« La réglementation s’ouvre, c’est le moment d’accélérer » (Sophie Desormières, Navya)


développé avec le groupe Bolloré.

Navya est donc idéalement positionné pour répondre aux attentes du marché comme l’atteste par exemple la pré-commandes de 100 navettes par notre distributeur sur le territoire japonais annoncé l’été dernier.

« La réglementation s’ouvre, c’est le moment d’accélérer » (Sophie Desormières, Navya)

Vous incarnez également une réorientation de la stratégie de Navya, qui avait déjà retravaillé son positionnement sur le marché pas encore arrivé à maturité des véhicules autonomes ? Notre activité demeure en effet le transport de personnes ainsi que le transport de biens, grâce à notre joint-venture développée avec Charlatte, filiale du groupe Fayat. Cela nous a conduit à développer deux roadmaps technologiques, qu’il était important de clarifier.

J’ai moi-même une très grande culture du résultat en provenance de Valeo, ce qui m’a permis de beaucoup travailler le positionnement de Navya et ses relations avec un écosystème de partenaires au sein de la mobilité autonome.

C’est un aspect essentiel lorsqu’il faut faire émerger une nouvelle chaîne de valeur, de la même manière que ce qu’il s’est passé dans la batterie.

Il ne s’agissait pas de produire une batterie pour faire de la batterie, mais de la lier aux cas d’usage. Et c’est ce que nous sommes en train de mettre en place au sein des navettes autonomes, en signant des partenariats avec plusieurs villes du futur comme Neom en Arabie Saoudite, qui ont un vrai besoin de mobilité autonome qui est directement lié à un objectif d’un impact net zéro carbone.

Quels sont justement les cas d’usage qui se dessinent sur le terrain ? On parle à la fois de transport de personnes et de biens, en commençant par toutes les villes du futur qui sont en train de se construire en Arabie Saoudite et qui ont besoin à la fois d’une mobilité propre, plus inclusive. Mais aussi aux États-Unis sur des routes ouvertes comme à Lake Nona en Floride ou à Los Angeles avec ses grands campus.

La demande émane également de hôpitaux afin de transporter des échantillons de virus comme le Covid, mais aussi d’aéroports où nous avons déjà démarré de premières expérimentations, et même de transports de personnes pour des infrastructures de l’armée ou des prisons. Aujourd’hui, Navya équipe déjà 200 navettes à travers 26 pays et je discute, depuis mon arrivée il y a huit mois, avec déjà huit pays supplémentaires.

Ceux-ci ont besoin d’automatiser leur base roulante pour se tourner vers des niveaux d’automatisation sans opérateur à bord, dits de niveau 4, désormais autorisés par la réglementation. Pour l’instant, votre cœur de marché est toujours situé à l’export, comme le démontrent vos dernières annonces en Arabie Saoudite. Et ce, malgré une enveloppe de l’Etat français obtenue à l’été dernier au sein du plan France relance.

Quels sont les facteurs qui facilitent l’émergence du marché à l’étranger : est-ce une question réglementaire ou culturelle ?

Le marché émerge plus vite en dehors de nos frontières, tout d’abord parce que, sur le sujet des villes du futur, les infrastructures se construisent directement autour de la mobilité autonome. C’est un peu la même chose aux États-Unis, où tout est plus grand, et où les voiries peuvent encore accueillir de nouveaux aménagements.

le marché était plutôt attentiste mais un nouvel engouement se devine dans les appels d’offres qui prévoient désormais non pas une, mais plusieurs navettes.

ces navettes peuvent faire appel à un algorithme pour changer leur chemin si une route est congestionnée par exemple, là où la demande au sein de l’Hexagone demeure sur des parcours plus limités et contraints.

Est-ce à dire que le soutien du gouvernement français au sein de France relance n’a pas encore porté ses fruits ? Nous avons mené des discussions depuis les annonces de France relance. Mais l’on constate par exemple que sur le volet des homologations, qui peuvent prendre trois semaines aux États-Unis contre deux à trois mois en France, il reste des travaux à mener.

Le gouvernement doit accélérer sur la question, car derrière le sujet des navettes autonomes, se trouve aussi un attentisme qui n’est pas favorable à la souveraineté des datas.

Aujourd’hui, on construit des solutions avec des acteurs comme Waymo (le projet de voiture autonome de Google, ndlr) tandis qu’il existe des acteurs comme Navya qui sont en train de faire émerger une chaîne de valeur avec un écosystème en France. Si nous souhaitons être leader dans ce domaine et non pas suiveurs comme dans le domaine de la batterie, c’est le moment de mettre le paquet avec France relance. Attendez-vous plus précisément des financements additionnels ou un coup de pouce réglementaire ?

