D’autant plus que le succès dans les salles de cinéma n’a pas été au rendez-vous pour Manouchehr Tabib (de son vrai nom) qui s’inspirait de son histoire. “Les avant-premières étaient remplies, les critiques étaient dithyrambiques et les gens étaient debout, les larmes aux yeux, pour applaudir. Et quand on te dit, à la première question, que la dernière fois qu’on a vécu ça, c’est avec Intouchables… moi, je me suis dit que j’allais au moins faire 5 millions d’entrées ! Alors quand je fais 650 000, je suis forcément déçu.
Or, c’est un succès pour un premier film. Mon 2e, avec Catherine Deneuve et André Dussolier, je pensais faire un million, j’ai fait 400 000. Quant au 3e (avec les humoristes belges Guillermo Guiz et Laura Laune, NdlR.
), il est le seul qui ne ressemblait pas à ce que je voulais au final… On avait un budget vraiment dérisoire et je ne pensais pas que cela se verrait autant à l’écran. Enfin, après, c’est comme dans un couple, il n’y a que les bons moments qui restent ! ”Quand avez-vous quitté l’Iran ?”Je suis parti quand j’étais bébé, j’avais un an à peine. On est parti et je suis resté un an en Turquie.
On pensait qu’on allait retourner en Iran mais, à un moment donné, c’est trop compliqué et on s’est tous divisé. Un est parti en Allemagne, un autre en suède et encore un autre aux USA. On a demandé l’asile politique en France et, quand on est arrivé là, j’avais 2 ans.
”Et vous n’y êtes jamais retourné ?”Non, même mes parents. On ne peut pas y retourner. C’est trop dangereux pour nous.
Mes parents sont des opposants identifiés. Mon père était un leader du parti et il a été condamné à 10 ans de prison… Il a été torturé pendant 7 ans et demi. C’est quelqu’un dans la politique iranienne.
S’il décide d’y retourner, c’est un signe fort qu’il envoie au gouvernement. C’est un peu comme s’il les validait. On a même reçu des appels, des menaces et même des écoutes téléphoniques.
Un jour, mon père est au travail et reçoit un appel. C’est le ministre de je ne sais pas quoi, des services secrets iraniens qui lui disent : ‘on sait où tu habites et on sait où ton fils va à l’école, on sait où retrouver ta femme..
Si on aurait voulu te tuer, on l’aurait déjà fait ! Donc, franchement, revenez tranquille et tout.’ Et ben, franchement… non (sourire) ! ”
Mon père a été condamné à 10 ans de prison et a été torturé pendant 7 ans et demi. On ne peut pas retourner en Iran.
C’est trop dangereux pour nous. »
Ça vous fait flipper dans la vie de tous les jours ?”Non, je n’y pense pas car il ne faut pas y penser. Je me dis que s’ils veulent me tuer, ils vont le faire de toute façon.
Qu’est-ce que je peux empêcher, moi, à mon niveau ? Mais, en tout cas, je ne veux pas leur donner la chance de le faire en allant en Iran.”Est-ce possible d’en rire malgré tout ?”Bien sûr que c’est possible, ce n’est pas qu’on peut : il faut en rire ! Il faut rire de tout car si tu ne ris pas de quelque chose, c’est lui qui rit de toi et tu deviens alors prisonnier de ce truc. Il n’y a pas une blague marrante sur un sujet marrant : tous les sujets sont difficiles.
Même ne blague sur une blonde, ça part d’une souffrance. Car on va partir du principe que tu es débile par rapport à une autre.”Serait-ce la pire époque pour l’humour selon vous ?”Oui, car les gens sont de plus en plus fragiles et comme leur pouvoir de nuisance est récompensé sur les réseaux sociaux… Si je fais une blague sur les artichauts, il va y avoir dix fans d’artichauts qui n’aiment pas, qui se réunissent -s’il n’y a pas déjà une association- et en une journée, ils m’envoient 100 messages.
Mais aussi à tous mes partenaires avec qui je travaille. Les artichauts ont un pouvoir de nuisance minime mais s’il y a quelque chose avec du pouvoir derrière, je n’existe plus médiatiquement.”Vous vous autocensurez donc un peu ?”Évidemment, mais pas sur scène.
Dans la vie, tu ne peux pas dire grand chose car il n’y a pas de règles. On ne te dit pas : ceci est sujet accepté ou non (comme sa blague mal passée sur les Juifs sur les réseaux sociaux, NdlR.).
En gros, cela dépend si les gens décident de s’énerver ou pas. Mais cela donne l’impression que tu ne peux rien faire.”Un peu comme dans votre pays…”Ce n’est pas mon pays ! Quand je dis cela, ce n’est pas dans le sens que je les rejette mais je n’y vis pas.
Je ne veux pas m’inventer une fausse carte de porte-drapeau iranien. Je ne le suis pas, en fait. Quand tu vois mon spectacle, tu vois à quel point la liberté est importante pour moi.
Ma liberté d’être, de penser, de se vêtir, d’aimer et de rire. Tu imagines bien qu’un pays privé de liberté, cela me touche ! Encore plus quand c’est la terre de mes parents… mais, moi, je ne me dis pas : j’ai de la famille là-bas donc ça me touche plus. Non, cela me fait autant de peine que si cela avait été au Mexique par exemple.
Je leur souhaite vraiment que cette révolte devienne une révolution et qu’ils réussissent à passer au-delà et à vivre la vie de libertés qu’ils méritent de vivre.”