En 2017, les doigts d’une main suffisaient à compter les candidatures issues des minorités visibles à Québec. À Lévis, le calcul était encore plus simple : il n’y en avait aucune.
Quatre ans plus tard, le portrait est différent et la diversité de la région de Québec se reflète davantage sur les pancartes électorales.
Radio-Canada a parlé à des candidats de chaque parti pour connaître le parcours atypique qui a forgé leur engagement politique, mais aussi les écueils auxquels ils doivent faire face depuis le début de la campagne.
Seul Lévis Force 10 n’a pas répondu à nos appels.
Une place à prendre
Elle brigue le siège du district du Plateau, où sa famille habite depuis 16 ans, sous la bannière de Québec forte et fière.
ça fait 18 ans qu’on est à Québec, 16 ans que nous vivons sur le Plateau.
ce n’est pas votre droit de voter. C’est un privilège.
Depuis l’obtention de leur citoyenneté canadienne, ses parents n’ont d’ailleurs jamais manqué à leur devoir d’électeur.
c’est notamment pour que des citoyens comme elle trouvent la leur dans une ville comme Québec.
même si on contribue dans le milieu, même si on s’implique partout, même si on fait tout comme n’importe quel autre citoyen.Une citation de :Sophia Laababsi
Dans le regard des gens qu’elle croise au cours de la campagne, Sophia Laababsi réalise que sa candidature se résume parfois à ses origines.
Ça dépend à quelle porte je cogne.
Pour la justice
Le parcours de Mbaï-Hadji Mbaïrewaye, commencé au Tchad, poursuivi au Cameroun, en France, en Belgique et finalement au Québec, l’a convaincu de s’engager pour les moins fortunés de la société. Radio-Canada / Olivier BouchardEnfant, Mbaï-Hadji Mbaïrewaye a connu la guerre et la dictature dans son Tchad d’origine. Il est établi depuis 2007 à Québec, et c’est la démocratie et la justice qui animent son engagement politique.
J’ai vécu les privations que la guerre peut amener, j’ai vécu la dictature dans mon pays. Le goût de la justice vient de là, parce que j’en ai été privé quand j’étais jeune.Une citation de :Mbaï-Hadji Mbaïrewaye
Celui qui se présente sous la bannière de Démocratie Québec se rappelle de l’homme belliqueux qui dirigeait le pays de son enfance, Hissen Habré. Pour financer ses guerres, il a coupé la moitié des salaires des fonctionnaires. On avait des problèmes à la maison pour tenir les deux bouts. C’est là que j’ai compris que le pouvoir pouvait faire du mal et que le pouvoir pouvait faire du bien aussi.
Il s’est frotté au profilage pour la première fois en Belgique, lors de ses années d’études à Anvers. La police m’a menotté, on m’a amené au commissariat : c’est là que j’ai connu le racisme, se souvient le candidat dans Saint-Roch-Saint-Sauveur. Ça m’a beaucoup marqué. Avant, c’était surtout la justice sociale qui m’animait. À partir de cette expérience, j’ai ajouté la justice raciale à mes luttes. Je suis sensible à cet enjeu-là parce que je l’ai vécu moi-même.
Ce racisme, il le côtoie encore quelques fois à Québec. Il y a trois semaines, ma pancarte a été vandalisée : on a écrit le mot « nègre » dessus, déplore-t-il.
Cet épisode xénophobe ne suffit pas à faire dévier Mbaï Hadji Mbaïrewaye de sa mission. S’il a sauté dans l’arène politique, c’est entre autres pour inspirer la jeunesse de Québec.
dans les médias, dans les chambres de commerce, ils se sentent exclus.Une citation de :Mbaï-Hadji Mbaïrewaye
Je suis là pour moi, pour toute la population, mais aussi pour toute une communauté qui n’est pas assez représentée dans les lieux de pouvoir, conclut-il.
Tracer la voie
Boufeldja Benabdallah brigue les suffrages pour la première fois dans le district de Cap-aux-Diamants. Radio-Canada / Sébastien TanguayArrivé au Québec il y a 52 ans, le candidat d’Équipe Marie-Josée Savard, Boufeldja Benabdallah, n’a jamais cru qu’il se lancerait en politique dans son pays d’accueil. L’ancien chercheur de l’Université Laval est né en Algérie dans la ville millénaire de Tlemcen.
