Battlefield, CoD, Soldats Inconnus... : la guerre peut-elle vraiment être un jeu  ?


Les guerres, fictives ou non, ont depuis toujours formé un excellent ressort vidéoludique. Ainsi, nombreux sont les développeurs à avoir donné vie à leur propre vision de ces dernières. Aujourd’hui, nous allons tenter d’analyser sous différents angles le traitement qui en est fait et les avantages et inconvénients qu’il peut poser.

Des tirs, du sang et des larmes.

piliers du FPS contemporains  : Battlefield et Call Of Duty C’est ainsi en exploitant les codes pré-existants de représentation de la guerre que les FPS se sont, au fil du temps, imposés comme les jeux de guerre les plus convaincants et naturels. Et pourtant, la vision qu’ils prônent est bien erronée. Malgré une recherche constante de cohérence historique (en utilisant les armes et véhicules de l’époque notamment), la guerre, telle qu’elle est présentée, n’a rien de réaliste. Elle y est d’abord édulcorée.

Battlefield, CoD, Soldats Inconnus... : la guerre peut-elle vraiment être un jeu  ?

Medal of honor comme Call of duty sont immaculés : le sang est totalement absent de l’équation, comme si la guerre pouvait être envisagée comme un acte propre et clinique … Le conflit est montré comme une suite de péripéties abracadabrantesques mais sans réel danger.

La violence présentée dans les derniers FPS de guerre n’a rien à voir avec celles de ces prédécesseurs Si le jeu a été censuré dans quelques pays et le contenu lissé (en permettant au joueur de choisir de tirer ou non) vous ne subissez pas quelques faibles dégâts avant de vous échapper en toussant, la vue brouillée ; vous criez à la mort tandis que votre corps fond et que vos organes cessent de fonctionner. Je ne suis pas contre étudier des choses telles que le phosphore blanc dans les jeux, tant qu’ils sont montrés tels qu’ils sont vraiment : un moyen de mettre fin à la vie de quelqu’un de façon extrêmement douloureuse, lente et inutilement horrible.

C’est ce qu’a notamment réussi à faire Spec Ops : The Line, en vous faisant avancer à travers les corps agonisant des soldats suite à une frappe au phosphore blanc, pour finalement découvrir les cadavres calcinés des civils, que vous êtes censés protéger. Le jeu édité par 2K Games, à travers ce genre de scènes notamment, se veut beaucoup plus critique de la guerre, en dévoilant sans concession les horreurs qu’elle peut engendrer. S’il s’agit pour le coup d’un TPS, ce postulat est tout de même intéressant, tant il rompt avec la posture des Call of Duty et autres Medal of Honor, qui, à trop vouloir faire de la guerre un jeu, passe à côté de bien des aspects.Ces limites sont d’une certaine façon inhérente au genre même du FPS, particulièrement quand il a une composante multijoueur. En effet, cette dernière implique à la fois la capture et la défense de position, et le besoin de terrasser son opposant. Pour ce faire, il faut employer les armes les plus puissantes, de façon pas toujours réaliste, et privilégier l’action avant tout. Les FPS ne proposent en effet qu’une certaine temporalité du conflit, dans laquelle tout se passe vite. Pas le temps pour la stratégie, ni de place pour les à-côtés du combat : il faut agir et ressentir l’adrénaline du combat, et ce constamment. Si cela peut s’avérer bien efficace pour faire ressentir la peur, le stress ou encore la violence qui ont animé certaines batailles, ce choix occulte néanmoins bien d’autres aspects et temporalité de la guerre. Ce n’est pas un mal en soit, mais il serait bien dommage de considérer les FPS comme les seuls jeux de guerre et oublier totalement ces autres jeux qui apportent une autre vision de ces événements historiques lourds de sens.

… mais pas que

tant les approches originales sont nombreuses Si l’idée de mettre ainsi les civils en avant est venue du PDG du studio l’antimilitarisme de 1916 : Der Unbekannte Krieg, ou encore la guerre culturelle dans le serious game Sauvons le Louvre, mais pour finir nous allons plutôt nous attarder sur le projet à venir des Polonais de chez Brave Lamb Studio  : War Hospital. Composé notamment d’anciens de chez CD Projekt, le studio travaille actuellement sur son premier jeu qui vise à montrer la Première Guerre Mondiale sous un angle bien particulier. Loin des champs de bataille, c’est dans le monde horrifique des hôpitaux de guerre que se déroule War Hospital. Brave Lamb Studio a ainsi décidé de lever le voile sur certaines atrocités de la guerre  : les blessures, les mutilations, les gueules cassées, les dilemmes liés au manque de moyens… Un projet salutaire qui a su attirer l’attention de l’Imperial War Museums, organisme britannique gérant plusieurs musées autour des différents conflits mondiaux, qui a signé un partenariat avec le studio, reconnaissant ainsi la valeur que peuvent également avoir les jeux de guerre  : une valeur éducative.

