Lors d’une soirée ultra-médiatisée, la star d’un club de foot met un coup de tête à son entraîneur avant de le traiter de « sale toubab ». La polémique met en péril le club mais surtout le feu aux poudres à un débat identitaire explosif, d’autant plus qu’une humoriste proche de l’extrême droite souffle sur les braises… Ainsi monte « La fièvre », nouvelle pépite du département « Création originale » de Canal Plus et pour cause : l’auteur Eric Benzekri et le réalisateur Ziad Doueiri, déjà aux commandes de « Baron noir », sont derrière cette série qui ne manquera pas de faire grand bruit par les questions qu’elles soulèvent. Et auxquelles Eric Benzekri répond pour Paris Match.
Une dystopie étant une fiction qui se déroule dans une société exagérément sombre et anxiogène, Éric Benzekri répond par l’affirmative : « Au même titre que « Baron noir » était un contre-champ de la société d’aujourd’hui, « La fièvre » se place au cœur de notre société. On essaye de comprendre où on en est de nos peurs, nos faiblesses… C’est sombre oui, mais il y a des anti-corps contre cette fièvre. » Un surtout, à travers le personnage de Sam (Nina Meurisse), communicante de crise qui pressent et combat le chaos organisé par son ennemie jurée, Marie Kinsky (Ana Girardot).
Existe-t-il des salles dédiées à l’analyse des réseaux sociaux en temps réel tel qu’on en voit dans « La fièvre » ?« Oui. J’ai même visité un centre de ce genre au siège de la SNCF à Saint-Denis. Ils ont un dispositif comparable d’analyse en temps réel sur l’ensemble de la sphère médiatique, réseaux sociaux compris.
Un #grève, #incident ou autre est immédiatement repéré, ce qui leur permet de réagir immédiatement.
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Les ministères aussi sont pourvus de ce genre de salle, très utiles pour les communicants. Si une storie ou une vidéo postée sur Youtube ou X grimpe vite, ils sont immédiatement alertés.
Cela permet d’éteindre des feux. Ou d’en propager car il existe aussi des agences qui opèrent sous les radars où des informaticiens, comme le hacker mandaté par Marie Kinsky dans la série, sont payés pour faire des ingérences de courants d’idées. Giulano da Empoli, prix de l’Académie française pour son roman « Le mage du Kremlin », a écrit « Les ingénieurs du chaos » dans lequel il raconte comment le Mouvement cinq étoiles en Italie a construit son audience sur les réseaux sociaux.
J’ai lu beaucoup d’ouvrages sur la manipulation des médias numériques avant d’écrire « La fièvre ». Saviez-vous, par exemple, que plus de 75 % des tweets en français concernant les punaises de lit étaient issus de bots [faux compte automatisé] générés en Chine et en Russie ? Quel intérêt ? Exploiter des failles qui nous rabaissent ou nous divisent. Et ça a bien marché.
»Que vient faire l’émission Touche pas à mon poste [TPMP] dans « La fièvre » ?« Pour produire un effet de réel, il faut prendre de vrais journalistes et animateurs. Recréer une émission ou un journal télé pour la fiction sort le spectateur du contexte. Des émissions comme Quotidien, TPMP ou C à vous sont des porte-voix.
Que ce soient des influenceurs politiques ou des élus, participer à ces émissions peut servir à corriger votre image. Marie Kinsky attise des tensions identitaires et voit bien que, dans l’opinion publique des quartiers, elle est en difficulté. Elle va donc dans TPMP car l’audience de cette émission rassemble beaucoup de gens issus des quartiers justement.
»On parle beaucoup de la fenêtre d’Overton dans « La fièvre ». C’est quoi exactement ?« C’est une théorie vérifiée conçue par un politologue américain, Joseph P. Overton : comment une proposition impensable (en dehors de la fenêtre) peut, à force de discours et de débat, devenir radical (et de fait, entrer dans la fenêtre), puis acceptable, raisonnable et, enfin, soumis à une proposition de loi.
Les spindoctors de George Bush fils et Donald Trump l’ont mis en pratique. D’autres le font en France, mais je ne vous dirai pas qui. Mon matériau, c’est la réalité.
Je me base sur ce qui existe et le transforme en fiction. Ce n’est pas la série qui est anxiogène, le monde dans lequel on vit. Il vaut mieux donner les clefs pour mieux comprendre ce qui se passe et dépassionner les débats que mettre le problème sous le tapis.
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« La fièvre », chaque lundi à 21 heures sur Canal Plus