Un tweet, un second, le rappel de la phrase précédente – « la France, comme je l’ai dit, fait et continuera de faire son devoir pour protéger celles et ceux qui sont les plus menacés » : l’Elysée s’emploie à démontrer que le chef de l’Etat ne trahit en rien, sur la question migratoire, le diptyque « humanité et fermeté » imaginé lors de la campagne de 2017. Sans convaincre.
Ce 16 août, la droite applaudit, la gauche proteste. Inimaginable, il y a seulement six ans. Et l’aboutissement d’une lente évolution.
A l’été 2015, des milliers de Syriens cherchent refuge en Europe, l’Allemagne d’Angela Merkel ouvre largement ses portes, la France de François Hollande se montre bien plus frileuse. Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, est l’un des rares à s’enthousiasmer : « C’est d’abord notre dignité et c’est aussi une opportunité économique, car ce sont des femmes et des hommes qui ont aussi des qualifications remarquables. » Le fossé s’accentue après les attentats du 13 novembre.
Emmanuel Macron s’oppose violemment à la déchéance de nationalité envisagée par le président socialiste. A Matignon, Manuel Valls enrage.
com/Tobias SCHWARZCandidat à l’Elysée, Emmanuel Macron persiste. En janvier 2017, il publie dans Le Monde une tribune rendant hommage à Angela Merkel et à la société allemande, qui « ont sauvé notre dignité collective en accueillant des réfugiés en détresse ».
En 2012, l’électorat de gauche n’avait retenu que « mon adversaire, c’est la finance » dans le discours du Bourget de François Hollande. En 2017, il ne perçoit pas qu’Emmanuel Macron, opposé à Marine Le Pen au second tour, refuse certes de s’enfermer dans un repli national, mais qu’il esquisse aussi des limites aux capacités d’accueil de la France. Déjà, le futur chef de l’Etat met en garde contre le « laxisme », il défend la nécessité d' »accueillir bien » plutôt que « tout le monde » et en appelle à une réponse européenne aux mouvements migratoires.
Peu l’écoutent.
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Le désenchantement de l’aile gauche du macronisme intervient dès les premiers mois du quinquennat.
Un événement accélère le durcissement présidentiel : en octobre 2017, deux jeunes femmes ont été tuées à la gare Saint-Charles de Marseille par un ressortissant tunisien en situation irrégulière, interpellé pour vol mais relâché à Lyon deux jours plus tôt. Il faut rassurer l’opinion publique et répondre aux critiques de la droite. En février 2018, la loi « asile et immigration » envoie des messages très clairs : volonté d’accroître le nombre de reconduites à la frontière en allongeant les délais de placement en centre de rétention, ambition de réduire le temps d’examen des demandes d’asile pour pouvoir renvoyer plus vite les déboutés. Au sein de la majorité, le texte suscite des crispations.
Emmanuel Macron passe outre.
Mi-2020, Gérald Darmanin est nommé ministre de l’Intérieur pour incarner la nouvelle fermeté face à l’immigration irrégulière.
com/Thierry ZOCCOLANDébut 2019, il impose à un Edouard Philippe réticent l’immigration comme thématique dans le Grand débat qu’il a imaginé pour sortir de la crise des gilets jaunes. A cette occasion, il évoque la piste des « quotas », marchant dans les traces sarkozyennes de « l’immigration choisie », et distingue plus que jamais les réfugiés qui ont besoin d’une protection de ceux venant en France en quête d’un avenir meilleur. A ses proches qui se pincent le nez face à cette fermeté nouvellement affichée, Emmanuel Macron répète à l’envi que ceux qui souffrent de la situation, ce sont les classes populaires, « les bourgeois ne croisent pas l’immigration », ajoute-t-il.
L’opinion publique est désormais sa boussole.
Parce que les résultats tardent à venir – la loi de 2018 n’a pas produit les effets escomptés -, parce que plusieurs attentats ( assassinat de Samuel Paty, cathédrale de Nice) ont alimenté les discours de ceux qui fustigent une « France trop accueillante », le président de la République force encore le trait. Exit, en juillet 2020, Christophe Castaner au ministère de l’Intérieur, place à Gérald Darmanin.
Place, aussi, quelques semaines plus tard, à des annonces chocs à défaut de mesures de fond : expulsion des irréguliers radicalisés, non renouvellement des titres de séjour pour les étrangers ayant commis des infractions graves. Emmanuel Macron en est convaincu, l’élection présidentielle de 2022 se jouera largement sur ce terrain-là. La droite l’y entraîne chaque jour un peu plus. Il se prend au jeu.
Avec le risque de s’aliéner durablement son aile modérée et d’y perdre quelques milliers de voix en avril prochain. Osé ?
Trois chiffres
81 531 demandes d’asile ont été déposées en France en 2020
24 181 ont débouché sur un statut de réfugié ou une protection
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9111 renvois d’illégaux ont été effectués
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