l'histoire retient Camp David, encore ?


Dans un monde plein de certitudes, à nous de nous poser les bonnes questions. À défaut de donner des réponses, laissons les questions ouvrir la voie de la réflexion.

Le symbole est fort : le président sud-coréen et son vis-à-vis japonais réunis tous deux chez l’oncle Joe, à Camp David.

l'histoire retient Camp David, encore ?

Le symbole est fort, puisque 45 ans en arrière, Anouar El Sadate et son vis-à-vis israélien se réunissaient dans la même demeure d’été de Camp David. Et de la même manière qu’Egyptiens et Israéliens se détestaient, Sud-coréens et Japonais s’abhorrent. Ils se sont pourtant réunis dans un sommet où, plus que la réconciliation, le sujet principal était l’Empire du Milieu.

Joe Biden avance ses pions sur l’échiquier face à une Chine par trop conquérante, se voulant le centre de gravité économique du monde. La question d’aujourd’hui sera donc la suivante : ce sommet est-il le signe d’une réaction anti-chinoise ou d’une influence américaine?

Mais les enjeux géoéconomiques contemporains ont changé. La Chine est devenue LE danger pour le monde occidental, contre lequel Tokyo et Séoul semblent s’aligner.

Le Japon et la Corée du Sud sont deux pays proches culturellement et géographiquement. Leurs économies sont complémentaires et leur réticence par rapport à la Chine est ostentatoire. Dit comme cela, leur relation semble idyllique. Mais sur cette dernière pèse un poids lourd, écrasant fraternité et intérêts économiques : la guerre. L’occupation japonaise de la Corée a été perçue comme une réduction en esclavage. Nul besoin de citer les nombreux épisodes la gangrénant. Les atrocités de la guerre sont ce qu’elles sont. Mais ce qui agace les Coréens, c’est la mauvaise foi des Japonais, même dans leurs excuses et leurs indemnisations. Couplez donc cela a du révisionnisme nippon, à la guerre commerciale depuis 2019 et aux disputes pour le groupe d’îlot des Rochers Liancourt, et votre idylle devient vite une tension permanente parsemée de provocations populistes.

Mais les enjeux géoéconomiques contemporains ont changé. La Chine est devenue LE danger pour le monde occidental, contre lequel Tokyo et Séoul semblent s’aligner. Elle devient même une menace : de son projet pharaonique des nouvelles routes de la soie, elle a osé exclure la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis.

Cependant, quelque chose semble changer la donne : la guerre en Ukraine. Face à la Russie, les puissances occidentales ne sont pas intervenues militairement. C’est compréhensible. Mais cela soulève une question aussi effrayante que réaliste : qu’en sera-t-il de Taïwan? Et par extension, qu’en sera-t-il de l’Asie pacifique tout entière ? Puisque dans une moindre mesure, Taïwan est l’Ukraine asiatique. A savoir : un Etat insulaire, anciennement province de la puissance régionale. Et si la Chine ne peut l’attaquer, vu le gel économique que cela représenterait et la dépendance mondiale au micro conducteur taiwanais, elle a montré qu’elle était capable de petits pics provocateurs. Comme au cours de l’exercice militaire du 18 août où elle a rappelé au monde l’importance numérique de la première armée marine du monde.

Ainsi, ne pouvons-nous pas voir dans ce sommet une reconnaissance de la Chine comme adversaire déclaré? Est-ce que Biden ne se conduit pas en bon soldat de la guerre froide en étendant la théorie de H. Kissinger : affaiblir l’ennemi en renforçant ses alentours?

Une question nous vient alors à l’esprit : la Chine peut-elle renverser le statu quo? Peut-elle résister à la guerre froide qu’essaient d’instaurer les Etats-Unis? Et qu’elle le fasse ou non, peut-elle réellement affirmer sa puissance économique et politique lorsque son garde-manger, sa propre “doctrine Monroe” lui fait face?

Plus que la menace chinoise et les réactions qu’elle engendre, un des aspects essentiels de ce sommet doit être mentionné : la tentative de re-hégémonie américaine.

elle affichait pourtant le record de 21,3 % de chômage chez les jeunes. De quoi contraster avec l’image économique dynamique que la propagande d’Etat tient à maintenir.

Et inévitablement, comme un aveu de faiblesse, la Terre jaune occulte les atrocités qu’elle ne saurait voir : elle ne publiera plus ses chiffres jusqu’à nouvel ordre. Qui plus est, elle qui avait souvent affiché une croissance idéale de 7 % (chiffre porte-bonheur en Chine), a dû afficher cette année un décevant 5 %. Un chiffre politiquement correct mais annonçant au monde un recul : qui peut prédire de quoi demain sera fait?

La Chine, qui avait souvent affiché une croissance idéale de 7 % (chiffre porte-bonheur en Chine), a dû afficher cette année un décevant 5 %. Un chiffre politiquement correct mais annonçant au monde un recul.

La tentative de re-hégémonie américaine

Donc, affaiblie économiquement, la Chine est dans les cordes. Et l’administration Biden n’arrête pas d’enchaîner les uppercuts. Il y a un an, le premier coup était le plan Inflation Reduction Act de subventions pour accélérer les investissements. Ambitieux, il interdisait les composants chinois et encourageait les Japonais et Sud-Coréens. Le dernier coup est cette démonstration de force politico-diplomatique des Etats-Unis et ses alliés asiatiques, à Camp David. Quoi de mieux que de s’afficher avec les voisins les plus imposants du Pays du Milieu? Quoi de mieux que d’encercler la Chine géographiquement et de l’isoler diplomatiquement? Plus que cela, n’est-ce pas la démonstration la plus totale du soft power américain que de s’afficher dans un sommet multilatéral, réconciliant deux ennemis jurés?

Face à la complexité de cette situation, certains verront une tentative inespérée de glisser vers le Pacifique un centre du monde déjà bien établi. D’autres y voient la remise en question de l’Hégémon et le début de son agonie.

Chine affaiblie? Etats-Unis vers le déclin? Début d’une guerre froide? A demain de répondre aux bonnes questions.

 

A voir aussi (sources) :

 

Articles :

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