Depuis des décennies, on connaît les problèmes et on a identifié les solutions. Quand j’ai posé la question « puisque nous avons toutes les connaissances, qu’est-ce qu’il manque ? » à Sylvia Earle, elle m’a répondu « la volonté politique ». Pourquoi d’après vous n’arrive-t-on pas à proposer un projet de société où on ne ferait pas peser toute la responsabilité climatique sur les citoyens, et où l’offre devancerait la demande ?
CYRIL DION – Oui, c’est vrai, il ne manque que la volonté politique. Pour que ça change, il faut que les politiques changent. Aujourd’hui, si les gens consomment autant de plastique, c’est parce que tout ce qu’ils achètent est sur-emballé dans du plastique. Ça, ce n’est pas eux qui le décident. De la même manière, ils peuvent trier leurs déchets, mais ils ne sont pas responsables de la manière dont ils seront recyclés. Le fait que 28 % du plastique soit recyclé en France, ce n’est pas de la responsabilité des gens, c’est la responsabilité du monde politique. Or qu’est-ce qui fait bouger le monde politique ? La perspective d’être élu ou non. C’est un vrai moyen de pression que de dire « Si vous ne faites pas quelque chose pour ça, c’est fini, on ne votera plus pour vous. »
L’environnement fait partie des grands sujets de préoccupation des Français selon un récent sondage Elabe réalisé pour BFMTV, et pourtant il est totalement absent des débats.
Pas une seule question n’a été posée sur ce sujet. Parce que le but est de faire de l’audience, et pour faire de l’audience, il faut des sujets qui peuvent dès le lendemain être repris partout et créer la polémique en générant du trafic. C’est la rentabilité qui guide ça. Et on en est toujours réduits à ça. À l’obsession de la croissance économique.
Pourtant on sait, on a estimé le coût du changement climatique. Ça ne rapporte pas d’argent, mais ça en coûte déjà beaucoup. Rien que cet été, les inondations en Europe ont engendré des milliards d’euros de réparations.
VIPULAN PUVANESWARAN – C’est une question d’assurances. À qui ça rapporte et qui devra payer ? En général, les coûts sont reportés sur les personnes les plus pauvres. Le capitalisme a une tendance à s’adapter pour qu’on continue dans cette logique-là.
CYRIL DION – Oui, tant que ce sera tenable, tant qu’on ne sera pas au bord du gouffre, la plupart des politiques préfèreront maintenir une forme de statut quo, qui leur permette à la fois de se faire réélire en plaisant au plus grand nombre, en soignant les intérêts économiques et en rassurant ceux qui financent leurs campagnes.
Là où je rejoins la tristesse de Bella et Vipulan, c’est que l’on a déjà une bonne idée de l’avenir du monde. L’ONU prévoit plusieurs centaines de millions de réfugiés climatiques. Et autant de conflits géostratégiques. En s’accrochant à notre confort, nous décidons de laisser à nos enfants un monde en guerre, qui de surcroît ne considère pour l’Occident du moins, que l’espèce humaine.
CYRIL DION – Il faut qu’il y ait un mouvement qui se lève. Nous n’avons pas d’autre choix que de faire peur aux industriels et aux responsables politiques. Il faut que les industriels aient peur de ne plus pouvoir vendre leurs produits s’ils continuent à contribuer à réchauffer le climat, à mettre en circulation toujours plus de plastique. Pour l’instant, il y a une forme d’engourdissement. Mais imaginez sur la question du plastique qu’il y ait des millions de gens qui disent « Nous on va aller devant le siège du fabriquant et on va leur rapporter nos bouteilles, en faire un grand tas, en leur disant « À la limite le contenu nous intéresse, mais le contenant on vous le rend, parce qu’on n’est pas vraiment surs qu’il va être recyclé. Maintenant débrouillez-vous. » Je vous assure que si toutes les semaines il y avait ce genre de manifestations, ça ouvrirait une discussion, y compris dans les médias.
Dans votre film vous évoquez brièvement la pandémie de COVID-19 (une grande partie des scènes ont été tournées avant la pandémie, ndlr). Beaucoup d’économistes, dont Eloi Laurent que vous avez interrogé fin 2019, s’accordent à dire que notre santé et la santé des écosystèmes vont devenir de nouveaux marqueurs. L’origine-même de cette pandémie est liée à la manière dont on traite les animaux. La destruction des habitats fait se croiser des espèces qui ne devraient jamais se croiser… pourtant, alors que les pays ont réussi à s’accorder pour trouver des solutions rapides et communes en écoutant la parole scientifique, personne ne semble remettre ça en cause.
VIPULAN PUVANESWARAN – Tant que nous n’aurons pas changé de récit et qu’on restera dans une société capitaliste qui fonde tout le sens de l’existence de la société sur la croissance, sur le travail comme moyen de production à des fins strictement économiques, on n’aura jamais de société vraiment écologique. L’un des mythes de nos sociétés c’est de penser que ces cadres-là existent depuis toujours et que cela est normal. L’enjeu, je crois, est de démontrer que ces cadres n’existent pas depuis toujours et qu’on peut faire sans. Et faire sans, c’est en réalité faire mieux.
CYRIL DION – Pour moi, c’est intimement lié à ce que dit Eloi Laurent ou Jane Goodall : on vit dans un grand récit où on considère que le monde vivant est un champ de ressources et non une toile du vivant à laquelle on est totalement relié.e.s. On peine à comprendre que si cette toile du vivant est déchirée, tout s’effondre et nous avec. Parce que si on retire une à une chaque brique représentant une espèce, tout s’effondre. C’est un récit qui est extrêmement matérialiste qui sépare l’espèce humaine du reste du vivant.