14h34
, le 5 décembre 2021, modifié à
15h01
, le 5 décembre 2021La 32e édition du Montreux Comedy Festival, le plus grand festival d’humour francophone, se poursuit jusqu’à mardi. Son fondateur et directeur, Grégoire Furrer, multiplie les projets, malgré (ou à cause de) la crise sanitaire : lancement d’une plateforme de streaming live en 2022 (We Comedy), rachat du plus ancien festival d’humour français (Performance d’acteurs à Cannes), réalité virtuelle.Constatez-vous une explosion du nombre d’humoristes?C’est une réalité et je m’en réjouis. Cette profusion est source d’émulation. À Montreux, nous organisons des programmes de médiation sociale dans les écoles, et on constate que beaucoup de jeunes veulent s’orienter vers l’humour. Il y a trente ans, c’était plutôt la musique. L’essor du stand-up a pu donner l’illusion qu’il était facile de devenir comique. On monte sur scène, seul, pas besoin de décor. Les réseaux sociaux permettent aussi de se faire une petite notoriété en postant des pastilles. Mais le tri se fait sur la durée. Pour être un vrai comique, il faut développer une écriture singulière, incarner un personnage. Ça prend des années. Il existe des ovnis comme Paul Mirabel, passé rapidement de jeune talent à remplisseur de Zéniths. Mais c’est très rare.En février, vous allez lancer le festival Lillarious à Lille, avec des états généraux de l’humour. Quel est l’enjeu le plus urgent?La reconnaissance officielle de l’humour. C’est un art majeur, or il est encore exclu de certains programmes d’aides publiques. On le classifie dans le théâtre, les arts de la scène, mais il n’est toujours pas bien identifié. En France, la filière de l’humour n’est pas organisée comme celle de la musique ou du cinéma. Le Québec possède une structure depuis trente ans, les Belges ont fondé la Fédération des professionnels de l’humour pendant la pandémie, des initiatives similaires existent en Suisse. Il serait logique qu’en France on suive la même démarche. Au-delà de la crise, on voit comment Netflix et les autres plateformes sont très agressives sur l’humour. Tant mieux pour la filière, mais combien vont être élus, combien vont rester sur le carreau? Il est déjà trop tard pour rattraper les Américains sur le streaming, mais il ne faudrait pas rater le prochain virage, le métavers. À Montreux, nous avons d’ailleurs testé un projet de comedy club virtuel animé par l’humoriste Yann Stotz.
« Le livestream s’impose comme un complément de diffusion pour toucher un autre public »
Concrètement, comment ça va se passer?Il se produira sur une scène virtuelle, dans un décor reconstitué, avec des artistes présents à Montreux et d’autres à Montréal ou à Paris. Ils auront chacun leur avatar pour jouer ensemble, faire des impros, se lancer des défis durant des sets d’une dizaine de minutes. Si l’expérience est concluante, et j’en suis convaincu, une version avec le public sera lancée. Chaque spectateur connecté pourra, grâce à des lunettes de réalité virtuelle, suivre le spectacle en direct, interagir avec les humoristes, leur proposer des thèmes… Il existe encore beaucoup de freins à la généralisation de cette expérience, il faut que la technologie soit accessible à tous. Aujourd’hui, on doit porter des casques qui sont lourds. Dans cinq ans, on les portera comme des lunettes normales.La crise provoquée par la pandémie vous a-t-elle incité à développer votre stratégie numérique?Je m’y suis mis dès 2008. L’arrivée du Covid m’a conforté dans cette stratégie, avec l’ambition d’aller encore plus vite. Les projets que l’on imaginait mettre en route dans trois ou quatre ans, il faut les faire maintenant. C’est le cas pour le métavers, mais aussi avec le livestream, qui permet de diffuser des spectacles en direct pour permettre à des spectateurs de les voir sur leurs écrans à domicile. C’est une pratique née durant la pandémie et qui perdurera. En 2022, nous allons lancer à grande échelle la plateforme wecomedy, qui aura vocation à travailler avec d’autres producteurs. Le livestream s’impose comme un complément de diffusion pour toucher un autre public.
« Le rire reste plus que jamais une valeur refuge »
Vous avez monté un comedy club à Abidjan, le Dycoco, en décembre 2020 et vous mettez en lumière des humoristes issus de l’Afrique francophone. Un nouveau vivier de talents?J’ai toujours cru en l’humour international. Je suis allé en France pour découvrir des talents et les amener en Suisse, ce qui n’était pas la norme il y a trente ans. Aujourd’hui, 90 % des artistes programmés à Montreux sont français. Je suis ensuite allé au Québec, où j’ai rencontré et produit des artistes extraordinaires comme Anthony Kavanagh et Rachid Badouri. Aujourd’hui, c’est le moment de l’Afrique. Je pense à des artistes comme Clentélex, de Côte d’Ivoire, ou Valéry Ndongo, qui est le père du stand-up moderne en Afrique francophone. Ils apportent un regard très vivifiant, contemporain, différent. Quand vous parlez d’immigration et que vous habitez Abidjan ou Douala, ce n’est pas la même réalité que si vous venez de Paris. Des comédiennes comme Prissy La Dégameuse font aussi bouger les lignes sur la question de la condition féminine quand elles se produisent devant un public majoritairement masculin. Sans oublier l’artiste burkinabé Moussa Petit Sergent ou le formidable Hervé Kimenyi, qui traite du génocide rwandais en vous faisant passer du rire aux larmes.Le public a répondu présent pour cette 32e édition du Montreux Comedy Festival. Rassuré?Le bilan est positif, avec plus de 15 000 spectateurs et un taux de remplissage de 95 %. Cela confirme que le rire reste plus que jamais une valeur refuge. À Paris comme en province, les humoristes remplissent des salles, même si les spectateurs attendent souvent la dernière minute pour prendre leurs places. Mais globalement, l’humour a mieux résisté que le théâtre. Évidemment, l’aggravation de la crise sanitaire n’est pas là pour nous rassurer. On a pu jouer en jauge pleine, mais on voit arriver les restrictions. On vit au jour le jour en surveillant la situation comme le lait sur le feu.