Ce que nous apprennent les vieilles confidences de Poutine par Poutine


En 1975, dans la collection « Écrivains de toujours », Barthes publiait un Roland Barthes par Roland Barthes qui a fait date. En 2000, Ă  peine nommĂ© prĂ©sident par intĂ©rim, Vladimir Poutine, dans ce qui pourrait s’appeler la collection « Dictateurs de toujours », publiait un ouvrage, PremiĂšre personne, qui fut une sorte de « Poutine par Poutine ». À ce jour, il demeure le seul ouvrage oĂč il se soit prĂȘtĂ© Ă  l’exercice personnel de l’autobiographie.Longuement interviewĂ© par trois journalistes russes qui donnaient assez habilement l’impression de ne pas cĂ©der Ă  la complaisance, en rĂ©alitĂ©, le livre est un subtil dosage qui vĂ©hicule un portrait en apparence complet mais trĂšs hagiographique si on l’analyse en dĂ©tail – il leur a rĂ©pondu avec ce ton franc et un peu brutal qui le caractĂ©rise, mais pas toujours honnĂȘtement sur diverses affaires. PrĂšs de 200 pages oĂč interviennent aussi, Ă©pisodiquement, sa femme, ses filles alors adolescentes, son meilleur ami, certains collĂšgues. Un ouvrage au final passionnant Ă  dĂ©crypter, traduit en France en 2016 – aprĂšs l’annexion de la CrimĂ©e – par la maison So lonely, qui est passĂ© inaperçu dans l’Hexagone.

Le mythe de l’homme providentiel

Nous l’avons lu attentivement, c’est-Ă -dire avec l’attention que mĂ©ritent ces paroles pesĂ©es et relues. L’Occident n’a pas su ou n’a pas voulu prendre au mot les propos de Poutine, qui n’a jamais parlĂ© pour ne rien dire. Attentivement, aussi, grĂące Ă  la lecture rĂ©trospective que nous permet le recul des vingt-deux annĂ©es Ă©coulĂ©es. Bien sĂ»r, alors qu’il vient d’ĂȘtre nommĂ© prĂ©sident, Poutine cherche alors Ă  se prĂ©senter Ă  ses lecteurs russes – et Ă©ventuellement Ă©trangers – sous une certaine lumiĂšre, en pleine rĂ©forme de l’État et en pleine guerre de TchĂ©tchĂ©nie.À LIRE AUSSITchĂ©tchĂ©nie, Ukraine
 la mĂ©thode PoutineÀ le lire, il n’a jamais cherchĂ© le pouvoir. On a toujours eu recours Ă  lui sans qu’il n’ait rien demandĂ©. Le recours : une rhĂ©torique classique mais trĂšs efficace quand on veut se poser en homme providentiel. Poutine ne s’est jamais vraiment remis de son premier Ă©chec initial alors que, jeune Ă©tudiant, il s’Ă©tait prĂ©sentĂ© de lui-mĂȘme, naĂŻvement, aux services du KGB, qui lui avaient rĂ©pondu, par le biais d’un employé : « On ne prend jamais de volontaires. » Quand on viendra le chercher quelques annĂ©es plus tard pour entrer dans le renseignement, il taira le fait qu’il en rĂȘvait depuis l’Ă©cole : « Je ne l’ai pas fait juste parce que je continuais Ă  avoir en tĂȘte ce que m’avait dit l’homme au bureau d’accueil du KGB : “On ne prend pas de volontaires.” »Au fil de ce livre surnagent des passages qui font tilt. Nous les avons relevĂ©s. Ils composent un portrait non pas chinois, mais Ă  la russe, oĂč les piĂšces du puzzle s’encastrent et se rĂ©pondent. Nous les livrons presque brutes, car elles se passent souvent de commentaires.À LIRE AUSSIGĂ©rard Araud – Les derniĂšres cartes de Poutine

  • « Tu prends des risques »

Quand on lui demande quelles bĂȘtises il a commises, il donne un seul exemple : Ă©tudiant passionnĂ© de judo, il conduit sa voiture avec le doyen de ses entraĂźneurs Ă  son bord. Un camion chargĂ© de foin vient Ă  leur rencontre, il tend la main pour en attraper un peu, la voiture frotte le camion, il lĂąche le volant, le vĂ©hicule part sur deux roues avant de se rĂ©tablir miraculeusement. Plus tard, son entraĂźneur lui lĂąche, les yeux dans les yeux : « Tu prends des risques. » Commentaire du jeune Poutine : « Il y a des choses que l’on fait et que l’on n’arrive pas du tout Ă  expliquer. Qu’est-ce qui m’a attirĂ© vers ce camion ? »

