Le Québec bientôt en récession?


Qui a donc raison? Un comptable, ce n’est pas payé pour faire des prévisions économiques. Donc, j’y vais avec un économiste, le ministre des Finances, nous a répondu du tac au tac l’économiste et stratège en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion.
Pour lui, les risques de récession aux États-Unis dépassent les 50 %, mais au Québec, il rejoint le ministre Girard dans sa prévision à 35 %.
Faire des prévisions, surtout en ce qui concerne l’avenir, est toujours difficile, si vous me permettez ce brin d’humour! Il est encore plus complexe, dans le contexte actuel, de bien comprendre comment les éléments économiques vont se mettre en place au cours des prochaines semaines.
La Réserve fédérale vient d’envoyer un message très fort en augmentant son taux directeur de 75 points de base et en laissant entendre également qu’elle va continuer à agir avec force au cours des prochains mois. Le taux directeur est à 1,5-1,75 % aujourd’hui et devrait atteindre 3,4 % d’ici la fin de l’année, prévoit la Fed, puis 3,8 % en 2023.
La Banque du Canada pourrait elle aussi, dans la foulée, hausser son taux de 75 points de base à la mi-juillet. Le sous-gouverneur de l’institution Paul Beaudry nous disait récemment, à Zone économie, que tout était sur la table. Il ne faudrait pas s’étonner de voir la banque centrale agir aussi énergiquement que la Réserve fédérale lors de sa prochaine décision.
Hausser les taux avec une telle vélocité va ralentir la demande des consommateurs et donc, l’économie. Jusqu’à quel point? Telle est la question! Est-ce que des hausses de taux aussi marquées pourraient entraîner l’économie en récession?
La hausse de 75 points de base du taux de la Réserve fédérale va-t-elle conduire l’économie américaine en récession? Et que prévoir au Québec et dans l’ensemble du pays? Entrevue avec Stéfane Marion, économiste et stratège en chef de la Banque Nationale.

Des risques élevés de récession?

Récemment, le Financial Times affirmait que 70 % des économistes interrogés par le quotidien prévoyaient une récession aux États-Unis en 2023. 
Est-ce qu’on est capable d’en dire autant pour le Québec? Honnêtement, je ne sais pas, a répondu l’ex-ministre des Finances, Carlos Leitao, à Zone économie mardi soir. Je lui ai demandé son avis d’économiste et non pas de politicien à l’aube d’une nouvelle élection, à laquelle il ne va pas participer. 
Ce que je sais, c’est que nous sommes déjà dans une situation où l’inflation est très élevée et va demeurer très élevée. Les taux d’intérêt augmentent, peut-être plus vite que ce qu’on pensait. Et cette situation de ralentissement économique très fort et d’inflation très élevée, on n’a pas vu ça depuis très très longtemps. Et les citoyens ne savent pas comment s’ajuster à ça. Donc, le sentiment d’insécurité économique ou financière est très fort. Ça fait peut-être 30, 40 ans qu’on n’avait pas vu ce sentiment-là. 
Pour l’économiste en chef de Desjardins, Jimmy Jean, on ne peut pas sous-estimer le risque de récession en 2023. Une fois terminé l’essentiel de la hausse des taux, nous serons plus à même de mesurer l’impact réel sur l’inflation et la croissance de l’économie.
Toutefois, pourra-t-on échapper à une récession? C’est un défi que très peu de banquiers centraux ont réussi, affirmait Jimmy Jean à RDI mercredi. Avec un marché du travail aussi serré, des salaires qui augmentent, une économie qui roule à plein régime, tenter d’accomplir un atterrissage en douceur, ça a été rarement réussi.
Déjà, rappelle-t-il, on voit l’effet des hausses de taux au Canada sur l’immobilier. Selon l’Association canadienne de l’immeuble, le nombre de transactions a baissé de 8,6 % en mai par rapport à avril, de près de 22 % sur un an. L’activité dans le marché immobilier est maintenant revenue à son niveau prépandémique.
Les prix reculent pour un troisième mois de suite. Par rapport au sommet atteint en février, les prix ont déjà baissé de 10 % en Ontario et de 8,4 % en Colombie-Britannique. Le Québec résiste pour l’instant avec des prix en hausse de 1,1 %. 

Des risques économiques… et politiques?

Il est toujours inquiétant pour des politiciens au pouvoir d’arriver en période électorale avec une économie qui s’essouffle. En évoquant 50 % de risque de récession au Québec, le premier ministre Legault essaie possiblement de prendre les devants en montrant que son gouvernement comprend bien ce qui est en train de se passer. 
Les citoyens, eux, ont bien compris que tout coûte plus cher et les attentes d’inflation sont élevées. La hausse des taux commence à faire son effet et suscite de vives inquiétudes chez les ménages les plus endettés. 
Il est déjà très tentant pour les partis politiques d’annoncer des chèques et des baisses d’impôt, mais il faut rappeler aux leaders politiques que, dans un contexte de forte inflation, ce sont des mesures ciblées qu’il faut promettre et mettre en place. Ces mesures doivent être structurelles, doivent viser à améliorer le sort économique des moins nantis, ceux qui sont les plus touchés par la hausse des prix des aliments et de l’énergie. 
Injecter des milliards de dollars pour favoriser une consommation plus forte, c’est travailler à contre-courant des banques centrales, en alimentant l’inflation. En pleine campagne électorale, ce fait économique sera-t-il bien entendu?