Publié le 3 Sep 22 à 6 :16
L’Orne Hebdo
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Alain Lambert revient En 1989 »
Premier ministre : pourquoi pas vous ?
et Jacques Chirac, que je connaissais pour le rencontrer deux fois par an en tant que président de la commission des finances du Sénat, m’indique qu’il veut me voir.Politiquement, je suis renouvelable au Sénat. Donc je pars dans chaque mairie de l’Orne pour rencontrer les grands électeurs.Début juillet, Jacques Chirac me téléphone et me propose un rendez-vous au début de la deuxième quinzaine. Je lui réponds que je suis en campagne, il insiste.Je fais un aller-retour pour me rendre à l’Élysée. Il me garde, en tête à tête, environ une heure. Il m’indique qu’il va se représenter, qu’il craint le pire, que cela peut-être Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen au second tour. Et qu’il veut élargir sa base vers le Centre. »
Il m’interroge sur les Premiers ministres possibles. Je lui réponds : Juppé. Il me dit « Impossible car il sera prochainement condamné ». Je lui dis : « Sarkozy ». Il ne me répond jamais ! Il ajoute : « Pourquoi pas vous ? » Je pense que c’était un test. Pour savoir si « je m’y croyais » !
Alain Lambert, ministre délégué au Budget de 2002 à 2004
h2>Son objectif ? La présidence du Sénat
« Je lui réponds que je n’en ai pas le niveau ni l’expérience. Il sourit et me répond que je suis bien le seul à lui avoir ainsi répondu. Il m’indique qu’il est indispensable que j’accepte d’aller à Bercy compte tenu de la situation des finances publiques et de la crédibilité acquise par l’adoption de la LOLF.Je lui réponds que ce n’est pas dans mes souhaits car j’ai la secrète envie d’accéder un jour à la présidence du Sénat, ce qui est souvent le cas pour les anciens présidents de la Commission des finances.Il me répond que je n’y parviendrai pas car je ne suis pas RPR (sigle de l’époque) qui domine largement au Sénat. Nous nous quittons sans plus avancer sur le sujet. Il m’indique qu’il me tiendra au courant à l’automne.Je suis facilement réélu au Sénat et aussi président de la Commission des Finances, et à l’automne, il me demande de passer le voir, ce que je fais. Il me réitère sa demande, je lui réponds que je réfléchis, mais que je ne suis pas encore convaincu, d’autant qu’il pèse un très lourd aléa sur le résultat de l’élection présentielle. »
Alain Lambert.
« Et il m’envoie dans les meetings où je prends la parole. C’est la chasse aux électeurs centristes. François Bayrou m’en veut. On se réconciliera plus tard.Finalement, on se retrouve avec Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen au second tour. Le résultat n’est pas inquiétant, alors il commence à réfléchir à la composition du Gouvernement.Il me rappelle en me disant qu’il compte sur moi. Je ne réponds pas. »
h2>L’inhumation de Pierre Mauger
Je réponds que cela dépendra de la politique envisagée. À h h 45, la standardiste de Matignon me passe Jean-Pierre Raffarin. Le nouveau Premier ministre me propose la fonction de ministre délégué au Budget. Il m’indique que le ministre des Finances sera Francis Mer. Je rappelle le Premier ministre, le 7 mai à 0 h, pour lui donner mon accord. »
Puis je dois partir immédiatement pour Alençon où je me rends à l’inhumation de mon prédécesseur à la mairie d’Alençon : Pierre Mauger. Il a exprimé la volonté que je prononce son éloge funèbre. Ce sera un moment émouvant pour moi.
Alain Lambert.
« Nous avons commencé comme adversaires politiques. Progressivement nous sommes devenus seulement opposants puis amis personnels. Tout simplement. Mais sincèrement. Son départ m’attriste profondément. J’aperçois comme un symbole au fait qu’il passe sur l’autre rive, au moment même où une nouvelle étape de ma vie politique commence.
h2/h2> le lendemain, le 8 mai à 8 h. »
Alain Lambert.