  • « Ne jamais rien regretter »

InterrogĂ© sur sa principale satisfaction de prĂ©sident, il rĂ©pond : l’idĂ©e que beaucoup de choses dĂ©pendent de moi. C’est la responsabilitĂ© en tant que telle qui lui plaĂźt. Puis il ajoute : « J’ai certaines rĂšgles personnelles. L’une d’elles, c’est de ne jamais rien regretter. Peu Ă  peu, j’en suis venu Ă  la conclusion que c’est trĂšs juste. DĂšs que nous nous mettons Ă  avoir des regrets, nous nous diluons. »

  • La victoire jusqu’Ă  la mort

On sait combien Vladimir Poutine a mis en avant ses talents de judoka et de pratiquant de sambo, cet art martial appris par les soldats russes de la Seconde Guerre mondiale pour l’emporter dans le corps-Ă -corps. Il le fait assez subtilement dans le passage suivant. « Je me souviendrai toujours de certains combats. À la fin de l’un d’eux, je n’arrivais plus Ă  respirer. J’Ă©tais tombĂ© sur un gars costaud, j’y ai mis toutes mes forces, Ă  tel point que ce n’est plus de la respiration qui sortait de ma poitrine, mais une sorte de rĂąle. J’ai remportĂ© le combat avec un lĂ©ger avantage. »À LIRE AUSSIVladimir Poutine humiliĂ© en CrimĂ©e

  • Ne jamais reconnaĂźtre sa dĂ©faite

Un jour, Ă  Saint-PĂ©tersbourg, Poutine aurait affrontĂ© un champion du monde de sambo, Volodia Kullenine. Le nom, d’aprĂšs nos recherches, serait plutĂŽt Nurislam Khaliulin, mais il ne fut champion du monde de sambo qu’en 1983 à Kiev, alors que Poutine avait 31 ans. Or, il situe ce combat durant ses annĂ©es d’Ă©tudiant. S’il a affrontĂ© Khaliulin, c’est donc plus probablement bien avant que celui-ci ne soit devenu champion du monde.« DĂšs les premiĂšres minutes, je l’ai retournĂ© et plaquĂ© au sol, d’une façon trĂšs belle, trĂšs fluide. En principe, le match aurait dĂ» s’arrĂȘter lĂ , mais vu que c’Ă©tait Kullenine, ça ne se faisait pas de stopper le combat aussi vite. Bien sĂ»r, il Ă©tait plus fort que moi mais j’ai bataillĂ© dur. Au sambo, lorsqu’une prise douloureuse est effectuĂ©e, le combat est arrĂȘtĂ© immĂ©diatement si l’on entend un cri. C’est un signe de dĂ©faite. Lorsqu’il m’a tordu le coude dans l’autre sens, nous avons Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s. L’arbitre avait cru m’entendre gĂ©mir. Au final, il a gagnĂ©. »Poutine laisse donc entendre qu’il n’avait pas criĂ©, que cette dĂ©faite est donc injuste Ă  double titre, qu’il est du cĂŽtĂ© des plus faibles, des challengeurs, contre les nantis privilĂ©giĂ©s.

  • La demande en mariage, « une sacrĂ©e surprise »

Poutine avait visiblement conscience de ses dĂ©fauts, si l’on en croit la scĂšne Ă©trange que rapporte son Ă©pouse et qui concerne prĂ©cisĂ©ment le moment oĂč il la demande en mariage, aprĂšs trois ans de liaison. On ne peut pas dire qu’il se flatte, mais le plus troublant est la maniĂšre dont Lioudmila Poutina a vĂ©cu cet Ă©pisode crucial.« DĂ©sormais tu sais Ă  quel genre de personne tu as affaire, je ne suis pas si commode que ça. Puis il a commencĂ© Ă  se dĂ©crire, un peu dur par moments, pouvant mĂȘme ĂȘtre vexant. En somme un peu risquĂ©, comme compagnon de vie. Puis il a ajouté : “En trois ans et demi, tu as dĂ©jĂ  dĂ» te dĂ©cider ?” J’ai eu l’impression qu’il Ă©tait en train de me dire qu’il me quittait. « Oui, je me suis dĂ©cidĂ©e », lui ai-je dit. Et lui a rĂ©pondu en hĂ©sitant : “Alors, tu es d’accord ?” LĂ , je me suis clairement dit, ça y est, nous sommes en train de nous sĂ©parer. Mais ensuite, il a ajouté : “Si c’est comme ça, sache que je t’aime et je te propose qu’on se marie Ă  telle date.” Cela a Ă©tĂ© une sacrĂ©e surprise. »

