L’électrification automobile ne va pas aussi vite que les chiffres!


© Challenges – N. Meunier
Renault Zoé et Peugeot e-208

Pour la deuxième année consécutive, les voitures électriques ont connu joli succès commercial, représentant 9,77% des ventes en France et 11,2 % en Europe. L’engouement est réel, mais ces deux dernières années très particulières ne permettent pas de tirer de conclusion définitive. Et la chute du diesel au profit des hybrides n’est qu’une illusion.

Les chiffres du marché automobile 2021 semble témoigner d’un engouement certain pour les voitures électriques. La hausse des parts de marché des véhicules à batterie est en effet spectaculaire. De 1,9% en France en 2019, elle est passée à 6,7% en 2020 et 9,77% en 2021. La tendance est identique en Europe, avec une part de marché des modèles électriques qui a grimpé de 6,7% à 11,2% entre 2020 et 2021. Evidemment, cela se traduit également dans les volumes, qui sont passés en France de 42.763 unités en 2019 à 110.911 en 2020 et 162.106 en 2021, chiffre qui atteint 1,2 million en Europe. La hausse est moins spectaculaire de ce point de vue: la pandémie et la pénurie de semi-conducteurs sont passées par là. Certains vont jusqu’à extrapoler les parts de marché de 2021 pour prédire des volumes records lorsque le marché aura trouvé son niveau d’avant-crise. Mais se baser sur les parts de marché de 2020 et 2021 pour prédire l’avenir est hasardeux: la voiture électrique a progressé plus vite que le marché, mais de manière artificielle.

Des parts de marché faussées en 2020 et 2021

L’année 2020 a été marqué par la mise en place en Europe de la norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy), qui impose aux constructeurs de respecter un objectif moyen de CO2 pour tous les modèles qu’ils ont vendu au cours de l’année, sous peine de devoir verser de lourdes amendes à l’Union Européenne. La prise en compte des immatriculations étant fixée au 1er janvier 2020, de nombreuses livraisons de voitures électriques prévues pour 2019 ont été repoussées de quelques semaines. A l’époque, le groupe PSA qui n’était pas encore Stellantis, avait ainsi retardé l’arrivée de ses modèles électriques (Peugeot e-208 et e-2008, DS 3 Crossback E-Tense…) pour ne pas griller de précieux « jokers » qui pourraient faire baisser la moyenne. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les immatriculations mensuelles de voitures électriques sur cette période: 3.201 en novembre 2019, 4.803 en 2020 puis… 10.952 en janvier 2020 et 9.451 en février 2020! Voilà qui a complètement biaisé le jeu. La part de marché et le nombre de voitures électriques vendus en 2019 est inférieure à ce qu’elle aurait dû être, et celle de 2020, supérieure. La pandémie de Covid-19 n’aurait certes dû n’avoir qu’une influence sur les volumes vendus, et non sur les parts de marché. Mais en 2021, c’est un autre phénomène qui nous a brouillé l’écoute: la pénurie de semi-conducteurs. Les constructeurs ne pouvant répondre à la demande, ils ont réorienté leur production sur les modèles les plus intéressants pour eux. Cela concerne les modèles les rentables, donc les plus haut-de-gamme et généralement les plus lourds… Et donc plus émetteurs de CO2. Pour ne pas s’exposer aux amendes de l’Union Européenne, les groupes automobiles ont donc joué les équilibristes, en favorisant également les voitures électriques, quitte à refuser des commandes de modèles à moteur essence ou diesel. Voilà qui a artificiellement boosté le marché des modèles à batterie, encore une fois. L’année 2021 concerne un marché de pénurie. Les 11,2% de modèles électriques immatriculés en Europe ne correspondent pas aux modèles choisis par les clients, mais aux modèles que les constructeurs ont bien voulu produire. « Dans une année normale de marché à 14,2 millions de voitures particulières, ce même volume de voitures électriques n’aurait représenté que 8,4% du marché », explique l’analyste Matthias Schmidt à nos confrères de L’Usine Nouvelle. Les chiffres de 2021 ne sauraient donc présager de la réelle proportion des ventes après un retour à la normale. Cette situation devrait perdurer sur une bonne partie de l’année 2022.

Des diesels comptés parmi les hybrides!

D’aucuns prédisent déjà la mort du diesel. Selon les chiffres du CCFA, ce carburant conspué depuis 2015 et le scandale des diesels truqués n’a cessé de reculer pour atteindre un niveau historiquement bas en 2021, avec 21% de parts de marché, contre 31% en 2021. Mais là encore, il convient de lire entre les lignes. Dans le même temps, la part de marché des hybrides passait de 14,8% à 25,8%. Si, en fait d’hybrides, on pense majoritairement aux Toyota capables de rouler en mode tout électrique ponctuellement, d’autres types de modèles entre dans cette catégorie. Ainsi, elle comprend les motorisations à hybridation légère 12 Volts, 24 Volts ou 48 Volts, où l’alterno-démarreur n’est qu’une assistance capable de faire baisser la moyenne de CO2 de quelques grammes. Ces modèles bénéficient d’une carte grise « hybride » (gratuite ou à moitié prix dans la plupart des départements), alors que ce type de dispositif est en passe de devenir la norme sur la plupart des modèles thermiques. En ne séparant pas les « vrais » hybrides de ces modèles thermiques améliorés, les chiffres donnent l’illusion d’une chute des ventes de modèles diesel mais aussi essence (part de marché de 40,2% en 2021 contre 46,9% en 2020), bien éloignée de la réalité. Les statistiques de BMW en sont un exemple concret. Le constructeur bavarois considère ses modèles à hybridation légère comme des thermiques et annonce sur l’année 2021 une part de vente de 47% pour le diesel, de 25% en essence, et de 23% en hybride rechargeable… « Selon les critères du CCFA, nous n’immatriculons plus aucun modèle diesel en-dehors de notre gamme compacte! », s’amuse un porte-parole de la marque.