»
« J’ai négocié mon décret d’attribution »
« Les gens regardent beaucoup les titres : ministre, ministre délégué, secrétaire d’État. Moi, j’étais plus attaché à mes attributions. Donc je suis allé à la rédaction du décret d’attribution. »
Ce qui est le plus important, ce n’est pas d’être secrétaire d’État ou ministre délégué, mais quel pouvoir le Premier ministre donne. J’ai négocié mon décret d’attribution alors que mon ministre des Finances n’a rien négocié. Et j’avais à peu près les mêmes pouvoirs que lui !
Alain Lambert.
« Francis Mer ne comprenait rien au fonctionnement de l’État. Il a été plutôt pénible à gérer et aurait mieux fait de s’occuper uniquement de l’économie. Ce qui n’est pas ma spécialité. Je suis plus apte à parler avec les fiscalistes et les banquiers plutôt qu’avec les industriels.Quand on est ministre délégué au Budget, on nous demande toujours de l’argent. Mon travail était de dire non, mais ne pas fermer la porte à la discussion. Dire : “Non, pas maintenant, mais discutons”. Ce n’était jamais oui immédiatement car cela aurait été perçu par les collaborateurs comme quelque chose à laquelle je n’aurais pas pensé. »
La bonne idée vient forcément toujours du ministre. Donc c’était « Non aujourd’hui, mais le sujet mérite d’être ouvert ». Après, je rappelais en disant : « Viens me voir ».
Alain Lambert.
Ça aide. Ça m’a fait découvrir un certain nombre de choses, dont celle de ne pas m’occuper de la question qui m’est imposée.Je gagnais 7 0 0 € par mois au titre de traitement. Évidemment, un ministre ne paye plus de restaurant ni de carburant. S’il n’est pas propriétaire, il doit continuer à payer un loyer et son argent sert à s’habiller. »
Pour ma part, cette fonction de ministre m’a obligé à démissionner de ma fonction de notaire. Et la première année où j’ai été ministre, ma rémunération n’arrivait pas à payer les impôts sur le revenu que je devais de l’année précédente. Pendant la première année, je n’ai pas gagné un euro ! Et je gagnais davantage en tant que notaire. Pour autant, je ne regrette pas.
Alain Lambert.
h2>La retraite de ministre : un mythe !
« Un ministre paye des impôts et il n’y a pas de retraite de ministre. Quand on sort d’un ministère, on continue de cotiser dans l’assemblée parlementaire dont on vient. Moi je cotisais au Sénat, les députés cotisaient à l’Assemblée nationale et ceux qui n’étaient pas parlementaires avant, choisissaient leur chambre. »
Il n’y a pas d’avantages fiscaux quand on est ministre. Mais on conserve de l’influence. Par exemple, il n’y a pas un endroit à Paris où on me refuserait un rendez-vous. Et j’ai toujours un bureau dans les services du Premier ministre. Il sert pour le Conseil national d’évaluation des normes. J’ai commencé sous Jean-Marc Ayrault.
Alain Lambert.
32 collaborateurs
« À Bercy, mon cabinet a été constitué avec Augustin de Romanet, que j’ai choisi. Et il a été très vite reconnu comme l’un des meilleurs du gouvernement. Il suffit de voir 20 ans après ce qu’ils sont devenus, ils occupent tous des postes de très haut niveau. Et ils sont fidèles en amitié. On fait un diner d’anciens de temps en temps. Il s’agissait d’une « dream team ».
Souvent les gens s’interrogent sur les capacités intellectuelles dont il faut disposer pour exercer une telle fonction, mais la puissance de son entourage est décisive.
Alain Lambert.
