Nicolas Tonev, édité par U.P
18h38, le 25 février 2022, modifié à
19h11, le 25 février 2022
Des dizaines de montres de luxe à son poignet, dont certaines valent jusqu’à 400.000 euros, une immense propriété dans le nord de la Russie présentée comme étant la sienne, un gigantesque palais au bord de la mer Noire estimé à un milliard d’euros… Depuis son accession à la tête du Kremlin le 1er janvier 2000, Vladimir Poutine a été aperçu à de multiples reprises affichant des signes extérieurs de grande richesse. Mais comment le président russe, qui gagne environ 200.000 euros par an et n’a fait carrière que dans la fonction publique russe, peut-il s’offrir un tel train de vie ? Europe 1 a mené l’enquête. Pour trouver un début de réponse à la fortune de l’actuel président russe, il faut remonter au début des années 1990. Dès cette époque, des soupçons de corruption pèsent sur lui. En 1991, quand le système soviétique s’effondre, le maire de Saint-Pétersbourg de l’époque, Anatoly Sobtchak, lui propose de devenir son adjoint chargé des relations internationales. Vladimir Poutine quitte le KGB, depuis devenu FSB , et aurait alors perfectionné le système existant pour gérer la ville : la corruption.
Les témoins du « système Poutine » à Saint-Pétersbourg
Franz Sedelmayer, homme d’affaires
« Des types sont venus me voir six mois après le démarrage de l’entreprise. Ils ont dit qu’ils avaient des projets pour nous, comme par exemple, changer les managers de la boîte », raconte-t-il. « L’idée, en fait, c’était de remplacer mes hommes par les leurs. J’ai répondu que tant que je serai le président de la compagnie, ce ne serait pas possible. On était partenaires, mais c’est moi, le patron, qui décidait qui travaillait ou pas dans la boîte. » Quant à savoir pourquoi la police essayait de l’exproprier, Franz Sedelmayer rétorque sans détour : « Notre compagnie marchait bien et ils espéraient mettre la main dessus. » Pour résoudre ce problème inattendu, l’homme d’affaires prend alors rendez-vous avec celui qu’il l’a aidé à s’installer, l’adjoint au maire de la ville, un certain Vladimir Poutine. Une rencontre surprenante. « Je suis allé voir Poutine et sa réaction a été inattendue. Il m’a répondu que ce n’était pas son problème, ni celui de la ville », se souvient-il. « Poutine a dit qu’il ne voulait pas interférer dans une dispute entre des partenaires de business. Et quand j’ai demandé pourquoi, il m’a clairement répondu qu’il avait assez de travail à faire pour protéger les intérêts du maire vis-à-vis de l’administration. J’ai alors compris que des relations de travail bien particulières existaient dans cette ville. Pas aussi ‘normales’ qu’ailleurs, disons… «
» J’ai alors compris que des relations de travail bien particulières existaient dans cette ville «
C’est en tout cas ce qui ressort du témoignage d’Andrei Korchagine, ancien élu de la capitale russe.
Andrei Korchagine, ancien élu de Saint-Pétersbourg
« Les députés ont accusé Vladimir Poutine de machinations illégales portant sur des centaines de millions de dollars. C’était des sommes énormes… » Plus précisément, la commission estime le montant de la fraude à 900 millions de dollars. Sur les documents qu’Europe 1 a pu consulter, les conclusions sont sans appel. « L’analyse comparée des prix indiqués dans l’accord témoigne du caractère criminel des conditions de ce dernier. Vladimir Poutine refuse de présenter tout un ensemble de documents, dans l’intention de cacher la vérité sur la situation des affaires. »
» Obtenir la signature d’une personne aussi importante sur le moindre papier, c’était absolument impossible sans payer «
« Il doit être démis de ses fonctions et ne doit plus se voir confier de responsabilités publiques », peut-on lire. Pourtant, cette recommandation reste sans suite et Vladimir Poutine demeure maire-adjoint de Saint-Pétersbourg, la preuve d’un système venu d’en haut pour Andrei Korchagine : « Commettre un crime pareil n’est possible qu’avec le soutien du sommet de l’État. Et les gens qui ont commis cela, dont le camarade Poutine, avaient compris qu’ils avaient du soutien et que toutes ces affaires seraient couvertes. » Document d’exportation signé en bas à droite par Vladimir Poutine. Crédit : Fond d’archives de Marina Salié, députée à l’origine de la première enquête dirigée contre Vladimir Poutine.
