Quel courage !
Elle s’appelle Patricia Allémonière, elle est reporter de guerre, elle est venue présenter un de ses ouvrages intitulé Au coeur du chaos, lors du Festival de la Biographie. Grand reporter au service international de TF1 pendant trente ans, Patricia Allémonière a couvert les guerres contemporaines les plus meurtrières.
Elle raconte alors son parcours :
« J’ai commencé comme pigiste dans de petites rédactions, puis très vite j’ai eu beaucoup de chance, je suis rentrée à TF1 et là, d’abord, j’ai fait des petits boulots, mon premier reportage, c’était l’histoire de la pomme Golden… donc très loin du grand reportage…
Et puis après, je suis arrivée dans un service économique, parce que j’avais fait sciences Po, section Eco, on m’a casée là en tant que pigiste, et très vite ils ont vu que France 2 employait des filles grands reporters, ils se sont dit : ce n’est pas possible, à TF1, il nous faut aussi des filles. Donc, ils ont lancé un appel d’offres, et je suis rentrée comme ça à TF1.
Et très vite, je suis partie sur les terrains de guerre… premier terrain de guerre : Le Mozambique, une guerre civile qui a fait un million de morts, dont personne n’a jamais parlé, dont tout le monde s’est moqué.
Deuxième terrain de guerre : le Tchad, l’armée française, l’armée libyenne, et très vite, j’ai été confrontée aux premières horreurs, il n’y avait pas d’école pour nous former à ça… et puis j’ai continué jusqu’à ce que j’aie un enfant.
Aujourd’hui, il y a plus de femmes grands reporters ; en fait, on les remarque davantage que les hommes. Au moment de la guerre du Golfe, il y a eu beaucoup plus de femmes, ils se sont aperçus que l’audience était beaucoup plus forte quand il y avait des femmes, donc c’était intéressant d’employer des femmes. D’autant qu’on savait parler de la guerre, comme les hommes, et on savait être courageuse, comme les hommes.
Et à un moment, il y avait plus de femmes effectivement que d’hommes, ils se sont dit : « Non, ce n’est pas possible. » Ils ont rééquilibré et aujourd’hui, à TF1, il y a plus d’hommes que de femmes mais pas à LCI.
Je n’ai pas souffert du fait d’être une femme, je n’ai pas fait partie des femmes qui ont eu à subir un ostracisme masculin… mais il a fallu se battre, et à partir du moment où on se bat, on ne sent pas forcément l’ostracisme… simplement, il fallait toujours être disponible et comme on voulait vraiment se faire reconnaître, on était toujours disponible.
Disponibilité, qualité du travail : c’est tout ce qui compte.
Quand j’ai eu un enfant, j’avais déjà été en poste à Jérusalem comme correspondante permanente, et là j’étais à Londres, et voilà qu’avec mon enfant nous voulions rentrer avec le père de l’enfant qui est Britannique, diplomate, lui rentrait à l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris, et moi à Paris avec un bébé.
Une femme, avec un bébé, là ce n’était pas possible… alors, je ne dis pas du tout que c’était de l’ostracisme, c’est qu’ils étaient inquiets. Je leur ai dit : « En quoi la mort d’une maman est plus grave que la mort d’un papa ? Un papa, cela compte autant qu’une maman… »
Donc, ils n’étaient pas très contents, on ne m’a pas mis de bureau pendant trois mois, on m’envoyait pour la quatrième ou la cinquième relève… à la cinquième relève, tous les reportages ont été faits, donc il n’y avait plus grand chose à faire…
Pendant la guerre civile d’Algérie, personne ne voulait y aller, alors, je me suis portée volontaire… on ma dit : « Mais dis donc, ta fille, elle a quel âge ? » (Elle avait alors un an et demi)…Une guerre à connotation de massacres et on ne savait pas qui tue qui… c’étaient ou les djihadistes ou l’armée, les militaires. Donc, comme moi je ne savais pas dire, j’avais décidé de parler d’actes terroristes mais pas de terroristes, les dits terroristes, je les appelais « groupes armés », ne sachant pas qui tuait…
On a l’air de dire aujourd’hui : « C’est terrible, il n’y a jamais eu autant de conflits », mais en fait, il y a toujours eu autant de conflits. Ce qui est étonnant, c’est que tous les conflits dont je parle dans mon livre perdurent, ils sont devenus des conflits de basse intensité : Irak, Syrie, Iran, Afrique, Kosovo. Tout est là.