  • Un seul espion avait entre ses mains


On a souvent mentionnĂ© l’influence sur lui de la sĂ©rie Le Glaive et le Bouclier, qui fit les beaux jours de la tĂ©lĂ©vision russe Ă  la fin des annĂ©es 1960 et dĂ©clencha de nombreuses vocations. Poutine la mentionne, de mĂȘme qu’il raconte comment il dut surmonter l’opposition farouche de son pĂšre, mais il expose sans dĂ©tour les vraies raisons de la fascination que ce mĂ©tier exerça trĂšs tĂŽt sur lui, oĂč surnage le dĂ©sir de toute-puissance : « Ce qui m’impressionnait le plus, c’Ă©tait le fait qu’avec si peu de moyens, Ă  la force d’un seul homme, on pouvait atteindre des rĂ©sultats que des armĂ©es entiĂšres n’arrivaient pas Ă  obtenir. Un seul espion avait entre ses mains le destin de milliers de gens. »SergueĂŻ Roldouguine, l’oligarque violoncelliste, ou le violoncelliste devenu oligarque grĂące Ă  ses liens avec Poutine, Ă©tait son plus proche ami. Il est le parrain de sa fille aĂźnĂ©e, Maria. Il tĂ©moigne Ă  plusieurs reprises dans cet ouvrage. N’ignorant pas que son ami travaille pour le KGB, il tente de lui tirer les vers du nez sur telle ou telle affaire : « Mais il n’a rien lĂąchĂ©. »Roldouguine s’Ă©nerve : « Moi, je suis violoncelliste et toi, c’est quoi, ta profession ? Je sais que tu es un espion, mais je ne sais pas ce que cela signifie. Tu es qui ? Que peux-tu ? Et il m’a rĂ©pondu : “Je suis un spĂ©cialiste des relations humaines.” Notre conversation s’est finie lĂ -dessus. »À LIRE AUSSINobel de la paix : un nouvel affront pour Poutine

  • « Vovka, ta façon de parler est horrible »

Avant Lioudmila, rencontrĂ©e en 1980, avec qui il se marie en 1983 (et dont il a divorcĂ© en 2013), Poutine a eu une longue histoire d’amour avec une jeune mĂ©decin nommĂ©e elle aussi Ludmila. Alors qu’ils s’apprĂȘtaient Ă  se marier, le couple rompt. Poutine refuse d’en parler clairement aux journalistes. Roldouguine prĂ©tend n’avoir aucune information sur la raison de la sĂ©paration, mais ajoute ceci : « Il en a souffert bien sĂ»r Le fait est que tous les deux, nous sommes balance et ces choses-lĂ  nous touchent. À l’Ă©poque, je voyais qu’il
 qu’on le
. qu’il Ă©tait trĂšs sentimental, mais que ses sentiments, il ne savait pas les exprimer. Je lui disais par exemple : “Vovka, ta façon de parler est horrible. Tu parles beaucoup trop vite, tu ne devrais pas parler si vite.” »Frolov, un de ses professeurs Ă  l’Institut Andropov du Drapeau rouge, l’AcadĂ©mie du renseignement, se souvient de l’Ă©tudiant Poutine (nom de code Platov), sur qui il eut Ă  rĂ©diger un rapport. « Il faut faire preuve de capacitĂ©s organisationnelles, d’un certain tact et d’initiative. Il m’a semblĂ© que Poutine avait tout ça. Il Ă©tudiait de façon stable, sans dĂ©railler. Je me souviens qu’il venait me faire ses rapports en costume trois-piĂšces malgrĂ© une chaleur de 30 degrĂ©s. Moi, j’Ă©tais en chemise Ă  manches courtes. Il considĂ©rait qu’il Ă©tait impĂ©ratif de se prĂ©senter devant ses supĂ©rieurs dans cette tenue stricte. »Il n’a pratiquement que des Ă©loges Ă  dresser Ă  propos de Vladimir Poutine, cependant il formula quelques rĂ©serves sur sa fiche. « Il me semblait que c’Ă©tait un homme un peu fermĂ©, pas trĂšs communicatif. On peut voir ça comme un aspect aussi bien positif que nĂ©gatif. Mais je me souviens l’avoir mentionnĂ© dans les aspects nĂ©gatifs, ainsi qu’un certain acadĂ©misme dans ses façons de faire. »