Kinichi Kamias, un « yakuza »
C’est ce que confie un « yakuza » Kinichi Kamias apparaît aux côtés de ses associés russes, Guennadi Petrov, le chef de la mafia locale et son adjoint, Serguei Kouzmine.Le Japonais comprend immédiatement à qui il a affaire : « J’ai tout de suite vu que ce n’étaient pas des gens normaux. Ils avaient leurs propres hôtels et des gardes du corps équipés comme des militaires, avec des mitraillettes pour se protéger. Ils venaient me chercher eux-mêmes à l’aéroport, et parfois même avec un bus. Moi, je demandais : pourquoi un bus ? Et Guennadi me disait : ‘Parce que dans cette ville, je contrôle aussi tout ce qui touche aux transports’. De ce que je comprenais, ils contrôlaient tout. Ils pouvaient donc avoir toutes les autorisations. » Le chef de la mafia aurait ainsi expliqué à Kinichi Kamias que le véritable maître du jeu serait en réalité le maire adjoint de la ville, Vladimir Poutine. C’est notamment lui qui autorise l’ouverture de casinos finit-il par comprendre. « Ils m’ont expliqué, enfin Guennadi m’a dit, que les autorisations venaient de Poutine. J’étais surpris, je me demandais pourquoi il contrôlait aussi les casinos. Peut-être qu’il voulait faire du business… » Guennadi Petrov est alors incontournable, car tous ceux qui souhaitent faire du business dans la ville passent par lui. Et pour cause, il aurait un atout-maître pour les autorisations liées au business : il travaillerait main dans la main avec le maire-adjoint, Vladimir Poutine. Les semaines et les mois passant, Kinichi Kamias finira même par comprendre qu’entre Vladimir Poutine et Guennadi Petrov, il y aurait plus que les affaires, une amitié. Au fil des années, les malversations supposément liées à Vladimir Poutine finissent par attirer l’attention de la police, et même de certains membres des services russes.
Les premiers révoltés
/h3>/h3> Réfugié en Grande-Bretagne on le voit la peau jaunie il informe ses supérieurs de ses découvertes Qui a donné l’autorisation ? C’est une partie importante de la question, savoir qui porte la responsabilité de cela et qui doit être puni. »
» J’ai pris mon portefeuille, je suis monté dans un avion, et je suis parti «
mais l’enquête est remontée jusqu’à deux anciens membres des services secrets russes qui vivent aujourd’hui tranquillement en Russie, protégés par le pouvoir. En septembre 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé de son côté la responsabilité de la Russie dans la mort d’Alexander Litvinenko.
Nouveaux soupçons
José Grinda, procureur espagnol
Vladimir Poutine président n’aurait donc jamais mis fin à des logiques d’enrichissement personnel. Mais a-t-il abandonné ses anciennes relations ? Particulièrement celles qu’il entretenait avec Guennadi Petrov, le chef de la mafia de Saint-Pétersbourg ? Le 14 juin 2008, ce dernier et ses proches sont arrêtés en Espagne. Guennadi Petrov est victime de son train de vie fastueux : la police vient le chercher dans une immense villa qu’il avait fait construire avec vue plongeante sur la mer. Un gigantesque paradis immobilier, mais aucun revenu déclaré. En 2007, la justice espagnole commence à s’intéresser au chef mafieux. Il est mis sur écoute et sous surveillance. Parmi les procureurs à l’initiative de cette enquête, José Grinda. Dans les écoutes téléphoniques qu’il a ordonnées, il découvre, stupéfait, l’ampleur des liens entre la mafia russe et le gouvernement de Vladimir Poutine. « Monsieur Petrov parle fréquemment avec certains hommes politiques et certains fonctionnaires. Il y a des conversations dans lesquelles ils évoquent les intérêts de Petrov en Russie. Et ils parlent sur un ton qui n’est pas un ton amical mais plutôt un ton pour obtenir quelque chose, pour influencer ces personnalités publiques. C’est ce que l’on appelle du trafic d’influence », rapporte-t-il.
» C’est ce qu’on appelle du trafic d’infuence «
Un trafic d’influence qui aurait notamment lieu entre le chef de la mafia Guennadi Petrov et « Tolik », autrement dit Anatoly Serdioukov, le ministre de la défense de Poutine selon les écoutes réalisées par le procureur. « C’était une relation très intime. Ce n’est pas comme s’ils se connaissaient à peine. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que Guennadi Petrov entretenait une relation de supériorité hiérarchique vis-à-vis d’Anatoly Serdioukov. Enfin, peut-être pas hiérarchique, mais en tout cas, de supériorité. Dans les conversations, dans la façon de parler, Anatoly Serdioukov était clairement en-dessous de Guennadi Petrov », affirme José Grinda. Des liens entre le chef mafieux Guennadi Petrov et un ministre proche de Vladimir Poutine sont donc avérés. Mais il est également possible que l’actuel président russe figure en personne dans les conversations enregistrées via un surnom qui revient régulièrement dans les écoutes : « Piervyi », Premier en russe. Dans une conversation retranscrite par la justice entre Guennadi Petrov et son fils Anton, le « Premier » semble avoir la main sur tous les types de business. Alors qui est réellement ce mystérieux « Premier » ? « Je ne sais pas, je ne m’en souviens pas », glisse dans un sourire José Grinda.
