L’emprise croissante de la Chine sur les données relatives aux flux mondiaux de marchandises fait craindre à Washington et à des responsables du secteur que Pékin n’exploite ses informations sur la logistique à des fins commerciales ou stratégiques.Même lorsqu’elles ne sont pas destinées à la Chine, les marchandises transitent souvent par les réseaux de logistique mondiaux de Pékin, y compris par des systèmes de données sophistiqués visant à suivre les expéditions passant par des ports très éloignés de la Chine. Contrôler les flux de marchandises et d’informations qui y sont liées permet à Pékin d’obtenir un accès privilégié à des données sur le commerce mondial, et potentiellement, d’influencer ce dernier, affirment des responsables du secteur.Compte tenu de la congestion des ports à l’échelle planétaire et des pénuries qui affectent de nombreux secteurs, les données relatives au transport maritime sont devenues particulièrement précieuses.Outil phare des systèmes chinois de données sur les marchandises, Logink, réseau numérique reliant des expéditeurs à l’échelle du globe, se présente comme une « plateforme complète de services d’informations logistiques ». Il affirme s’appuyer sur l’association de bases de données publiques et d’informations émanant de plus de 450 000 utilisateurs en Chine ainsi que de dizaines de ports de premier plan dans le monde entier, y compris le long des nouvelles routes de la soie, projet international d’infrastructures lancé par Pékin se chiffrant en milliers de milliards de dollars, ainsi que dans le cadre de ce que la Chine nomme la « route de la soie numérique ».Le rayon d’action mondial de Logink met en lumière le retard pris par l’Occident sur la Chine dans un domaine critique de l’économie mondiale. Les expéditeurs rêvent depuis des années d’une numérisation des données sur les marchandises.Lancé en 2007, Logink, initiative à but non lucratif, fonctionne sous le contrôle du ministère chinois des Transports. Ses liens croissants avec les ports et réseaux logistiques hors de Chine ont commencé à attirer l’attention de Washington.La fenêtre sur le commerce mondial qu’ouvre Logink « pourrait donner au détenteur des données l’accès à une mine de renseignements revêtant un intérêt à la fois en termes économiques et de sécurité nationale », explique Michael Wessel, membre de la Commission Etats-Unis–Chine du Congrès américain pour les questions économiques et de sécurité, qui a lancé la semaine dernière une étude sur le système.« Ce devrait être un sujet de préoccupation bien plus important que cela ne l’a été jusqu’à présent », estime M. Wessel.Le Département de la Défense achemine des équipements militaires au travers de ports de commerce situés dans le monde entier. Un porte-parole de sa branche logistique, Transportation Command, indique qu’avec ses nouvelles routes de la soie, « la Chine cherche à acquérir une meilleure visibilité de la chaîne logistique mondiale, y compris s’agissant de la logistique militaire américaine ». Le porte-parole n’a pas apporté de commentaire direct relatif à Logink.
« La Chine cherche à acquérir une meilleure visibilité de la chaîne logistique mondiale, y compris s’agissant de la logistique militaire américaine »
Logink s’est développé en Chine pendant des années En 2010 de peur de se voir dépasser par la concurrence. Lors d’une conférence récemment organisée à Copenhague sur les « réseaux maritimes intelligents », divers intervenants ont déploré l’échec du secteur à renforcer son efficacité grâce au partage de données.« Aujourd’hui dans la logistique, le flux d’informations importe autant que celui de l’argent ou des marchandises », a souligné Inna Kuznetsova, spécialiste de la logistique et directrice générale de la société d’analyse de données 1010Data à New York.A Rotterdam, Portbase parvient à convaincre les entreprises en leur promettant qu’elles conserveront toujours la propriété des données dans le système. Comptant parmi les plateformes numériques de transport maritime les plus sophistiquées hors de Chine, Portbase s’engage à ne traiter les données que sur autorisation de leurs propriétaires. Toutefois, l’entreprise ne couvre que les Pays-Bas.En 2019, Portbase a signé avec Logink un accord préliminaire de coopération, mais l’initiative n’a guère progressé durant la pandémie et cette année, les deux parties n’ont pas eu de discussions directes, précise M. van der Wiel.En accumulant autant d’informations et en facilitant la communication à travers les chaînes d’approvisionnement, la Chine a montré ce que la numérisation de la logistique pouvait apporter.« Logink est un chef-d’œuvre d’innovation technique que d’autres plateformes ne peuvent qu’envier », affirme Andre Wheeler, ancien dirigeant du secteur logistique basé à Perth, en Australie, et aujourd’hui consultant, après avoir analysé le système chinois pendant plusieurs années. Selon M. Wheeler, Logink a une dizaine d’années d’avance sur ses concurrents, ce qui peut convaincre d’autres pays de le rejoindre pour « s’épargner la phase de développement technique ».
En contrôlant Logink, le gouvernement chinois accède aussi à des données à l’échelle de l’ensemble du réseau de la même manière qu’Amazon obtient une vue d’ensemble du commerce à travers sa plateforme
Traduit à partir de la version originale en anglais par Anne Montanaro.