  • « Un faible sens du danger »

À la question des journalistes qui veulent savoir s’il garde son calme dans les situations critiques, Poutine rĂ©pond bien au-delĂ  mĂȘme de la question : « Oui, je deviens calme. Un peu trop mĂȘme. Quand j’Ă©tudiais Ă  l’Ă©cole du renseignement, il a Ă©tĂ© inscrit dans ma fiche que j’avais “un faible sens du danger”. C’est un trait nĂ©gatif, un dĂ©faut qui Ă©tait pris trĂšs au sĂ©rieux. »Un dĂ©faut ou une qualité ? Poutine laisse planer le doute. Sans doute cherche-t-il en 2000 à souligner le contraste avec le sanguin Eltsine, qui venait de lui cĂ©der les rĂȘnes du pouvoir. Mais avoir un sens si faible du danger peut amener Ă©videmment Ă  mal l’apprĂ©cier, Ă  le sous-estimer quand il peut avoir de terribles consĂ©quences.

  • La chute du Mur Ă  Dresde

Sur cet Ă©pisode, Poutine ment par omission : il oublie de prĂ©ciser qu’il a menacĂ© la foule est-allemande de faire tirer sur elle lorsqu’elle a envahi le bĂątiment de la Stasi oĂč il se trouvait avec ses collaborateurs russes du renseignement. VoilĂ  comment il dĂ©crit cet Ă©pisode, oĂč l’on retrouve la phrasĂ©ologie du bureaucrate toute en euphĂ©mismes et en ellipses : « Personne n’a levĂ© le doigt pour nous dĂ©fendre. Nous Ă©tions prĂȘts Ă  le faire nous-mĂȘmes, dans le cadre des accords passĂ©s entre nos ministĂšres et nos États. Nous avons dĂ» montrer Ă  cette foule que nous Ă©tions prĂȘts. Cela a eu l’effet escomptĂ©. »Il faut croire que non, car la foule revient un peu plus tard, plus agressive : « J’ai tĂ©lĂ©phonĂ© Ă  notre groupe de militaires pour obtenir une protection, je leur ai expliquĂ© la situation. Mais Ă  l’autre bout du fil, on m’a dit : “Nous ne pouvons rien faire sans les ordres de Moscou. Et Moscou reste silencieuse.” Quelques heures plus tard, nos militaires ont fini par arriver, la foule s’est dispersĂ©e. Mais cette petite phrase : “Moscou reste silencieuse
” J’ai eu le sentiment que mon pays n’existait plus. »