Je n’ai jamais pensé à faire de la politique, si ce n’est que d’œuvrer dans les regroupements communautaires et religieux. L’opportunité s’est présentée et c’est l’heure, indique le candidat révélé au public en 2017 en raison de son rôle à la suite de l’attentat de la grande mosquée de Québec.
Selon l’Équipe Marie-Josée Savard, M. Benabdallah représente, avec David Weiser, de spiritualité juive, un des deux candidats issus de la diversité culturelle en lice pour le parti.
Habitué des caméras, le candidat convient que certains de ses proches de foi musulmane ont accueilli avec surprise sa décision de se lancer dans l’arène politique. Il y en a qui me disent : « Mon Dieu, tu es fort. Tu ne penses pas que tu vas te fatiguer? Québec, c’est une ville tissée serré, très québécoise.
Or, M. Benabdallah souhaite poursuivre le travail amorcé avec l’administration Labeaume au sujet du vivre ensemble.
Je vous l’avoue, ce n’est pas facile. Mais avec le temps, ça le deviendra. Quand je fais du porte-à-porte, je le vois. Les gens sont très gentils. Mais quand je demande si je peux compter sur leur vote, ils nous disent qu’ils vont réfléchir.Une citation de :Boufeldja Benabdallah
Il y a cet écart entre la reconnaissance et le fait de me donner cette chance de les représenter et de devenir un homme politique avec mon profil de musulman, souligne le candidat. Je dirais que 75 % des gens sont hésitants.
Plusieurs, au contraire, veulent voir M. Benabdallah être élu pour poursuivre cette ouverture vers la minorité musulmane. À 72 ans, un de ses objectifs est d’ouvrir la voie à ses confrères musulmans, dont bon nombre ont de l’expertise et des idées, selon M. Benabdallah.
Il y a beaucoup d’hésitations. Les gens ne sont pas habitués à ça. Sans prétention, je le fais un peu pour tracer la voie, souligne-t-il.
La compétence avant la couleur de peau
Radio-Canada / Daniel CoulombeLe candidat sortant de Québec 21 Stevens Mélançon est aussi le seul candidat de son parti à être issu de la diversité.
M. Mélançon réside à Québec depuis 61 ans, moment où sa famille l’a adopté avec son frère et sa sœur. Dans mon patelin, ç’a été relativement facile. Le secret, c’est de se mêler aux autres, croit-il.
Il a été le premier élu d’origine haïtienne à siéger à l’Hôtel de Ville. Mais récemment, une de ses affiches électorales dans Chute-Montmorency-Seigneurial a été vandalisée à cause de sa couleur de peau. Une personne a dessiné un X au feutre noir sur son visage et écrit un Noir.
De dire que j’ai des tensions, je ne vous dirais pas que c’est du 100 %. Ça arrive à l’occasion, mais à 98 %, les gens sont respectueux.
Pour lui, c’est la compétence, et non sa couleur de peau, qui doit motiver les gens à voter pour lui le 7 novembre.
Marquer l’histoire à Lévis ?
Elhadji Mamadou Diarra est le premier candidat issu de la diversité à briguer la mairie de Lévis. Radio-Canada / Steve BretonÀ Lévis, le seul candidat issu de la diversité en lice parmi les deux partis dans la course n’est pas passé sous le radar.
Le chef de Repensons Lévis, Elhadji Mamadou Diarra, est né à Dakar, au Sénégal. Il réside au Québec depuis 26 ans. La famille était derrière moi. Ma femme et mes enfants. Tout le monde était content que ça puisse arriver, témoigne-t-il.
S’il accède à l’Hôtel de Ville, il sera le premier maire de Lévis issu de la diversité. Or, il affirme ne pas être là pour cette raison.
Ce n’est pas nécessaire pour qu’on écrive l’histoire. Mais s’il faut écrire l’histoire, tant mieux, explique M. Diarra, qui assure que la majorité des échanges avec les citoyens se passent très bien.
Il convient toutefois que sa couleur de peau peut autant être une force qu’un défi.