« Sur chaque sujet qu’il me fallait arbitrer ou exposer, je disposais de tous les instruments pour me déterminer. Nous avions d’ailleurs souvent des débats collégiaux pour essayer de nous tromper le moins possible.Simplement, comme ils étaient 32 collaborateurs à produire de la note toute la journée, il faut une santé de fer pour les lire vite et les annoter. Le cabinet Budget est la cabine de pilotage financier de l’État, tout passe par nous. C’est incroyablement intéressant, mais chronophage comme pas possible. »
h2>« Vous nous avez abandonnés »
« Le rythme de vie est absolument éreintant. On dort quatre heures par nuit, les rendez-vous, séances et déplacements s’enchainent et on se fait critiquer sur son propre territoire, car on n’y vient pas assez souvent. C’est assez ingrat comme situation.Parce qu’on a découvert en conseil des ministres que nous devions démissionner de nos fonctions respectives. Nous n’avions jamais été prévenus avant. Et il n’y a pas d’interdiction législative. On se tait tous en conseil des ministres, mais nous tombons sur Raffarin ensuite. Finalement, je démissionne le dernier jour du mois.C’est là que je découvre le premier sentiment de dépendance. »
Je me suis dit que ça allait troubler ma relation avec les Alençonnais. En mars 2001, je suis réélu largement, et un an après, je leur dis Ciao !
Alain Lambert.
« Dans mon esprit, j’avais l’intention d’être maire avec un maire délégué, qui aurait été Christine Roimier. Pour montrer que je restais présent sur le territoire. Souvent d’ailleurs, j’ai entendu : “Vous nous avez abandonnés ! ”.
» On sauve les apparences «
C’est à cette époque que j’ai compris l’importance d’avoir toujours un sac de linge de change pour prendre une douche, mettre du linge propre pour trouver la force et l’inspiration pour commencer une nouvelle journée, dans la foulée de la précédente. »
Le rituel de la douche et de se changer toutes les 24 heures est ce qui nous sauve. On sauve les apparences.
Alain Lambert.
je suis accusé, par ma déclaration, d’avoir infléchi discrètement la politique du gouvernement. C’est l’heure de l’interruption du diner. Je demande qu’on me redonne le papier que j’avais lu, pour vérifier ce qu’il pouvait contenir de mauvaise foi. Il avait disparu. Personne ne peut me retrouver le papier. À la reprise de la séance, la controverse reprend et je demande la réserve de l’article pour changer du sujet.Le problème se résout miraculeusement le lendemain matin. La presse en fait ses choux gras en prétextant que c’est un désaccord entre Francis Mer et moi, alors qu’on n’en avait jamais parlé. »
Encore aujourd’hui, je ne comprends pas ce qui s’est passé. Quelles petites guerres s’étaient jouées dans mon dos entre ministères et Matignon. J’y ai vu une tentative de déstabilisation pour m’affaiblir juste avant les premiers arbitrages budgétaires de l’été.
Alain Lambert.
h2>L’engueulade de Chirac
« Pour les souvenirs drôles, a posteriori, c’est l’engueulade de Chirac, car mes fonctionnaires des douanes n’avaient rien trouvé de mieux que mettre cul par-dessus tête l’avion personnel de l’Émir du Qatar qui amenait toute sa suite pour faire ses courses Place Vendôme. »
Chirac m’intimait l’ordre de faire cesser la pagaille immédiatement. Et moi, je devais négocier avec les syndicats pour qu’ils cessent leur cirque. Et veiller à ce que cela ne fasse pas trop de bruit pour que le Canard Enchainé ne s’en mêle pas.
Alain Lambert.
« Avec les Douanes, c’était toujours particulier, car, par exemple, pour le trafic de drogue, il fallait payer les aviseurs pour prendre les filières en flagrant délit, mais comment savoir si l’opération allait réussir ou échou r ? Ce sont des cas de conscience permanents. »
En insécurité à Alençon et Bercy
Ils leur ont demandé de reculer et ça a commencé à pousser.Et une autre fois à Bercy. J’étais en conférence de presse sur le Budget quand un gars est arrivé sur la scène avec une seringue infectée de VIH. Il m’a menacé avant de se faire embarquer par les services de sécurité. Je pense qu’il n’aurait rien fait, il avait voulu profiter de l’événement. »
« Chirac proposait de me taire six mois de p ! ! »
« J’ai découvert que je sortais du Gouvernement par un collaborateur. Personne ne m’avait prévenu. J’ai trouvé cela cavalier.On est en mars 2004, le lundi, lendemain de ma réélection au Conseil Général de l’Orne avec 23 voix d’avance sur Alain Berthelot, le maire de Larré. Je suis le seul ministre réélu et je suis viré, car on a perdu les élections.J’étais en train de remettre une décoration à un grand percepteur de Paris avec tous les directeurs de finances quand mon téléphone a sonné. »
Le Premier ministre m’a dit : « Je suis désolé, mais tu vas quitter le Gouvernement, car Sarkozy a imposé de devenir ministre des Finances et tu es trop près de lui. On ne peut pas te garder ». Je lui réponds que je n’ai jamais demandé à devenir ministre et qu’il remercie Chirac de me rendre ma liberté.