En tant que directrice générale d’une entreprise cotée sur Euronext de près de 300 salariés, dont le siège est à Lyon et qui produit tout en France, avec des fournisseurs français, nous attendons un peu de tout de la part de l’État.

Sans compter que du côté de nos actionnaires historiques, nous avons des groupes français comme Keolis et Valeo.

comme le démontre le récent rappel de 80 voitures autonomes aux Etats-Unis par la société Cruise (après une collision d’un véhicule de sa flotte n’ayant pas correctement prédit la trajectoire d’un autre véhicule ce qui permet déjà d’embarquer l’intelligence, la perception, la localisation et la définition de la planification d’une trajectoire ou de freiner directement en local.

Concernant l’accidentologie, on évoque souvent l’enjeu des navettes autonomes mais il faut également rapporter ces chiffres aux risques d’accidents générés par des véhicules conduits également par un conducteur.

D’autre part, l’utilisation d’un robot taxi, qui fonctionnerait à la demande comme un Uber par exemple, demande beaucoup d’intelligence à développer, tandis qu’une navette autonome comme celle que Navya peut opérer fonctionne finalement sur une forme de rail software, allant d’un point A à un point B, avec une carte de haute définition située dans sa mémoire. Face aux exigences de « mobilité propre » renforcées par les ZFE, ces navettes autonomes peuvent-elles réellement contribuer à réduire, voire même à remplacer à terme l’usage de la voiture individuelle au sein des villes ? Je pense que la navette autonome constitue la mobilité autonome de demain, et ne servira pas uniquement à réaliser le dernier et le premier kilomètre.

C’est elle qui remplacera à terme les tramways lorsque l’on voudra faire transformer et faire grossir les villes. Que ce soit dans les villes du futur du Moyen-Orient ou dans de grandes capitales comme Paris, il faudra passer par cet outil afin d’éviter la congestion et amener une nouvelle flexibilité.

On prendra la navette autonome comme on prend finalement aujourd’hui la ligne 1 du métro, qui est déjà automatisée. Sauf qu’au lieu d’un rail en métal, on aura un rail software.

Aujourd’hui, il existe beaucoup de développements autour des trottinettes, vélos, scooters, de l’offre de transport en commun, mais ce sera finalement la navette autonome qui deviendra demain la clé de la multi-modalité pour un transport zéro émissions et inclusif. Ces évolutions posent toutefois plusieurs questions, à la fois sociales avec le rôle des conducteurs de bus (dont on manque aujourd’hui), mais aussi techniques et technologies avec la nécessité de pouvoir développer, en parallèle, une offre de connexion haut débit (5G) ainsi qu’une refonte du système d’assurance pour les dommages corporels et matériels ? Sur le plan des conducteurs, nous savons aujourd’hui que la pénurie est énorme et que l’usage des voitures autonomes pourrait justement permettre à ces salariés d’évoluer dans leurs métiers et d’avoir accès à des fonctions plus technologiques. Car nous aurons toujours besoin de superviseurs pour superviser le déploiement de ces navettes.

Concernant la 5G, il s’agit d’un vrai sujet qui doit être traité en lien avec le programme de PIA4 que pas encore validé le gouvernement. Pour l’instant, nous fonctionnons très bien avec les infrastructures actuelles, même si nous savons que nous aurons besoin d’aller vers la 5G pour écrire l’avenir de la filière.

Il existe aussi des travaux avec des groupes bancaires comme le Crédit Agricole sur de nouveaux modes de financement en leasing pour ces futurs véhicules, et le calcul de leur valeur résiduelle également. Aujourd’hui, nous avons déjà un assureur qui nous suit sur l’ensemble de nos déploiements et expérimentations au sein du monde entier, il existera bien entendu un enjeu de volume lorsque les déploiements seront plus massifs, et qu’il sera nécessaire de formaliser à l’avance. Face à l’avancée de la réglementation qui permet une circulation sur routes ouvertes à partir du 2e semestre, le marché a-t-il déjà répondu présent par des commandes ?

Les routes vont en effet s’ouvrir, mais il est probable que cela se fasse encore de manière encadrée, c’est-à-dire à travers des projets pour lesquels on devra soumettre un dossier et probablement le faire valider.

Mais cela me semble normal, et c’est aussi la raison pour laquelle la supervision à distance demeurera importante.

Du côté des demandes, on peut dire qu’à fin septembre, nous avions déjà reçu 17 commandes sur le semestre contre 19 sur l’ensemble de l’année dernière, tandis que du côté du transports de biens, on a déjà déployé 5 navettes et deux planifiées sur le deuxième semestre. Cela nous amène pour l’instant à 27 déploiements sur l’année 2022 qui n’est pas terminée.