Seulement 50% des ventes d’électrique en 2030

Bien malin qui saura prédire la vitesse de progression des modèles électriques lorsque le marché sera revenu à la normale. Ce qui est sûr, c’est que les conditions réglementaires ont biaisé les immatriculations de ces deux dernières années, alors que la méthode de comptage des modèles hybrides au niveau gouvernemental donne une vision complètement faussée de la baisse des ventes de modèles thermiques. Bref, tout est fait pour donner l’impression que la transition énergétique va plus vite qu’elle ne l’est en réalité. L’électrification massive promise dans les plans de communication des constructeurs automobiles semble également un leurre, comme le prouve une récente étude de KPMG, où ont été sondés les décideurs de l’industrie automobile. A la question « En 2030, quelle sera à votre avis la part de marché des voitures électriques », on est très, très loin de 100% que le discours ambiant laisse imaginer. Au niveau mondial, la moyenne des réponses tourne autour de 50%, et les sondés d’Europe Occidentale avancent un chiffre de 49%. Derrière les grandes annonces, les doutes semblent se multiplier en coulisses. Ainsi, le Groupe Volkswagen, qui oriente pourtant toute sa communication autour des modèles électriques, a dans les cartons une nouvelle plateforme 100% indédite et dédiée aux modèles thermiques, promise pour 2025 et remplaçant la MQB. Chez Mercedes-Benz, on avance également avec prudence, promettant d’arrêter les modèles thermiques en 2030 « si les conditions le permettent ». Voilà qui rejoint le point de vue de Luca De Meo. Lorsqu’il annonçait le 13 janvier dernier que Renault deviendrait une marque 100% électrique en 2030, il ajoutait au micro de Challenges « si l’infrastructure est au rendez-vous, si les clients le veulent. Sinon, on a un plan B ». Autant d’approches pragmatiques, qui sont rassurantes. Continuer à proposer plusieurs types de carburant au sein d’une même gamme semble nécessaire: l’automobile est en période de transition, pas de remplacement. Et il semble impossible de faire acheter aux clients un modèle dont ils ne veulent pas. Avec une offre de plus en plus large et performante, l’électrique va inévitablement séduire de plus en plus d’automobilistes et se révèle déjà le meilleur choix pour un bon nombre d’usages. « L’électrique représente 50% des ventes de Mini trois portes. D’après les données que nous avons récupérées de manière anonyme, nos clients roulent en moyenne 50 km par jour. Mais seuls deux d’entre eux ont déjà tenté au moins une fois un trajet de plus de 180 km dans la journée! », nous confie un porte-parole chez Mini. Voilà qui semble révéler à quel point les clients savent, et c’est heureux, choisir un modèle qui correspond à leurs besoins. Lire aussiPetites voitures uniquement électriques: une stratégie suicidaire? Multiplier les offres est nécessaire, Smart l’a appris à ses dépens en retirant les versions essence de son catalogue, ce qui a débouché sur un écroulement de ses ventes de 75%. Ne proposer des petites voitures qu’en version électrique, c’est oublier qu’une bonne part des clients achète une petite voiture non pas parce qu’elle est urbaine, mais parce qu’elle est bon marché. L’augmentation des tarifs des voitures neuves et la suppression des modèles les moins chers les rend inaccessibles à de nombreux foyers. Ainsi, l’âge moyen du parc automobile français ne cesse d’augmenter, pour se fixer aujourd’hui à 10,8 ans. Un constructeur se frotte les mains. Dacia, grâce à ses modèles abordables, ne cesse de voir ses ventes progresser. Sa part de marché en France atteint aujourd’hui 7,5% et la Sandero (quatrième du top des ventes en France), est la voiture la plus vendue aux particuliers, en France comme en Europe. Voilà qui semble témoigner du fait que les clients réclament des voitures simples, rationnelles et bon marché, à l’opposé de la fuite en avant technologique qui touche les bureaux d’études. Aujourd’hui, les constructeurs mettent sur le marché des voitures pour répondre aux réglementations, avant de chercher à satisfaire les acheteurs. Cela conduira nécessairement à une impasse, et ne devrait pas favoriser l’adoption massive des voitures électriques. Surtout que les subventions ne seront pas éternelles: en France, le bonus pour les modèles électriques passera de 6.000 à 5.000 euros au 1er juillet 2022 et la Chine a déjà annoncé l’arrêt de toute subvention à la fin de l’année 2022.