C’est certain que tout le monde n’est pas rendu à ce stade d’ouverture. C’est une force dans le sens où j’apporte des valeurs personnelles, des valeurs d’ouverture, de respect, de transparence, de pouvoir travailler avec tout le monde.Une citation de :Elhadji Mamadou Diarra
Autre force : Elhadji Mamadou Diarra dit être particulièrement conscient de la réalité vécue par les Lévisiens issus de l’immigration, ce qui lui donne une longueur d’avance pour bien les accueillir.
Depuis 2013, il est engagé au sein de l’organisme Le Tremplin Lévis, qui vise à aider les immigrants à mieux s’intégrer.
Bâtir des ponts
Candidat du parti de Jean Rousseau, Démocratie Québec, Bertrand de L’Épinay se présente dans le district du Plateau. Radio-Canada / Victor ParéBertrand de L’Épinay se présente pour la première fois dans le district du Plateau pour le parti mené par Jean Rousseau. Adopté par un père français et une mère québécoise, il est arrivé à Québec à l’âge de 5 ans.
pour la toute première fois, que sa couleur de peau pouvait déranger.
Dès mon arrivée à l’école, j’ai été persécuté à cause de ma différence. Ce n’était vraiment pas évident, se souvient-il.
28 ans plus tard, c’est avec émotion qu’il raconte ce que son père lui avait dit pour calmer son ressentiment.
En fait c’est très, très simple : moi, je ne comprenais pas, j’avais juste de la peine, je faisais juste pleurer. Mon père, lui, il était très, très, très en colère, se souvient le candidat. Il m’a juste expliqué que j’étais quelqu’un de différent et que j’étais chanceux, parce que j’étais un enfant qui avait été choisi et que ce n’était pas tous les enfants qui avaient cette joie-là.
Cette expérience marque son engagement politique encore aujourd’hui. Lui préfère parler d’inclusivité au lieu de diversité, une manière de miser sur tout ce qui rassemble les citoyens de Québec plutôt que les quelques différences qui les distinguent.
Il admet toutefois que, même si un grand bout de chemin a été fait depuis la discrimination dont il était victime dans la cour d’école, une certaine défiance ponctue parfois ses rencontres.
C’est presque toujours dans le non-verbal. Parfois, des portes sont grandes ouvertes et les gens sont chaleureux; parfois, les gens font juste écarter leur rideau ou viennent chercher leur chien sans m’ouvrir la porte.Une citation de :Bertrand de L’Épinay
croit Bertrand de L’Épinay. Mais quand on vient d’un certain milieu, on apprend à reconnaître certains signes.
Quoi qu’il en soit, ces non-dits renforcent son engagement électoral. Lui dont les racines sont plantées dans deux réalités, il a bien l’intention de bâtir des ponts plutôt que d’attiser les divisions.
Élargir l’horizon de la jeunesse de Saint-Pie X
Hamed Sandra Adam souhaite inspirer les jeunes à s’engager en politique. Radio-Canada / Victor ParéNé au Congo, arrivé à Québec à l’âge 8 ans, Hamed Sandra Adam se porte aujourd’hui candidat pour Transition Québec dans Maizerets-Lairet.
La crise du logement, il la connaît depuis longtemps. Dans sa fratrie de six enfants, les déménagements se faisaient au rythme des naissances.
à 32 ans.
C’est en débarquant à Saint-Pie X, haut lieu de diversité ethnique à Québec, qu’il a trouvé un sentiment d’appartenance. C’est d’ailleurs au pied de ses deux tours caractéristiques qu’il a pris la parole publiquement pour la première fois de sa campagne.
Il y a des gens que je côtoie depuis presque 25 ans et de voir la satisfaction dans leur regard, ça m’a étonné, se surprend encore le candidat. C’est comme si j’étais devenu une autre personne alors que je les connais depuis le primaire !
Dès les premiers instants de sa campagne, il a su que son engagement politique était valable.
Ce qui m’a vraiment frappé, le moment où je me suis rendu compte que c’était vraiment important la démarche que je m’apprêtais à faire, c’est qu’après avoir fait mon discours, des jeunes de 10, 11, 12 ans m’ont dit : « Quand ce sera mon tour, j’aimerais changer ça, ça et ça. »Une citation de :Hamed Sandra Adam
Selon moi, c’est l’effet d’avoir vu un gars comme eux, qui vient du même milieu qu’eux, se présenter pour améliorer un peu le sort de leur quartier et les inciter à s’impliquer, termine le candidat.