Publié le 8 Avr 22 à 12 :41
Ils sont gendarmes, pompiers, élus, simples citoyens, de tous âges et de tous les milieux professionnels. Une chose les a rassemblés pendant cinq longues – très longues ! – journées : la solidarité.
Objectif : acheminer près de 55 tonnes de produits de première nécessité à destination des Ukrainiens victimes de cette guerre provoquée par la Russie le 24 février dernier
Ce qu’il faut savoirMis à jour il y a 17min
Je suis parti en direction de l’Ukraine avec deux casquettes Objectif : livrer le récit de ce convoi humanitaire exceptionnel, dire la variété des profils des bénévoles et raconter l’histoire d’Ukrainiens qu’une petite partie d’entre nous avons rencontrés.Voir tout
Premiers maillons de la chaîne
Le Département de l’Eure a mis sur pied ce grand convoi humanitaire. Un grand élan de solidarité a été relayé dans l’ensemble des communes afin de collecter des dons (santé, hygiène, logistique, vêtements, nourriture, etc.) pour les Ukrainiens frappés par cette guerre.
Le premier maillon de cette incroyable chaîne était les Eurois et les Euroises. Alors que diverses collectes avaient déjà été organisées en direct par les communes très rapidement après le 24 février, les habitants ont massivement répondu à ce nouvel appel général. En quelques jours à peine, malgré une polémique entre le maire d’Évreux et le Département, près de 55 tonnes de produits de première nécessité ont été recueillies.
87 bénévoles, 87 profils différents
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« Je voulais agir concrètement »
Les enfants de l’école primaire de Manneville-sur-Risle, près de Pont-Audemer, ont également réalisé des dessins en soutien aux petits Ukrainiens que le convoi venait soutenir.
« Les enseignantes et tous les enfants ont contribué, par leurs dessins, à apporter une note d’espoir pour la paix aux enfants ukrainiens. »Isabelle DuongMaire de Manneville-sur-Risle
Le Département ambitionnait au départ d’envoyer une dizaine de véhicules. Mais face à l’afflux massif des dons, il a revu ses ambitions à la hausse. Au final, 27 camionnettes conduites par les 87 bénévoles partaient d’Évreux vendredi 1er avril.
Ensemble, ils transportaient près de 30 tonnes de produits de première nécessité. Le reste (25 tonnes) a été chargé dans un semi-remorque. La direction était Siret, ville en Roumanie à la frontière avec l’Ukraine.
« Rester dans mon canapé à regarder tristement ce qui se passe à l’autre bout de l’Europe ne me suffisait pas, je voulais agir concrètement », confie avant le départ , Cyril MailletBénévole, habitant de habitant de Pont-de-l’Arche, ancien pompier et gardien à l’hôtel du Département
Comme lui, les bénévoles sont tous motivés. Nombreux sont choqués par les exactions commises par les militaires russes. Le bombardement de la maternité de Marioupol par les forces russes est sur certaines lèvres. Et plusieurs heures plus tard tombaient les terribles images de civils massacrés à Boutcha qui raisonnaient comme une confirmation de la pertinence de cette aide humanitaire.
L’enthousiasme au départ…
Le rendez-vous initial est donné aux 87 bénévoles dans un dépôt du Département près de la base aérienne BA 105. L’objectif est de répartir deux ou trois conducteurs par camion et de donner les premières consignes du voyage.
L’itinéraire est ensuite détaillé par Frédéric Duché, vice-président du Département et maire des Andelys : France, Allemagne, Autriche, Hongrie et finalement la traversée des Carpates en Roumanie pour rejoindre la ville de Siret. Là, un entrepôt servira à stocker les dons des Eurois avant de les acheminer dans la banlieue de Kiev.
« On n’est pas en colonie de vacances, il n’est pas question de Facebooker ce voyage. On vous demande beaucoup de discipline et de réserve sur le sujet car on ne veut pas donner l’impression que l’on part pour s’amuser. C’est une mission humanitaire. »Frédéric Duché
L’élu annonce en outre « une trentaine d’heures de trajet d’une traite pour une arrivée prévue à Siret le samedi après-midi ».
… puis survient la fatigue
Les bénévoles savaient que le voyage serait éprouvant. Mais la première nuit passée à rouler dans des conditions météorologiques déplorables (neige, vent et pluie) a tôt fait de modérer les ardeurs du groupe. Malgré les roulements de conducteurs organisés toutes les deux ou quatre heures, la fatigue s’installe vite. La nuit est longue, la traversée de l’Allemagne de nuit éprouvante.
tout va bien !
Des risques et de la chance
Un aller en 42 heures de trajet en une traite (avec des pauses repas et des changements de conducteurs toutes les deux ou trois heures) revêtaient son lot de risques et d’incertitudes. Le principal danger pour les bénévoles ne résidait pas dans la proximité de la frontière ukrainienne mais bien dans le trajet. « En pleine nuit, alors que je luttais comme un dingue pour rester éveillé, j’avais l’impression d’avoir des hallucinations, je voyais des voitures nous foncer dessus », explique par exemple un bénévole lors du trajet de retour. Celui-ci a été tout aussi éprouvant, les corps étant déjà usés par l’aller.Certains demandaient même une nuit à l’hôtel pour couper le trajet en deux. Mais Frédéric Duché a refusé. « Les camions qui nous avaient été prêtés par des entreprises ou des partenaires devaient être rendus mercredi matin. On ne pouvait pas attendre », plaide l’élu.La chance a donc été l’élément déterminant dans le fait que tout le monde est revenu indemne.Seuls cinq incidents ont marqué le périple, tous au voyage du retour : des pannes sur deux camions, dont l’un a été remorqué jusqu’en France, un accrochage léger sur un parking en Hongrie et deux crevaisons, dont une sur l’autoroute.
