La crise du logement est devenue une question incontournable partout au Canada et elle risque de s’imposer dans les préoccupations politiques de l’automne, tant à Québec qu’à Ottawa.
Chez nous, la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, tient de nouvelles consultations pour « trouver des solutions à la crise du logement » après avoir présenté, en juin, un projet de loi prévoyant de renforcer les droits des propriétaires face à leurs locataires.
De son côté, le gouvernement Trudeau a invité des experts à présenter des recommandations en matière d’habitation cette semaine, dans le cadre de la retraite du cabinet ministériel à l’Île-du-Prince-Édouard. Il ne se trouve plus personne pour le nier : nous atteignons un point critique et une nouvelle stratégie nationale pour le logement sera nécessaire pour répondre aux besoins des Canadiens.
Le discours qui s’impose actuellement met l’accent sur le problème de disponibilité — tant des logements locatifs que des propriétés — un problème que l’on propose de résoudre en agissant avant tout sur l’offre. François Legault l’a dit sans détour : si les Québécois peinent à payer leur logement, cela veut dire que « [n]ous devons construire plus vite et plus ».
Il faut aussi, insinue-t-on sur un ton plus évasif, agir sur la demande — ce qui donne lieu à toutes sortes de liens tendancieux tracés entre l’immigration et la pénurie de logements. Le gouvernement Trudeau défend à ce titre une position alambiquée.
D’un côté, son gouvernement a soutenu la récente déclaration du ministre de l’Immigration, Marc Miller, qui suggérait qu’il faut maintenir les seuils d’immigration parce que les immigrants viendront construire de nouvelles maisons pour les Canadiens.
De l’autre côté, le ministre responsable du Logement, Sean Fraser, ouvrait la porte cette semaine à une limitation du nombre d’étudiants étrangers afin de soulager la demande de logements.
On attendra que le gouvernement Trudeau précise sa posture, mais d’ici là, le ton est donné malgré tout : la solution à cette crise passera avant tout par les mises en chantier. Qu’il s’agisse de répondre aux besoins impérieux de logement des personnes moins nanties ou aux aspirations à la propriété de la classe moyenne, construire est le mot d’ordre.
Le jeu du marché s’occupera du reste. On allie en gros les occasions d’affaires dans le secteur immobilier à la résolution de la crise du logement, et on se convainc que tout ira bien.
Les promoteurs immobiliers ne sont pourtant pas de bons pourvoyeurs de logements adéquats et, surtout, de logements abordables. Prenez ce qu’ont révélé dernièrement les données ouvertes de la Ville de Montréal quant au succès du Règlement sur une métropole mixte, censé forcer les promoteurs immobiliers à inclure 20 % de logements sociaux ou abordables dans leurs projets.
Dans 95 % des cas, les promoteurs ont préféré se prévaloir de l’exception au règlement leur permettant de verser une compensation financière à la Ville plutôt que d’inclure des logements sociaux ou abordables à leurs projets.
Ce n’est pas étonnant : la vocation des promoteurs immobiliers n’est pas de subvenir aux besoins de logement de la population, et encore moins aux besoins des locataires à faibles revenus. Ils sont là pour réaliser des projets rentables, un point c’est tout. Ce sont des acteurs amoraux, au sens propre. Croire qu’ils feront primer le bien commun sur la rentabilité par simple bonne volonté relève de la pensée magique.
Il est indéniable, par contre, que le Canada accuse un retard important en ce qui concerne les logements sociaux. Il y a quelques mois, l’économiste de la Banque Scotia Rebekah Young soulignait qu’il serait souhaitable de doubler le parc de logements sociaux pour que le Canada rejoigne la moyenne des pays de l’OCDE en la matière. Évidemment, il faudra les construire, ces logements — au moins en partie. Mais il ne suffira pas de faire sortir de nouvelles constructions de terre. Il faudra aussi convertir des constructions existantes, oser sortir du marché des logements devenus inabordables. Il faudra aussi offrir aux locataires des mécanismes et des recours pour les protéger contre la discrimination, les hausses de loyer et les évictions arbitraires. Il faudra, précisément, travailler contre le marché.
Sans interventions musclées pour contrôler les prix des logements, la situation des 10 % de Canadiens qui consacrent plus de 30 % de leur revenu au loyer — dont des étudiants qui s’entassent dans des appartements d’une chambre, des citoyens à faible revenu qui n’ont pas les moyens de signer un bail même lorsque le logement est disponible — ne changera pas.
Tout comme les promoteurs ne construisent pas des logements abordables par grandeur d’âme, le prix des loyers ne suit pas mécaniquement la fluctuation de l’offre. « Plus de logements » ne rime pas toujours avec « retour de l’abordabilité ». Pour endiguer l’explosion des loyers, il faut imposer des limites.
Au-delà de la frénésie de la mise en chantier, il faut imposer ces nuances dans la conversation nationale sur la crise du logement. Sinon, on ne fera que reproduire perpétuellement la crise que l’on dit vouloir combattre. Toute politique envisageant une réelle sortie de crise devra être fondée sur un principe non négociable : le logement n’est pas un bien marchandable, ce n’est pas une occasion de profit, c’est un droit fondamental, et les grands maux appellent les grands remèdes.
Chroniqueuse spécialisée dans les enjeux de justice environnementale, Aurélie Lanctôt est doctorante en droit à l’Université McGill.
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