Proposition de loi visant à simplifier l'accès à l'IVG : quelles répercussions dans la Nièvre ?


« J’ai eu mes règles, normalement. Je ne savais pas que j’étais enceinte. » Un pressentiment inexpliqué pousse néanmoins Émilie (*), Nivernaise de 37 ans, à faire un test de grossesse, qui se révèle positif. Après de multiples discussions avec son compagnon, avec lequel elle n’est que depuis quelques mois, Émilie, déjà maman de plusieurs enfants, décide d’avorter. On lui propose une IVG médicamenteuse, qu’elle refuse par crainte des douleurs dont lui ont fait part certaines de ses amies.

Si j’avais attendu une semaine de plus, j’aurais fait comment ? À l’étranger ?

Proposition de loi visant à simplifier l'accès à l'IVG : quelles répercussions dans la Nièvre ?

Les semaines passent. En elle grandit l’angoisse de dépasser le délai maximum légal en France : douze semaines – contre quatorze en Espagne, dix-huit en Suède, vingt-quatre au Royaume-Uni. Elle contacte les hôpitaux de Bourges, d’Auxerre, sans résultat. Elle sera finalement prise en charge à Nevers, de justesse, à douze semaines de grossesse, tout pile. « Si j’avais attendu une semaine de plus, j’aurais fait comment ? À l’étranger ? Mais en mettant combien de ma poche ? »

Éviter les départs vers l’étranger

Un des arguments avancés par des députés français en faveur de l’extension de deux semaines du délai de recours à l’IVG, c’est, justement, le nombre de femmes françaises partant avorter à l’étranger, chaque année. Elles seraient environ 2.000 à s’engager dans ce parcours compliqué et onéreux. D’autres ne peuvent pas se le permettre, donnant la vie à des enfants non désirés.

« Mais le but n’est pas pour autant d’arriver à quatorze semaines », temporise Perrine Goulet, députée MoDem de la 1re circonscription de la Nièvre, qui a défendu à l’Assemblée nationale la proposition de loi adoptée après examen en deuxième lecture par 79 voix contre 36 (avec 8 abstentions). « Plus on attend, plus c’est traumatisant pour la femme. »

L’expérience d’Émilie, bien que toute personnelle et ne prétendant pas refléter l’histoire de chacune des femmes confrontées à cette situation, semble en tout cas corroborer la vision de la parlementaire. « C’est très dur », témoigne Émilie. « Je ne souhaite ça à personne. Plus vite c’est fait, mieux c’est. »

Les sénateurs partagés

Le Sénat doit se prononcer ce mois-ci sur la question, alors qu’il avait rejeté la proposition de loi l’année dernière. La sénatrice nivernaise centriste Nadia Sollogoub, membre de la commission des affaires sociales, qui avait l’an passé voté la motion présentée par Les Républicains pour refuser le texte sans examen des articles, déclare qu’elle se forgera « une opinion avec les auditions ».

Toutefois, elle se dit sensible à l’idée d’un allongement du délai qui pourrait augmenter la douleur des femmes ou des couples. « Plus l’avortement est tardif, plus ça se rapproche d’un accouchement », estime-t-elle, sans pour autant vouloir s’engager dans une « posture doctrinaire ou morale », et mettant en avant la difficulté de légiférer sur ces sujets.

ça n’a rien de banal. »

Le débat public et la parole ont longtemps été réservés aux hommes, l’intime n’avait pas sa place dans le politique.

Claire Wolker (Sage-femme, membre du CA de l’ANCIC)

Une femme sur trois aura recours à une IVG au cours de sa vie. « Mais ce sont les mêmes femmes qui accouchent », précise Claire Wolker, sage-femme et membre du conseil d’administration de l’association nationale des centres d’avortement et de contraception (ANCIC), rappelant ainsi que l’IVG concerne toutes les femmes. « La société veut encore conserver une représentation mythique d’une maternité qui ne soit qu’heureuse. Et puis, le débat public et la parole ont longtemps été réservés aux hommes, l’intime n’avait pas sa place dans le politique. » Ce qui explique certaines réticences persistantes à aborder le sujet.

Médicalement, les opposants à l’allongement du délai de recours à l’IVG mettent en avant l’évolution embryonnaire qui entraînerait des difficultés techniques d’intervention. Mais, pour ses défenseurs, une bonne formation des professionnels, volontaires, devrait sécuriser la pratique en France, aussi bien que dans les autres pays la permettant déjà à ce stade.

Par ailleurs, la proposition de loi ne concerne pas que l’extension temporelle de la possibilité d’une IVG. Pour améliorer l’information des femmes et répondre à l’urgence de la nécessité de la prise de rendez-vous, les Agences régionales de santé (ARS) devront publier « un répertoire recensant, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé ainsi que l’ensemble des structures pratiquant l’interruption volontaire de grossesse. L’accès à ce répertoire doit être libre et effectif », ajoute le texte.