L’Ukraine se rapproche
Au bout du compte, la Hongrie est traversée vaille que vaille et les kilomètres avalés rapidement. Une fois en Roumanie, cependant, la cadence diminue. Le réseau routier est plus vétuste, dans l’ouest du pays tout du moins, et la traversée des Carpates se fait de nuit. Pour ne rien arranger, la fin du trajet se fait sous la neige. Les demandes de changement de conducteurs sont plus fréquentes, tant l’aventure a été éreintante pour tous.
Au final, notre convoi arrive à destination sans casse dimanche 3 avril vers 4 h du matin, au bout de 42 heures de long périple. Le soulagement se lit sur tous les visages. Mais l’aventure n’est pas terminée. Le lendemain, le réveil nous tire tous d’un court sommeil réparateur pour faire ce pourquoi nous avons fait tout ce chemin : livrer les dons des Eurois à destination des Ukrainiens.
Ramener des réfugiés ?
La question de ramener des réfugiés ukrainiens qui le souhaitaient durant le voyage du retour a été envisagée. Mais elle ne s’est pas concrétisée.
« Il y a 400 Ukrainiens aujourd’hui réfugiés dans l’Eure. »Frédéric Duché
La plupart sont logés chez des connaissances et l’accueil est géré par la préfecture de l’Eure en direct.
C’était d’autant plus pertinent que le trajet traversait de part en part la Hongrie, pays gouverné par Viktor Orban, réélu le 3 avril pour un quatrième mandat consécutif, dont les positions ambivalentes vis-à-vis de la Russie font que le pays ne voit pas d’un œil positif les nombreux convois humanitaires qui passent sa frontière.
Au retour, les militaires ont contrôlé chacun des camions avant de laisser le convoi Eurois traverser la Hongrie, s’assurant notamment qu’aucun Ukrainien n’était caché dans les véhicules.
Paroles de bénévoles
Il coordonnait, décidait et encourageait le groupe.
« Ce convoi répond comme il se doit à l’énorme générosité des Eurois. 55 tonnes, ce n’est évidemment qu’une goutte d’eau par rapport à tous les besoins des Ukrainiens, mais c’est avec des gouttes d’eau que l’on fait des rivières. »Frédéric Duché
Il se réjouit de voir qu’aucune difficulté majeure n’a marqué ce convoi. « Nous avons eu les aléas quasiment obligatoires, précise l’élu. Imaginez bien, 27 camions qui font chacun près de 5 000 kilomètres. Cela aurait été étonnant qu’on n’ait aucun pépin. Dès le début, le périple n’a pas été une partie de plaisir. Les conditions climatiques à l’aller ont été dantesques mais tous les bénévoles ont su s’adapter. »
Au final, Frédéric Duché a le « sentiment que tout le monde s’y est retrouvé ». Il développe :
« Les gens ont eu le sentiment d’être utiles pour les Ukrainiens, mais aussi d’être utiles pour eux-mêmes. L’adversité que l’on a rencontrée durant ce voyage humanitaire nous a tous fait grandir, je crois. Et beaucoup de volontaires sont déjà prêts à repartir. Je retiens aussi que ça a été l’occasion de faire de très belles rencontres entre des personnes différentes. C’était très enrichissant d’un point de vue humain. Les gens ne l’ont pas fait pour la gloire, juste pour se sentir utile et apporter un peu d’eux-mêmes dans cette grande cause. »Frédéric Duché
Pierre Choisnet)
« L’espoir dans les yeux des enfants », retient Isabelle Duong
« Au départ je me suis lancée dans ce défi car je voulais absolument apporter ma contribution au peuple ukrainien qui subit la folie meurtrière. J’avais des appréhensions, est-ce que je serais capable de tenir un tel rythme (80 heures de voyage assise dans une cabine, le froid, le bruit, le manque de sommeil, etc.). Nous avons réussi malgré les difficultés inhérentes à un convoi de 27 camions à travers cinq pays et en traversant les montagnes enneigées. Nous avons atteint cet objectif car nous avions tout le temps en pensée le réconfort que l’on pouvait apporter à ces pauvres ukrainiens en leur fournissant couvertures, matériel de puériculture, hygiéniques, des médicaments, de la nourriture… Et surtout de l’espoir. Cet espoir, on a pu le voir dans les yeux des enfants. Rien que pour cela, si un nouveau convoi doit partir, j’y serai. On ne peut pas rester indifférent face à la barbarie et en espérant que l’on arrive à la faire cesser rapidement ! »Isabelle Duong
dit Maryannick Deshayes
« C’était une aventure humaine impressionnante. J’ai particulièrement apprécié le mélange des personnes, il y avait des élus, des employés du Département, des citoyens. Je retiens aussi le fait de s’être tous surpassés. On ne s’attendait pas à une telle épreuve », confie Maryannick Deshayes, conseillère départementale du canton de Pont-de-l’Arche, près de Louviers. Elle poursuit :
Et en revenant, je me demandais si on en a fait assez… »
Maryannick Deshayes
« En priant pour que la guerre s’arrête », espère Cyril Maillet
Merci aussi à l’association La Ronce à la gendarmerie J’étais fier de charger le semi-remorque de mes cartons pour l’acheminement en Ukraine Ému également de voir et d’entendre le discours des autorités locales et leurs remerciements. J’ai au final le sentiment d’avoir accompli une bonne action en priant pour que la guerre s’arrête. »
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