Armes laser, hypersoniques, drones kamikazes… Comment MBDA veut réarmer l’Europe


© Mourad Cherfi / MBDA
L’intercepteur Aquila de MBDA

Face aux menaces de conflits de haute intensité, le leader européen des missiles plaide pour un mix d’armements high-tech et d’équipements low-cost. Il appelle à accélérer dans l’hypersonique, le laser, la défense anti-missile et les drones kamikazes.

Comment muscler la défense de l’Europe, au moment où la guerre est à sa porte? Quarante jours après le lancement de l’invasion russe, la présentation des résultats 2021 du missilier MBDA, mercredi 6 avril, a été l’occasion pour le groupe européen de passer quelques messages clairs. Le principal: au-delà des belles paroles, la défense et la souveraineté doivent être au cœur de la stratégie européenne. « Il y a eu une prise de conscience et un changement stratégique impressionnant en Allemagne, avec le fonds de 100 milliards pour moderniser l’armée allemande, souligne Eric Béranger, PDG de la coentreprise entre Airbus (37,5%), BAe Systems (37,5%) et l’italien Leonardo (25%). Mais il est très important d’être cohérent, et de ne pas revenir à une situation où, pour des raisons idéologiques, on place la défense dans la même catégorie que les drogues, l’alcool ou le tabac. » Lire aussiPaul Maurice: « La modernisation de l’armée allemande interroge la stratégie militaire du pays » L’Europe, assure Eric Béranger, est à un tournant historique, qui décidera de son poids stratégique futur. « Nous voyons une volonté d’investir dans la défense, avec potentiellement beaucoup d’argent, souligne le patron de MBDA. La question est: comment allons-nous le dépenser? Si cet argent est dépensé en Europe, c’est une occasion essentielle de renforcer notre souveraineté, et même notre autonomie stratégique. Si l’argent n’est pas dépensé en Europe, le résultat pourrait être totalement destructeur: un arrêt de certaines coopérations européennes qui ne seraient plus soutenues. » Les décisions récentes de l’Allemagne n’incitent pas à un optimisme béat: depuis l’annonce du fonds à 100 milliards, Berlin a acté trois commandes hors Europe. D’abord, l’achat de 35 chasseurs américains F-35 de Lockheed Martin ; l’acquisition de systèmes antimissiles Arrow 3 israélo-américains ; et la commande de missiles développés par l’israélien Rafael, concurrent de MBDA, pour armer ses drones Heron TP, israéliens eux aussi.

Ventes record en 2021

Un autre risque majeur, selon Eric Béranger, est que les commandes de munitions et de missiles supplémentaires pour compléter les stocks insuffisants des armées européennes se fassent au détriment de la préparation du futur, en clair des nouveaux grands programmes d’armement. « Si nous voulons rester au meilleur niveau mondial, nous devons développer les technologies adéquates », martèle le patron de MBDA. Le point positif, c’est que l’année 2021 a permis d’avancer sur plusieurs dossiers de coopération européenne. MBDA a été sélectionné pour moderniser le système antiaérien franco-italien SAMP/T, concurrent européen des Patriot américains et autres S-300/S-400 russes. Une nouvelle phase de développement a été actée pour le très stratégique programme franco-britannique FMAN-FMC (futur missile antinavire, futur missile de croisière), qui vise à développer des remplaçants aux missiles Exocet, Harpoon et Scalp. Ces armements doivent permettre de passer les systèmes antimissiles de nouvelle génération, comme les S-400 et S-500 russes.  MBDA va également moderniser les missiles Aster de l’Italie et du Royaume-Uni: un millier de missiles seront modernisés de 2023 à 2036, pour 1,2 milliard d’euros. Ces commandes européennes, en plus des contrats export (Grèce, Canada, Egypte, Brésil, Indonésie), ont permis à MBDA d’atteindre 5,1 milliards d’euros de contrat en 2021, soit des commandes supérieures à un chiffre d’affaires pourtant record (4,2 milliards d’euros). Le carnet de commandes du missilier atteint désormais 17,8 milliards d’euros, ce qui a permis à MBDA d’embaucher 1.100 personnes en 2021, et d’envisager 1.500 recrutements en 2022.

