A six mois de l’élection présidentielle, l’énergie, jusqu’ici plutôt discrète, s’invite partout dans la campagne. Il faut dire que le sujet est primordial. A la fois pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens, menacé par une flambée exceptionnelle des cours. Mais aussi, in fine, pour décider de l’avenir du modèle français, dans un contexte de dérèglement climatique. Et sur ce dernier point, la question prend la forme d’une équation à deux inconnues : quelles places les énergies nucléaire et renouvelables devront-elles occuper dans les prochaines décennies ? Pour y répondre, force est de constater que le débat public se polarise. De la fronde contre l’éolien de Marine Le Pen (RN) ou de Xavier Bertrand (LR) à la position fermement anti-nucléaire de Yannick Jadot (EELV), en passant par une forme de sacralisation d’une énergie atomique historique, signe d’une souveraineté aujourd’hui « perdue », par Eric Zemmour : chacun prêche pour sa paroisse, sélectionnant habilement les arguments validant sa cause. Une cacophonie qui brouille les frontières entre convictions politiques et faits scientifiques, a regretté le Syndicat des énergies renouvelables (SER), qui organisait jeudi dernier son colloque annuel. « Halte à la désinformation, aux idées reçues et aux antagonismes factices », a fait valoir son président, Jean-Louis Bal, lançant « un appel à la responsabilité pour la campagne qui s’ouvre ».
Tout le renouvelable et tout le nucléaire
Surtout, le SER n’a pas défendu que les énergies renouvelables, cibles de « contre-vérités » : il a également appelé à ne pas écarter complètement le nucléaire, qui représente toujours près de 70% du mix électrique français (contre 25% environ de renouvelable, notamment hydraulique), permettant à l’Hexagone de bénéficier d’une électricité bas carbone. En effet, même en analysant l’ensemble de son cycle de vie – en prenant en compte les émissions liées à l’extraction de l’uranium ou au béton des centrales – le nucléaire émet très peu de gaz à effet de serre : beaucoup moins que le charbon ou le gaz, et même moins que le solaire.
« Avoir le luxe de choisir entre plusieurs solutions décarbonées, ça n’existe pas. Le seul sujet, c’est : comment on fait pour décarboner vite », a ainsi affirmé Nicolas Couderc, directeur général adjoint d’EDF Renouvelables et administrateur du SER. Et d’ajouter, pour mettre fin à toute opposition : « On aura besoin de tout le renouvelable et de tout le nucléaire ».
Car il s’agit, pour le SER, de s’unir contre un « ennemi » commun : les énergies fossiles émettrices de CO2 (charbon, pétrole et gaz), qui représentent encore près de 65% de la consommation finale d’énergie dans l’Hexagone. D’autant que la consommation d’électricité devrait bondir dans les prochaines années, atteignant d’ici à 2050 l’ordre de 630 TWh, contre environ 470 TWh aujourd’hui, selon les prévisions du gestionnaire du réseau RTE. Exigeant une augmentation similaire de l’offre, que les énergies renouvelables risqueraient de ne pas pouvoir offrir à elles seules – du moins dans un premier temps. Eolien : le gouvernement promet un développement « responsable » des futurs parcs
Solution sur le court terme
Le ton est donné, au moment où le pays le plus nucléarisé du monde s’apprête à se prononcer sur les suites à donner à son programme dans l’atome. Car même si le gouvernement donne le feu vert à la construction de nouveaux EPR (European Pressurized Reactor, des réacteurs de troisième génération) sur le territoire, l’essor du renouvelable ne s’en trouverait pas affecté, a fait valoir le SER.
« Il faut arrêter de comparer les énergies entre elles. Elles utilisent des moyens différents », a insisté Xavier Daval, PDG de l’entreprise spécialisée en gisement solaire kiloWattsol et vice-président du SER.
Reste que la capacité française dans l’atome ne doit pas écarter les autres sources d’énergie bas carbone du débat public, a fait valoir Jean-Louis Bal. « Le plus grave, c’est quand on dit que les renouvelables, ça ne sert à rien, car le mix est déjà décarboné par le nucléaire », a-t-il avancé. Car face à l’augmentation prochaine de la consommation d’électricité, « ce n’est pas la construction de nouveaux EPR qui peut apporter une réponse immédiate à ces besoins de court terme », a-t-il affirmé. Un argument régulièrement brandi par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, puisque la mise en place de ces réacteurs prend de nombreuses années, et peut accumuler un long retard – en témoigne le chantier en cours depuis 2004 à Flamanville.
Six scénarios sur le mix en 2050
Pour y voir plus clair sur la répartition concrète, RTE publiera le 25 octobre une étude inédite sur les différents chemins de la neutralité carbone et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, intitulée « Futurs énergétiques en 2050 ». Le gestionnaire de réseau y comparera six scénarios de mix énergétique : trois comportant du nouveau nucléaire, et trois qui n’en comporteront pas, dont l’un allant jusqu’à 100% d’énergies renouvelables en 2050. Nucléaire : des élus normands en ordre de bataille pour accueillir des EPR Son président, Xavier Piechaczyk a d’ores et déjà révélé sur Twitter que, si elle veut parvenir à 50% de production nucléaire, il faudrait que la France soit capable de construire en 30 ans « à peu près 14 EPR, une quinzaine de SMR [Small Modular Reactors, des petits réacteurs modulaires, ndlr], et de prolonger certaines tranches nucléaires au-delà de 60 ans ». Un défi immense que pourrait influencer la décision de Bruxelles sur la taxonomie « verte », c’est-à-dire l’inclusion ou non de l’atome dans les activités jugées bonnes pour le climat afin d’aiguiller les investisseurs. Le gouvernement français plaide depuis plusieurs mois pour l’intégration de l’atome dans cette liste, et a publié hier une tribune en ce sens, aux côtés de neuf autres Etats membres.
Marine Godelier
11 Oct 2021, 16:14