Contre la science, les mythes raciaux ont la peau dure


La croyance en une différence naturellement inscrite entre certaines populations est un des outils les plus éprouvés de l’arsenal politique. Dans leur tentative d’une définition ethnologique de l’Allemand, les nazis sont parvenus à une forme d’exceptionnalisme racial. Et il n’y a pas que l’histoire qu’on a tenté de mettre à profit pour insister sur les différences entre les peuples. La biologie et l’archéologie ont été au moins autant exploitées pour vendre à des peuples l’illusion qu’ils sont naturellement meilleurs que d’autres.

Au fil du temps, ces histoires peuvent aller jusqu’à se fondre dans l’identité de manière subtile et insidieuse et jusqu’à s’inscrire dans la vision que nous avons de nous-mêmes. Elles peuvent nous tendre un miroir déformant des différences humaines, et aux chercheurs contemporains aussi.

Contre la science, les mythes raciaux ont la peau dure

L’histoire de la race est un rappel que la science n’est pas qu’un ensemble de théories et de données ; ce sont aussi les faits qu’on met dans les histoires qu’on se raconte sur les mutations humaines. Les naturalistes et les scientifiques du siècle des Lumières ont un jour décidé que les humains seraient divisés en groupes, à la façon des espèces animales, avant de fixer arbitrairement les limites de ces catégories. Ils attachèrent une signification à la couleur de la peau à l’aide de stéréotypes culturels concernant le tempérament, l’intelligence et le comportement. Ces idées pseudo-scientifiques ont fini par façonner ce qu’allait être la médecine occidentale pendant des siècles. Elles ont été au fondement du programme de nettoyage eugéniste mise en place par les nazis et aussi de la Shoah.

Bien que cela fasse au moins 70 ans que nous savons que la race est sans aucun doute permis une construction sociale et que les penseurs du XVIIIe faisaient fausse route avec leurs préjugés, de nombreux scientifiques s’imaginent que la race a une réalité biologique. Cette fable est si fermement ancrée que même lorsqu’on a prouvé l’indivisibilité génétique de l’espèce humaine, certains chercheurs ont eu du mal à s’en défaire. Le vieux discours s’est fait une place trop importante dans leur imagination.

La résurgence des mythes liés à la race pendant la pandémie en est une excellente illustration. Début 2020, on spéculait sur les réseaux sociaux que les Noirs ne pouvaient pas attraper le virus. Il n’a fallu que quelques mois pour que cette théorie devienne l’inverse  : ils étaient désormais plus susceptibles de l’attraper. Certains spécialistes en personne ont attisé les braises de la désinformation en se demandant à voix haute si des différences génétiques entre races avaient joué un rôle dans les taux de mortalité observés malgré le fait qu’aucune donnée ne permettait d’étayer cette affirmation. Les déterminants sociaux de santé comme la pauvreté, le lieu de vie, et le métier exercé ont été tristement ignorés.

Enfin, cela a eu cours jusqu’au meurtre de George Floyd, au printemps 2020. Un changement palpable a soudain eu lieu dans le discours tenu sur la race et sur la santé.

J’ai alors remarqué que les médecins demandaient que soient effectuées plus de recherches sur le statut socio-économique, sur le régime alimentaire, sur les environnements toxiques, et sur les préjugés qui existent dans le système de soin. On m’a invitée pour parler de mon travail sur les biais en science dans des écoles de médecine et des organismes scientifiques du monde entier.

La tournure prise par les événements prouve que l’environnement politique a une influence énorme sur les questions que posent les chercheurs et sur les réponses qu’ils donnent. Quand l’histoire humaine s’inscrit sur un arrière-plan de différences naturelles entre groupes humains, les chercheurs se tournent inévitablement en premier vers la génétique et les facteurs innés. Mais quand on fait rentrer le contexte historique dans cet arrière-plan, qu’on montre que l’idée de race est le produit de facteurs sociaux, alors on va plus s’intéresser à la façon dont les gens vivent et dont ils sont traités. Ce changement subtil de perspective nous aide à considérer le problème de là où il est plutôt que de là où il devrait se trouver.