Serguei Kolesnikov, homme d’affaires
Vladimir Poutine est un chantre de la lutte anti-corruption. Il estime fréquemment sur les plateaux de télévisions russes que les lois et pratiques russes en la matière sont au niveau des standards internationaux. Mais à en croire l’homme d’affaires Serguei Kolesnikov, ce ne serait qu’une façade. En 2010, ce dernier a dû quitter précipitamment la Russie, menacé d’une arrestation imminente. « J’ai appris qu’un proche de Poutine avait décidé de faire poser de la drogue dans ma voiture pour me faire envoyer en prison. Alors j’ai pris mon portefeuille, je suis monté dans un avion, et je suis parti », témoigne-t-il. Depuis il vit en Europe. Pour témoigner, il donne rendez-vous à Vilnius, la capitale de la Lituanie. Dans sa chambre d’hôtel, il fait écouter un enregistrement réalisé au cours d’une réunion avec ses associés, une des dernières avant son exil. Une réunion de travail durant laquelle les résultats financiers de son entreprise de matériel médical sont passés en revue. Un business florissant en 2009 grâce à un actionnaire caché, selon Serguei Kolesnikov : Vladimir Poutine. Grâce à lui, l’entreprise aurait reçu de nombreuses commandes publiques avec à la clé des bénéfices conséquents, réclamés par un certain Mikhail Ivanovitch. Un personnage clé des enregistrements clandestins réalisés lors des réunions par Serguei Kolesnikov, et qui est en réalité un pseudonyme. « Ce surnom (sic) désigne Poutine », confirme-t-il. Un stratagème utilisé pour « parler sans citer un nom connu publiquement, pour être plus libre de discuter et ne pas attirer l’attention sur nos discussions. » Ce jour de 2009 à Saint-Pétersbourg lors de discussions animées, les associés de Serguei Kolesnikov auraient acté, selon l’enregistrement, le versement de l’ensemble des bénéfices, soit près de 450 millions d’euros à leur actionnaire caché, Vladimir Poutine. Un versement illégal, puisque la fonction publique de Vladimir Poutine l’empêche de toucher de l’argent d’une entreprise privée. Schéma expliquant les transferts d’argent entre les sociétés dont Vladimir Poutine serait un actionnaire caché et les sociétés destinées au financement du palais au bord de la mer Noire, dont la valeur est estimée à un milliard de dollars. À noter la complexité volontaire des transferts, destinée à les dissimuler. Crédit : skolesnikov.orgCet argent, selon Serguei Kolesnikov, Vladimir Poutine l’aurait utilisé pour construire un gigantesque palais au bord de la mer Noire, dévoilé l’année dernière dans le détail par l’opposant Alexeï Navalny, emprisonné depuis. Valeur totale estimée de la propriété et des bâtiments : près d’un milliard d’euros. Serguei Kolesnikov a déjà accusé publiquement à plusieurs reprises Vladimir Poutine d’enrichissement illégal et n’a jamais été attaqué en justice.
Vladimir Poutine et les Panama Papers
Ilya Tcherkassov, patron de la Philarmonie de Saint-Pétersbourg
mais aussi le parrain de la seconde fille de Vladimir Poutine et son meilleur ami depuis l’enfance. Sa signature figure sur des documents ayant permis de cacher plus de deux milliards de dollars au Panama. S’agit-il de sa fortune personnelle ou aurait-t-il accepté de dissimuler l’argent de son ami d’enfance, Vladimir Poutine ?
» Il était et reste un ami de Vladimir Vladimirovitch Poutine «
« Il ne semble pas intéressé par l’argent Ils y étaient invités tous les deux Alors Mais ça ne marche pas si mal que ça/h3> « En réalité un des derniers journaux russes indépendants « Qui a précisément la main sur cet argent en avril 2016. Selon le président russe, Serguei Roldouguine est un homme honnête, tout comme lui. « Plus il y aura de gens comme lui, mieux ce sera. Je suis fier d’être son ami », déclare le maitre du Kremlin. « Ils ont inventé ce qu’ils appellent une information en disant ‘Il y a un ami du président russe impliqué donc cela doit avoir un rapport avec la corruption’. Mais quelle corruption ? Il n’y a aucune corruption. » Certificat de fonction du cabinet Mossack Fonseca qui comporte le nom de Sergey Pavlovitch Roldugin écrit en anglais, l’ami d’enfance de Vladimir Poutine. Crédit.