  • Gorbatchev, Kissinger et lui

Quand il est l’adjoint de Sobtchak Ă  la mairie de Saint-PĂ©tersbourg au dĂ©but des annĂ©es 1990, il va chercher Kissinger Ă  l’aĂ©roport et une conversation s’engage oĂč il apprend assez vite au conseiller amĂ©ricain qu’il a fait du renseignement. « Tous les honnĂȘtes gens ont commencĂ© dans le renseignement, moi aussi », rĂ©plique Kissinger, qui Ă©voque pour le critiquer le retrait brutal de l’URSS de l’Europe de l’Est : Â«Â â€œĂ€ vrai dire, je ne comprends toujours pas pourquoi Gorbatchev a fait cela.” Je ne m’attendais pas du tout Ă  entendre ça de sa bouche. Je le lui ai dit et je vous le redis aujourd’hui. Kissinger avait raison. Nous aurions Ă©vitĂ© de nombreux problĂšmes s’il n’y avait pas eu cette fuite en avant prĂ©cipitĂ©e. » PrĂ©cision : Poutine affirme que cet Ă©change a eu lieu par le biais d’un interprĂšte. Or, les deux hommes parlent trĂšs bien allemand. Un vieux rĂ©flexe ?En 1991, quand Poutine, de retour de RDA, dĂ©missionne du KGB – la dĂ©cision la plus difficile de sa vie, insiste-t-il – et intĂšgre l’administration de Sobtchak, le maire de Leningrad, dans des conditions qui semblent bien floues, la mairie, nous apprend Tchourov, un ancien apparatchik de la ville, comportait jusque-lĂ  deux types de bureaux. Ceux qui avaient des portraits de LĂ©nine et Kirov, et les autres qui n’avaient que LĂ©nine. En 1991, tout est dĂ©crochĂ©, il demeure les clous auxquels on accroche presque partout le tableau de Boris Eltsine. Mais Poutine, lui, commande pour son bureau le portrait de Pierre le Grand. Pas n’importe lequel. Non pas le tsar romantique, mais une gravure plus tardive d’un Pierre le Grand grave et prĂ©occupĂ©, le tsar rĂ©formateur. Dix ans avant de le devenir lui-mĂȘme.

Ce jeune homme qui allait s’y casser les dents

Peut-on croire Poutine quand il affirme qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© nommĂ© Premier ministre en 1999, il a tentĂ© le tout pour le tout, persuadĂ© d’ĂȘtre de toute maniĂšre un fusible programmĂ© pour sauter, bref, qu’il n’avait rien Ă  perdre en TchĂ©tchĂ©nie. Rien de plus dĂ©cidĂ© et donc de dangereux qu’un homme qui se dit que la partie est perdue. « Tout cela a eu lieu oĂč les tensions montaient au Daguestan. J’ai dĂ©cidĂ© pour moi-mĂȘme que ma carriĂšre allait certainement s’arrĂȘter lĂ . Mais que ma mission, ma mission historique – ça peut paraĂźtre prĂ©tentieux, mais c’est la vĂ©ritĂ© – consisterait Ă  rĂ©soudre cette situation dans le Caucase du Nord. Personne ne savait comment tout cela allait se terminer mais, pour moi, pour d’autres aussi d’ailleurs, c’Ă©tait clair que j’allais ĂȘtre ce jeune homme qui allait s’y casser les dents. C’est comme ça que j’ai abordĂ© la chose. Je me suis dit : “Qu’importe, j’ai un peu de temps, deux, trois, quatre mois, pour pulvĂ©riser ces bandits. Ils pourront toujours me virer aprĂšs.” »Vladimir Poutine prononce ces mots un an aprĂšs sa nomination. Deux remarques : il a trĂšs tĂŽt eu conscience de sa mission historique. Ce raisonnement, il est fort possible qu’il le tienne encore aujourd’hui.InterrogĂ© sur la rĂ©forme de la Russie, Poutine met en avant la nĂ©cessitĂ© d’un nouveau Code dont la premiĂšre ligne sera « les valeurs morales ». À divers endroits, il martĂšle ce mot, valeurs, car en 2000, la Russie qui part Ă  vau-l’eau, a besoin selon lui d’un redressement, d’un pouvoir fort, autrement dit « efficace ». Quelle voie pour la Russie ? lui demande-t-on.« Nous n’avons rien Ă  chercher, tout a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© trouvĂ©, c’est la voie d’un dĂ©veloppement dĂ©mocratique de notre pays. Bien sĂ»r, la Russie est un pays trĂšs diversifiĂ© mais nous sommes une partie de la culture europĂ©enne occidentale et en cela rĂ©side notre principale valeur. OĂč que vivent les nĂŽtres, en ExtrĂȘme-Orient, ou dans le sud du pays, nous sommes des EuropĂ©ens. » En 2000, Poutine veut croire, ou faire croire, Ă  cet ancrage, Ă  une possibilitĂ© d’union. Quand les journalistes doutent de la rĂ©ciproque du cĂŽtĂ© europĂ©en, Poutine Ă©nonce le programme Ă  venir qu’il a aujourd’hui appliqué : « Nous allons tout faire pour rester lĂ  oĂč nous sommes, gĂ©ographiquement et moralement. Et si on nous repousse, nous formerons des unions pour devenir plus forts. Comment faire autrement ? Nous le ferons. »