conditions de travail et reconnecter le terrain à la prise de décision.

L’annonce d’embaucher des étudiants infirmiers et aides-soignant.e.s ne décale leur arrivée que d’un mois. De plus, les jeunes diplômés ont besoin d’être encadrés.

« Il y a quelques années, l’hôpital public attirait 60 % d’une promotion d’infirmier.e.s. Aujourd’hui, il n’en attire plus que 30 %, le reste part en libéral »

Enfin, ils méritent bien de prendre un mois, ou même trois mois de vacances. Il faut réussir à les attirer, ce n’est pas la catastrophe qui donne envie de venir, mais la promesse d’une réelle amélioration des conditions de travail, du type  : « venez chez moi, c’est promis, je ne vous rappellerai pas le week-end ou sur vos jours de repos et je ne vous baladerai pas de service en service pour boucher les trous ».

Il y a quelques années, l’hôpital public attirait 60 % d’une promotion d’infirmier.e.s, qui compte 36 000 étudiants. Aujourd’hui, il n’en attire plus que 30 %, le reste part en libéral.

Selon Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), il y a environ 180 000 infirmières formées qui n’exercent pas. Seules des annonces fortes pourront leur donner envie de retrouver le chemin de l’hôpital public.

va certainement préconiser de réguler l’accès aux urgences. On ne pourra plus s’y présenter sans avoir eu l’aval d’un médecin en appelant le 15. Est-ce aller dans la bonne voie ?

A. G. -H.  : Pourquoi pas, mais cela soulève des problèmes pratiques et de responsabilité médico-légale. Si l’on veut réguler l’accès aux urgences, il va falloir embaucher massivement au 15 pour répondre aux appels.

Et s’il y a des milliers d’appels en plus, comment se met-on dans de bonnes conditions pour que la responsabilité ne retombe pas sur les assistants de régulation médicale, qui sont les personnes qui décrochent le téléphone avant de vous mettre en contact avec un médecin régulateur ?

Cela ne peut pas être une décision hors-sol de tel ou tel professeur. Une telle option implique de discuter avec les personnes concernées, aussi bien les médecins régulateurs que les assistants de régulation médicale.

Puis, bien sûr, il y a un risque de passer à côté du bon diagnostic. En médecine, on préfère toujours faire plus que pas assez, voir quelqu’un en trop que ne pas voir une personne qui en aurait eu besoin. On préfère qu’il y ait de la bobologie aux urgences plutôt que des gens qui meurent faute d’avoir pu se rendre à l’hôpital. Imposer la régulation pour les urgences augmente le risque.

D’autant qu’on ne sait pas toujours à quoi s’en tenir au premier abord. Si vous avez un gamin de 14 ans qui vous dit qu’il a des troubles visuels en ayant mal à la tête, c’est normal de vous inquiéter. Ce peut être une migraine ophtalmique – ce qui n’est pas grave – ou une tumeur cérébrale – ce qui l’est plus. Lorsque vous êtes parent, vous rendre aux urgences face à une telle situation est tout à fait compréhensible.

Enfin, la régulation n’a de sens que s’il y a un maximum d’investissement pour répondre à la demande des patients en dehors des urgences. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Cela pose la question de la prévention et de l’accès aux soins. Pour les plus pauvres – le premier dixième dans l’échelle des revenus – et les chômeurs, il y a 30 % de renoncement aux soins. Ce sont aussi ces personnes-là qui se rendent aux urgences. Pour vous faire dépister pour le cancer du col de l’utérus, si vous habitez dans le centre de Paris, vous faites un frottis tous les deux ou trois ans. Mais dans le Nord des Hauts-de-Seine, la moitié des cancers du col est dépistée par des hémorragies qui vous amènent aux urgences. C’est un peu tard. La régulation n’est donc pas une solution en soi.

Brigitte Bourguignon, très éphémère ministre de la Santé, quitte finalement le gouvernement après avoir été battue aux législatives. Aviez-vous pu vous faire un avis sur cette nouvelle tutelle ?

A. G. -H.  : Nous n’avons pas pu voir autre chose d’elle que son absence de réponse à nos demandes de rendez-vous et un aveuglement sans borne lorsqu’elle nous taxait d’oiseaux de mauvais augure, au motif que nous tenions des propos anxiogènes.

Comment réagissez-vous ?

A. G. -H.  : J’ai rarement vu quelqu’un avec un ego aussi grand. C’est aussi quelqu’un de très politique, capable de s’adapter en un rien de temps et de mettre en avant les autres pour ne pas endosser directement la responsabilité de ses décisions. A l’AP-HP, ses idées ont pu être soutenues par des médecins plus proches du pouvoir que du terrain. Ce fut le cas par exemple sur les gros regroupements d’hôpitaux ou de services. Au directoire, lorsque le président de la Commission médicale d’établissement (CME)  avait une idée divergente et qu’il exprimait des doutes, Martin Hirsch s’est souvent servi des oppositions du corps médical, ce qui a pu délégitimer la parole du président de la CME. Je le dis en connaissance de cause, ayant été vice-présidente de la CME de l’AP-HP de 2013 à 2019.

la déconnexion de la décision par rapport au terrain par exemple pour les gros regroupements d’hôpitaux et de services ; la mutualisation du personnel, baladé de service en service, sous couvert d’ode à la polyvalence, et l’alourdissement de la charge de soin pour les infirmier.e.s, avec des ratios passés d’un.e infirmier.e pour 8 patients, à un.e infirmier.e pour 12 ; la « valorisation des données de santé », à la mode start-up nation, sans vraiment informer les patients ; la surfacturation des chambres simples ; des open space pour tous ; une meilleure rémunération pour ceux qui s’éloignent du soin, etc. Bref, on ne le regrettera pas.