La traque de Vladimir Poutine
le pétrole. Il le fait avec les gens de son cercle proche et certains dont la rumeur dit qu’ils sont connectés avec le crime organisé de Saint-Pétersbourg », souffle-t-il. « Pour moi, faire cela, c’est du crime organisé en soi car c’est criminel pour des bureaucrates de pouvoir contrôler le cash-flow. Les amis reçoivent tous les contrats d’État, les financements, et ils inventent même des projets spéciaux absolument inutiles. » Un système bien rôdé qui permettrait de dire que Vladimir Poutine est une forme de parrain, selon ce membre des équipes de l’opposant Alexeï Navalny. « Il contrôle tout personnellement. »
William Browder, l’homme d’affaires à l’origine de la loi Magnitsky
La force et la longévité du tentaculaire « système Poutine » a, au fil du temps, piqué la curiosité de nombreux observateurs. Mais dès que l’un d’entre eux s’apprête à montrer les preuves de la corruption de Vladimir Poutine, du gouvernement russe ou des oligarques, le Kremlin n’hésiterait pas à le menacer, voire le sacrifier. La menace de mort peut donc rapidement devenir une épée de Damoclès au-dessus de la tête de certains, comme pour l’homme d’affaires William Browder. Chaque année à Londres, il organise une cérémonie d’hommage à Serguei Magnitski, son ancien avocat « tué, car son crime était d’avoir démontré la corruption du système Poutine. » En 2009, après deux années d’enquête, Serguei Magnitski vient de prouver que de hauts responsables russes ont volé 250 millions de dollars lors de l’expropriation illégale de son patron William Browder. Mais quand il informe la justice russe de ses découvertes, la réplique est immédiate : Magnitsky est arrêté pour fraude fiscale et emprisonné.
» Il a été battu à mort de nuit par huit gardes «
selon lui : Serguei Roldouguine Une grande victoire pour l’homme d’affaires. « La loi Magnitski ruine le modèle de business de Poutine. Il a travaillé dur pendant 17 ans pour voler en commettant des crimes et maintenant, avec l’argent bloqué à l’Ouest, cela n’en vaut plus le coup. Il est touché au cœur de ce qui est le plus important pour lui », jubile William Browder. Mais faire de l’avocat un symbole de la lutte anti-corruption en Russie a une conséquence immédiate : devenir l’ennemi numéro un du Kremlin. « J’ai été menacé de mort et de kidnapping. De nombreuses enquêtes criminelles sont ouvertes contre moi en Russie. J’ai été condamné à 18 ans de prison par contumace », témoigne-t-il. « Les russes veulent me tuer, mais ils veulent me tuer de telle sorte que cela n’ait pas de répercussions pour Vladimir Poutine et pour son régime. Donc ils doivent trouver une façon de me tuer qui ne ramène pas l’enquête vers eux. Et pour l’instant, ils n’ont pas trouvé. Ils y pensent, j’en suis sûr, ils en parlent. Et moi je dois les empêcher d’y arriver. »
Un « système Poutine » sur le déclin ?
Accusations de corruption généralisée, de liens avec la mafia, ou encore d’avoir ordonné des meurtres… Combien de temps le « système Poutine » peut-il encore durer ? Rendra-t-il un jour des comptes ? Aujourd’hui, le secret de sa survie, ce serait de garder le pouvoir par tous les moyens : les russes vont de moins en moins voter et le font de moins en moins en faveur de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine. L’opposition est annihilée, le nationalisme porté à son paroxysme avec le conflit ukrainien pour mobiliser les russes derrière le Kremlin. Mais toutes ces mesures ne permettent pas au président de résoudre son principal problème, sa succession comme le pense Vladimir Milov »Je pense qu’il est déjà en train de prendre la sortie », avance l’ancien ministre. « La question est de savoir combien de temps il va encore pouvoir garder le pouvoir. Beaucoup de personnes vont vouloir le poursuivre en justice. » « Vladimir Poutine a très peur de ne plus être président de la Russie car il sait que moi, tout comme de nombreuses autres victimes de ses crimes, allons vouloir le juger », renchérit de son côté William Browder, l’homme d’affaires à l’origine de la loi Magnitsky. Premier ministre ou président, Vladimir Poutine est à la tête de la Russie depuis août 1999. Après avoir fait évoluer la Constitution, il peut envisager de rester au pouvoir jusqu’en 2036.Remerciements à Anastasia Kirilenko sans qui rien de tout cela ne serait possible et à toutes les personnes qui se dévouent pour témoigner.