Alain Lambert.
« 15 h, le chauffeur me dit : “Je vous reconduis à Alençon”. Nous rentrons donc avec mon épouse et, arrivé pile devant ma maison, Chirac m’appelle. Le ton avait changé, il me tutoyait. “Raffarin me dit que tu me remercies, ce n’est pas courant !”, me dit-il. Ce à quoi je lui réponds qu’il n’a plus besoin de moi alors qu’il m’a forcé à rentrer au Gouvernement, mais qu’il m’accorde une faveur précieuse : “Dire ce que je pense de votre façon de gouverner la France, puisque je ne pouvais pas le dire jusqu’alors”. Il me fait entendre que je m’emporte et qu’il m’appelle pour toute autre chose : “Tu vas te représenter au Sénat en septembre et, avant, je voudrais que tu me rejoignes à mon cabinet à l’Élysée”. Il proposait de me taire six mois supplémentaires ! Comme j’étais payé pendant six mois encore après ma fonction de ministre, j’ai accepté !Je n’ai jamais parlé ensuite pour autant, car je pense qu’il faut que les critiques soient constructives. Et ce n’est pas très élégant de cracher dans la soupe. Je ne suis pas addict à la politique, je suis passionné par les idées politiques. »
Chez les politiques actuels, je n’en trouve aucun de bien. Ils vont vite dans la dépense et dans la dette alors que la LOLF est faite pour bien gérer. La dette, c’est ce qu’on va livrer à nos enfants.
Alain Lambert, ministre délégué au Budget de 2002 à 2004.
Lobbyiste d’Alençon
« En conclusion, c’est une expérience intéressante à connaitre, car on apprend tout du fonctionnement interne et secret d’un État puisqu’il ne peut pas sortir un centime sans qu’on le sache. On apprend aussi comment une grande Nation comme la France regarde son gouvernement en lui prêtant souvent des intentions qu’il n’a pas et aussi l’incroyable étroitesse des marges de manœuvre.Fallait-il ou pas accepter ce poste à Bercy, au f nal ? Il me semble évident, avec le recul, que c’était l’intérêt de notre territoire et que ma préférence ou non ne devait venir qu’en second plan. C’est pour cela que j’ai accepté, après avoir consulté mes proches. »
« Aujourd’hui, ce serait non ! »
« Parce que tout cela est lié à l’attachement qu’en humanité j’ai pour mon territoire. La mission d’un politique c’est de défendre son territoire. »
Si tu restes chez toi sans relation, ça ne peut pas évoluer. Il faut être en contact avec les gens qui décident et qui te donnent la chance de voir aboutir tes projets. Ce ne sont pas des passe-droits, c’est de l’influence. Ça existe partout. Je suis le lobbyiste de l’Orne et d’Alençon, je l’assume et j’en suis fier.
Alain Lambert.
Pour tirer leur épingle du jeu, elles ne peuvent pas se diviser en leur sein. Mon message aux jeunes serait donc le suivant : “Si vous voulez vous en sortir, essayer de voir ce que vous pouvez faire ensemble. » Comme dans les petites communes, il serait préférable de faire une liste commune.Si c’était à refaire, ce passage à Bercy, aujou d’hui ? Ce serait non. «Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre L’Orne Hebdo dans l’espace Mon Actu. En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.