Missiles hypersoniques

Mais il ne faut pas relâcher l’effort sur les technologies de rupture, estime Eric Béranger. Le patron de MBDA assure que le groupe a tous les atouts pour devenir un leader de l’hypersonique (vitesse supérieure à Mach 5), alors que Moscou a revendiqué le premier tir de son missile hypersonique Kinjal en Ukraine le 19 mars dernier. « MBDA travaille sur l’hypersonique, nous développons un armement hypersonique (le futur missile nucléaire aéroporté ASN4, NDLR), souligne Eric Béranger. En termes de capacités sur le sujet, MBDA n’a rien à envier à quiconque. » MBDA doit-il aussi accélérer sur des systèmes moins onéreux, qui permettent aux armées de disposer de plus de matériel, comme le suggère le rapport récent des députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès sur les conflits de haute intensité? « Il faut de la haute technologie ET de la masse, répond Eric Béranger. La technologie pour faire face aux menaces elles-mêmes souvent technologiques, et la masse pour pouvoir tenir dans un conflit de longue durée. « Pour se défendre face à des missiles balistiques, la haute technologie reste indispensable, assure le patron de MBDA. « Pour détruire des missiles supersoniques antinavires, comme on l’a vu lors de l’exercice Formidable Shield de l’Otan l’année dernière, il faut tirer des missiles Aster, indique-t-il. Nous avons fait trois tirs, trois coups au but. Je peux vous dire qu’il y a de la technologie derrière tout ça, et donc des coûts. » Autre sujet très technologique que MBDA appelle à traiter au plus vite: la défense anti-missiles. Si le missile Aster est au meilleur niveau mondial, il manque à l’Europe, indique Eric Béranger, des systèmes anti-missiles capables de faire face aux nouvelles menaces: missiles balistiques manœuvrants, missiles de croisière hypersoniques comme le Kinjal russe, planeurs hypersoniques comme l’Avangard russe… MBDA a été sélectionné en novembre 2019 pour piloter un projet européen, Twister, qui vise à développer un nouveau missile intercepteur endo-atmosphérique (opérant dans l’atmosphère) capable de traiter ces menaces. MBDA pousse au développement rapide de cet intercepteur, qu’il a baptisé Aquila, qui permettrait de ne pas dépendre des seules solutions américaines. « L’ambition est d’avoir, comme Européens, nos propres capacités », insiste Eric Béranger.

Drones rôdeurs

Parmi les autres sujets prioritaires, MBDA cite notamment les armements de type drones kamikazes, ou munitions rôdeuses, capables de rester plusieurs heures en l’air jusqu’à ce qu’elles trouvent leur cible. « C’est un des sujets que nous voyons dans le paysage », confirme Eric Béranger, qui s’est refusé à indiquer si des demandes spécifiques avaient été faits par ses clients européens. Les drones Harop de l’israélien IAI avaient montré leur efficacité lors du conflit au Haut-Karabagh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les Etats-Unis vont quant à eux envoyer des drones kamikazes Switchblade en Ukraine, pour soutenir les forces ukrainiennes face à l’envahisseur russe. Le missilier avait déjà travaillé sur la question au début des années 2010. Il avait même fait effectué des vols d’essais d’un drone rôdeur, le Fire Shadow, pour les forces britanniques. Le programme avait été arrêté avant l’entrée en service de l’engin. Dernier grand sujet: les armes laser. MBDA et Safran sont en train de prendre le contrôle de la pépite française du secteur, CILAS. CILAS et MBDA participent notamment, au sein d’un consortium de 16 sociétés, laboratoires et universités, au projet européen TALOS, qui vise à développer les technologies d’une arme laser haute puissance à l’horizon 2025.