Mais, aujourd’hui, ce qui est très intéressant, ce qui nous passionne nous, ce sont les gros conflits où le bon et le méchant s’affrontent. Vous voyez qui je veux dire ? Les Américains et les Russes, les bons et les méchants… il faut des conflits où il y a les bons et les méchants et où l’un des grands protagonistes est impliqué… les petits conflits, on s’en moque, on s’en fout, on s’en tape… ils peuvent crever, ce n’est pas notre problème. Je dis ça vulgairement…
La guerre terrible du Yémen n’intéresse que depuis qu’ils bombardent la Mer Rouge… une guerre qui dure depuis 1994 ! Les Iraniens s’intéressent au Yémen depuis 2003-2004. Les Américains, eux, avaient sous-traité le conflit aux Saoudiens. : « Vous gérez le conflit avec les Houthis, nous, on s’en n’occupe pas, ce n’est pas intéressant. »
Et pourquoi ce n’est pas intéressant ? Parce que ni les Russes, ni les Chinois n’étaient dans le coin. Ce qu’ils avaient oublié, c’est que l’Iran, lui, était dans le coin, ils commençaient à fournir des armes. Comme les Houthis avaient une position très anti-américaine et très anti-israélienne, ils sont rentrés dans le conflit… comme il était question d’Israël, les Américains sont intervenus et maintenant tout le monde s’intéresse aux Houthis, alors qu’avant, personne ne s’y intéressait et pourtant il y a eu une sale guerre, avec de nombreux morts, et de nombreux enfants sont morts de faim. »
Patricia Allémonière évoque ensuite ses relations avec sa fille, alors qu’elle était reporter de guerre…
Puis, elle aborde la façon de traiter les informations dans les rédactions :
« Il y a des fake news, et des images détournées : on a appris à déchiffrer ces images… il y a aussi les deepfakes où on fait dire à n’importe qui des choses qu’il n’a jamais dites… »
Le journaliste qui interroge Patricia Allémonière lui pose alors cette question : « Est-ce que le manichéisme, les gentils d’un côté, les méchants de l’autre, ça ne s’est pas un peu aggravé avec le temps ? »
Réponse : « Alors, aujourd’hui, on ne s’intéresse qu’aux gros conflits qui opposent dans la tête de la plupart des gens le bon et le méchant. Et chacun souvent se retrouve plus du côté de l’un ou du côté de l’autre… parce que le bon et le méchant ne sont pas les mêmes pour tout le monde…
Par exemple, prenons le conflit israélo-palestinien, si vous êtes hors de l’occident, le bon, ce n’est pas l’Amérique, ce n’est pas nous, nous, nous sommes presque des terroristes… Les perceptions varient complètement, en fonction de l’endroit où on est.
Mais il est vrai qu’en ce moment, notre monde a tendance à une simplification, on simplifie tout.
Et pourquoi ces conflits bons et méchants qui vont dans notre simplification quotidienne ? Parce que c’est simple à comprendre, donc facile, on ne va pas se casser la tête pour comprendre la complexité, il faut aller vite et comme ces bons et ces méchants, c’est ce qui nous plaît, les médias ne traitent que les bons et les méchants, c’est à dire qu’on va traiter les gros conflits, parce que ces conflits attirent de l’audience, donc entraînent une rentabilité… parce que, sans argent, on ne fait pas de couverture… c’est vous qui sanctionnez les médias, les journaux et internet. Si vous ne regardez pas, ils vont se dire : « Pourquoi ils ne regardent pas ? »
Par exemple, le Pape ne fait pas d’audience, alors que Poutine, lui, il cartonne ! Donc on va beaucoup plus traiter ce genre de sujet. Parce que les chaînes ont besoin d’argent, internet a besoin d’argent, les petites chaînes sur internet ont besoin de pubs… »
Patricia Allémonière évoque ensuite les risques de son métier : elle a été blessée le 7 septembre 2011 alors qu’elle suivait une opération de l’armée française dans la vallée d’Alasay, en Afghanistan. Malgré ses blessures, rester sur le terrain s’est imposé comme une évidence afin de poursuivre son travail.
‘L’information des grandes chaînes comme TF1 et France 2, ce sont des chaînes qui doivent avoir le maximum d’audiences… qui dit maximum d’audiences dit ne pas cliver, donc en faire le minimum sur les sujets qui clivent, pas de position vous apporte le maximum d’audiences…
Sur les autres chaînes (et cela nous vient des Etats-Unis), il y a un public à prendre du côté de ceux qui aiment le buzz et les chaînes d’opinion, ils adorent le buzz, il y a une audience, un marché à capter.
BFM qui voulait faire du factuel baisse, LCI a fait un tournant éditorial avec l’Ukraine : ils ont traité l’Ukraine comme une série, c’est à dire : attendez, vous allez voir ce qui se passe ! L’information est traitée comme une série : on vous accroche et on vous dit : « Tout à l’heure, on va vous parler de Poutine ou de Wagner… » Donc, comme dans un bon film policier, vous voulez voir la suite… Ils traitent beaucoup plus l’Ukraine que le conflit israélo-palestinien… pourquoi ? Parce que ce conflit israélo-palestinien clive…
Il faut savoir que ce qui s’est passé là à Gaza se passe encore aujourd’hui tous les jours en Afrique et bien pire : femmes éventrées, etc. »
Enfin, une spectatrice pose une question à la journaliste : « Est-ce que vous êtes prête à repartir en reportage ? »
Et Patricia Allémonière de répondre : « Je repars bientôt en Afrique, au Sahel… » Le journaliste qui l’interroge ironise alors : « C’est bien, parce que les Français sont très bien vus, en ce moment… vous serez bien accueillie. »
On ne peut qu’admirer le courage de ces femmes reporters de guerre, confrontées à des massacres, à l’horreur absolue…
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2024/02/une-journaliste-face-a-la-guerre.html
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