Apprendre en s’amusant

accompagnés d’un petit texte expliquant le contexte Il faut dire que les contraintes imposées par la nécessité de produire un scénario convaincant et un gameplay haletant mènent parfois la vie dure à la cohérence historique, tout comme les vieilles habitudes. Le fait d’arpenter les terres dévastées de NecroVisioN armé de sa baïonnette (qui n’était pas aussi présente que ce qu’on aime à penser sur le champ de bataille) tranche par exemple avec le réalisme des tranchées et de la folie meurtrière animant la Grande Guerre. Dans les faits, il est impossible de trouver un jeu traitant de la guerre sans aucune incohérence, erreur, maladresse et autre cliché. Paradoxalement, ce sont justement des jeux qui fuient le réalisme qui font plus facilement consensus, puisqu’ils n’ont pas la prétention de tout savoir et tout montrer. 1916 : Der Unbekannte Krieg, un projet d’étudiants danois, a par exemple cette particularité qu’il parvient à produire un réalisme saisissant à travers un scénario métaphorique loufoque. En effet, dans ce jeu vous devez fuir un vélociraptor qu’il vous est impossible de tuer. Pour ce faire, vous pouvez le distraire en lui jetant des bouts de cadavre en espérant arriver au bout du tunnel sain et sauf. Le message est clair et saisissant : vous êtes coincé dans un combat dénué de sens, cherchant par tous les moyens, même les plus horribles, à fuir le destin funeste qui est le vôtre, à la manière d’un soldat de la Première Guerre Mondiale. En cela, 1916 est brillamment réussi. En réalité, ce qui leur donne leur valeur éducative, c’est bien ce qu’on cherche à tirer de ces jeux de guerre. À ce titre, la plupart d’entre eux peuvent apprendre de nouvelles choses, de la connaissance historique pointue à des détails plus triviaux. Et pour faire dans la trivialité, on peut par exemple se pencher sur les jeux de la licence Red orchestra pour découvrir les insultes de l’époque.

Nous avons essayé de recréer autant que possible la langue des années 1940. Il y avait peu de chance que les soldats russes de l’époque chargent en criant  : ‘Eh, mofo les allemands  !‘. Nous avons dû compter sur des livres de la période.

Alan Wilson, vice président de la société Tripwire interactive dans « Guerres et jeux vidéo : représentations et enjeux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale »Ce souci de la cohérence emmène le joueur à pouvoir entendre des soldats allemands proférer, dans leur langue, des insultes telles que « Retourne ramper dans ton fumier » ou « Ton Armée rouge est une blague bolchévique de merde, je lui chie dessus ». Un détail qui, s’il ne vous fera pas forcément briller en société, a le mérite d’apporter une connaissance nouvelle sur un sujet souvent enseigné sous le même prisme. Les jeux vidéo de guerre ont ainsi cet avantage qu’ils permettent de découvrir l’Histoire et les guerres qui l’ont bercé sous un nouvel angle, plus immersif, plus frais, plus impactant. Et ça l’armée l’a bien compris.En effet, certains jeux sont si réalistes dans le traitement de la guerre qu’ils sont maintenant utilisés afin de former les futurs soldats. Selon les dires de Philippe Dutroncy, aujourd’hui général de brigade, nombreux sont les jeux à avoir formé des recrues de l’Armée Française, de Ghost Recon, à Operation Flashpoint, en passant par Steel Beasts. Le jeu de simulation Virtual Battlespace 3 est, lui, particulièrement connu pour son gameplay formateur, qui permet notamment d’entraîner les FAC (forward air controller). La simulation à travers les jeux vidéo a pris tellement d’ampleur au fil des années qu’elle constitue la formation principale de certains soldats, comme le souligne Laurent Tard, ancien militaire et expert en simulation :

On a des gens qui apprennent à tirer des missiles, mais qui ne tireront jamais des missiles réels. Ils feront toute leur formation sur simulation.

Ce potentiel a été jugé si fort que certaines armées sont même allés bien plus loin.

Joueur s’en va-t-en guerre

De même Peu sont les jeux (comme Spec Ops : The Line ) à nuancer ce propos ou questionner « le patriotisme tapageur » utilisant à outrance l’ordre n° 227 interdisant toute retraite non autorisée Dis comme cela Si l’étude de Rodolphe Moindreau (Complexe militaro-industriel du divertissement et jeu vidéo de guerre encore trop présents dans notre société. Car oui, un vrai homme n’est pas forcément un soldat courageux et bourré de muscles, capable de terrasser ses ennemis par la seule force de ses poings, mais ça c’est encore un autre sujet…En somme, le traitement de la guerre dans les jeux vidéo a peu à peu évolué, passant de combats manichéens aux scénarios souvent peu subtiles à des productions plus approfondies, tant au niveau de la recherche, de l’angle ou de la représentation réaliste. À travers les jeux, la guerre se vit et s’apprend, mais surtout se questionne. Car oui, il est important, quand on traite de sujets historiques et/ou sensibles, de prendre du recul et de faire la différence entre ce qui relève du jeu, du divertissement et de la réalité. En ce sens, il n’a jamais été aussi important de se rappeler ce que nous disait Antoine de Saint-Exupéry, auteur du Petit Prince et pilote de guerre : la guerre n’a rien d’une aventure.