Sages-femmes et IVG instrumentales

Autre disposition soumise à discussion : l’autorisation accordée aux sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à dix semaines, quand elles sont aujourd’hui limitées à des IVG médicamenteuses, en conventionnement avec des établissements de santé.

La crise sanitaire n’a pas retardé les avortements dans la Nièvre, mais l’accès à l’IVG chirurgicale reste délicat

comme la Nièvre. « Ils partent en cabinets privés, on en a de moins en moins à l’hôpital, et certains refusent l’IVG. Cela entraîne des incapacités de prise en charge. Ce qui prime, c’est la santé des personnes, et il faut donner accès aux soins à ceux qui en ont besoin. »

Personne ne m’a jamais sauté au cou en me disant : depuis le temps que je rêvais d’une IVG !

Sophie Blaise (Présidente du conseil de l’Ordre des sages-femmes de la Nièvre)

En 2020, 376 IVG ont été enregistrées dans la Nièvre, dont 292 en centres hospitaliers. La part des IVG réalisées par des Nivernaises hors du département s’élevait à 17.9 %, contre 10.8 % en 2017, témoignant peut-être d’un manque d’accessibilité, aujourd’hui, sur le territoire.

À l’hôpital de Decize, le métal gris des portes de l’ascenseur s’ouvre sur l’étage où exerce Sophie Blaise, présidente du conseil de l’Ordre des sages-femmes de la Nièvre. Bien des femmes ont marché sur les carreaux blancs, striés de bleu, de ces salles. Des salles où l’on ausculte parfois, où l’on écoute surtout, où l’on décide, enfin, seule ou à deux. « Personne ne m’a jamais sauté au cou en me disant : depuis le temps que je rêvais d’une IVG ! », raconte Sophie Blaise. « Pour la plupart, ce n’est pas de bon cœur qu’elles le font. » Elle n’accueille que très peu de mineures, « à la marge ». Dans le département, la part d’IVG réalisées chez des femmes de moins de 18 ans s’élève à 2.1 % en 2020.

La sage-femme, qui sait le sujet sensible, s’en tient à un discours professionnel cadré quant à la possible pratique des IVG instrumentales par ses confrères et consœurs : « J’attends que la loi soit votée. Mon rôle, c’est de respecter la loi. » Il faudra également déterminer quelle formation suivront les sages-femmes, quels moyens seront mis à leur disposition. Un décret devrait en préciser les modalités. Enfin, pour elle, la question de l’IVG ne doit pas être décorrélée de l’ensemble, plus vaste, du sujet de la sexualité des femmes.

Mieux penser la sexualité des femmes

C’est la vision que partage Aurélie Perrin, conseillère conjugale et familiale à Nevers, en charge des entretiens pré et post-IVG au centre départemental de planification et d’éducation familiale (CDPEF). « On écoute la demande, d’abord. Et après l’intervention, on vérifie que tout s’est bien passé. »

Au cours de l’année 2021, le CDPEF a accompagné 162 femmes pour une IVG médicamenteuse, 13 pour une IVG chirurgicale. Dans l’immense majorité des cas, une solution est trouvée dans les délais, avant le terme légal des douze semaines.

À seize ou trente ans, l’idée, c’est toujours d’avoir une sexualité épanouissante !

La moyenne d’âge des femmes qui contactent le CDPEF pour une IVG est de 27 ans. « On a aussi des femmes en couple depuis vingt ans, mères d’ados, qui ne se pensaient plus fertiles. Elles culpabilisent parfois, disant qu’elles ne sont plus des gamines… nous, on ne juge pas, on ne leur dit pas qu’elles sont irresponsables ! » À chacune son histoire, à chacune ses raisons.

Contraception gratuite pour les femmes jusqu’à 25 ans : « Une avancée si toutes les méthodes sont remboursées »

Les entretiens menés par Aurélie Perrin permettent aussi de rediscuter des méthodes contraceptives employées, d’évoquer la vie sexuelle, affective… « À 16 ou 30 ans, l’idée, c’est toujours d’avoir une sexualité épanouissante ! » Une sexualité dont le plaisir ne soit pas altéré par l’inquiétude d’une grossesse non désirée, non souhaitée. Avec, toujours, en ligne de mire, la liberté de choisir.

Numéro utile. Depuis cinq ans, dans la Nièvre, les personnes concernées ou les professionnels de santé peuvent demander des informations ou un accompagnement pour réaliser une IVG à un numéro unique, gratuit, garantissant l’anonymat de l’appelant(e) : 06.48.28.60.76. Du lundi au vendredi, de 9 h à 12 h, et de 14 h à 17 h.

Alice Forges

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