Le problème est que si son successeur pressenti, Nicolas Revel est sans doute plus sympathique, il est vraisemblablement taillé dans le même moule. Je suis persuadée que ces hauts fonctionnaires croient dur comme fer à leur analyse, selon laquelle les méchants docteurs et les méchantes infirmières les empêchent de rationaliser comme il le faudrait et de développer des économies indispensables et à portée de main.

A rebours de ces orientations, que faudrait-il faire pour répondre à la situation délétère dans laquelle se trouve l’hôpital public ?

A. G. -H.  : L’un des problèmes actuels est la perte de confiance dans la parole du ministère. Les responsables politiques doivent commencer par envoyer un signal fort, montrer qu’ils ont compris ce qui est en jeu et que la logique des décisions change, tout de suite. Il faut commencer par réparer l’hôpital public et faire des annonces qui ne soient pas des mesurettes.

On ne croit plus aux beaux discours. Le gouvernement doit très rapidement prouver sa bonne foi et sa détermination à répondre au problème.

Prenons la première question  : les revalorisations salariales et l’amélioration des conditions de travail. Qu’attendez-vous ?

A. G. -H.  : Nous avons des revendications sur les salaires, mais rien ne changera si les conditions de travail ne s’améliorent pas très rapidement. Les gouvernants doivent faire la preuve qu’ils ont compris qu’une infirmière n’est pas un pion qu’on déplace. On doit la respecter, donc respecter ses horaires, ses pauses, son repos, ses vacances. Il faut entre six mois et deux ans avant de se sentir à l’aise dans sa spécialité. Elle ne peut pas circuler d’un service à l’autre. Un boucher ne peut pas devenir boulanger. C’est pareil entre services hospitaliers. Un service, c’est une équipe et des compétences.

Surtout, pour améliorer les conditions de travail, il est essentiel d’annoncer des ratios. Aujourd’hui, en raison de la prime à l’équilibre budgétaire qui guide les politiques à l’hôpital, on se retrouve avec des ratios impossibles, de l’ordre d’une infirmière pour 14 patients. A comparer à une infirmière pour 6 patients en Suisse ou une pour 4 en Californie. Devoir prendre en charge 14 patients en même temps vous met dans l’impossibilité de pouvoir exercer correctement votre métier, et vous en dégoûte.

Alors bien sûr, on dit « si on annonce de tels ratios, on va être obligé de fermer la moitié des services ». Mais si on n’annonce rien, la fuite sera définitive. Il faut donc proposer un plan sur plusieurs années pour promettre d’être à une infirmière pour six ou huit patients en 2025.

Pendant la première vague Covid, en mars-avril 2020, on a fait le plein de jeunes retraités et d’infirmier.e.s. On avait une infirmière pour 6 patients. Idem pour les manipulateurs radio  : je demandais un scanner et je l’avais  ! C’est horrible de dire les choses ainsi, pour tous les patients qui sont morts, mais du point de vue des conditions de travail, c’était une période magique, mis à part pour les « équipements de protection » dans bien des endroits. Cela a montré que lorsqu’il y avait une vraie cohésion nationale, on pouvait rapidement redresser la barre. Le problème, comme je l’ai dit, est que ça n’a pas duré.

Peut-être faut-il aussi sanctionner, montrer que des comportements de directeurs qui affirment « les médecins sont des divas », comme la directrice de l’hôpital de Metz , ou qui ne s’émeuvent pas avec les personnels qu’il faille faire la toilette des patients sur des brancards, sont intolérables. Les sanctionner serait une façon de faire passer le message que ces comportements-là, c’est fini.

Que faudrait-il faire en matière de gouvernance ?

Pendant la première vague Covid, on nous demandait notre avis. On bossait bien et on n’a pas dépensé de façon inconsidérée. Il est vital d’introduire une gouvernance qui associe la population par ses élus ou les usagers par les associations de patients, les soignants, médecins ou non, et la tutelle. Il y a trois parties à mettre ensemble.

Pour l’instant, l’hôpital est dans la lignée de la loi HPST de 2009 avec un directeur qui décide. Il existe un puissant lobby directorial, avec une caste de bureaucrates qui a pris le contrôle de l’hôpital. Si le directeur est un despote éclairé, il ouvrira les instances de décisions aux paramédicaux. Mais cela dépend de sa bonne volonté, ce n’est pas normal. Etranglés par une nécessité salutaire, les directeurs ont dû lâcher le pouvoir en mars 2020, mais ils l’ont très vite récupéré.

des contrôleurs qui vérifient Ce contrôle est extrêmement chronophage. Les cadres de santé sont littéralement englouti.e.s par cette bureaucratie du contrôle.

Actuellement, on est en période de certification qualité des hôpitaux, une procédure obligatoire qui a lieu tous les quatre ans. Alors que c’est l’émeute aux urgences, des contrôleurs viennent réaliser des audits pour certifier tel ou tel hôpital. Le contrôle est déconnecté de la réalité, il consiste à cocher des cases. Ce triomphe de l’audit est absurde. Même la Haute autorité de santé (HAS), qui est pourtant à la manœuvre, a reconnu en mars qu’il y avait un problème. Le gouvernement devrait dès à présent annoncer un moratoire sur les certifications pour montrer sa bonne volonté.