La politique, le CAC 40, la cocaïne et puis le silence : Félix Marquardt raconte son stupéfiant destin


Malgré tout, il décroche le bac, puis part aux États-Unis, son eldorado, pour étudier à l’université de Columbia. Enfin, en théorie, car au lieu d’assister aux cours d’histoire ou de philosophie, il refait le monde avec des rappeurs du Bronx et goûte un peu plus aux paradis artificiels. Il revient à Paris sans avoir validé un seul diplôme mais avec des idées plein la tête. Il monte un label musical, produit des groupes de rap, surtout un, Apothéose, dont on n’a pas retrouvé la trace. « Je vendais aussi de l’herbe, mais ça ne pouvait pas marcher car j’étais mon meilleur client. »D’aussi loin qu’il se souvienne, Félix Marquardt a toujours eu le goût de la provocation. À quinze ans, lors du traditionnel déjeuner dominical à la Brasserie Balzar de Saint-Germain-des-Prés, il fait part à sa famille de ses intentions de se convertir à l’Islam, manquant de faire s’étouffer son grand-père allemand. Il se convertira finalement une dizaine d’années plus tard, dans le seul but de convoler avec une femme d’origine tunisienne, comme il l’explique dans son essai Les Nouveaux Nomades (Le Passeur, 2022), usant d’un étonnant imparfait du subjonctif : « Lassé des mariages français, qu’ils fussent campagnards, provinciaux ou parisiens, l’idée qu’on se mariât à Carthage m’enthousiasmait tant qu’elle eût suffi de me convaincre, en dépit de mon agnosticisme, de me convertir en elle-même. » Forte tête, Marquardt séduit aussi vite qu’il agace. Au début des années 2000, il se fait renvoyer de ses jobs successifs : d’abord de Vivendi Universal Publishing, où il était la plume de la PDG Agnès Touraine, puis de L’Oréal, où il a écrit quelques discours pour le big boss Lindsay Owen-Jones. « J’étais trop grande gueule ! » À chaque nouveau travail, il essaie de faire profil bas, mais c’est plus fort que lui. Il prétend avoir ensuite vécu pendant un an et demi du chômage et de petits boulots, allant même jusqu’à récurer des parkings la nuit. Un jour, en ouvrant le Herald Tribune de ses parents, il découvre que le quotidien américain cherche un directeur de la communication pour son siège parisien. Félix Marquardt postule, en ayant pris soin au préalable de truquer son curriculum vitae. Il voulait être journaliste mais sera communicant, c’est dans l’air du temps. Le meilleur de sa génération, se promet-il. À force de coups de fil et de bagout, il réussit à faire inviter Roger Cohen, éditorialiste à l’élégance très british et à l’accent à couper au couteau, dans une émission d’Arlette Chabot sur France  2 pour interviewer en direct le premier ministre Dominique de Villepin. « Un grand coup », se félicite-t-il encore. Son secret ? Organiser des dîners, où il présente les membres du journal à tout le gotha médiatique. Nous y voilà… Les dîners en ville sont pour Félix Marquardt une passion, voire une seconde nature. Mondain dès son plus jeune âge, il recrée avec délice ce qui fut la spécialité de ses parents: de somptueuses tablées où se côtoient des personnalités qui ne se seraient jamais croisées dans un autre contexte. Félix Marquardt a toujours été un caméléon : un soir à un concert avec un rappeur, le lendemain chez le duc de Wellington pour le thé. « Il a cette qualité de passer d’un milieu à un autre, décrit Emmanuel Carrère. C’est quelqu’un d’aussi cosmopolite que chaleureux. » À Davos comme à la maison  Avec la carte de visite du Herald Tribune, il s’introduit au forum économique de Davos, dont il devient rapidement un familier. Il faut le voir en baskets fluos aux pieds et costume trois-pièces partir en pèlerinage chaque année. « Davos, c’était sa Mecque, confirme Emmanuel Carrère, qui l’y a accompagné en 2012. C’était drôle de le voir là-bas, comme un poisson dans l’eau. » Au milieu des montagnes suisses, le jeune communicant papillonne de puissant en puissant, serre des mains à la pelle, récolte des numéros de téléphone, beaucoup de numéros… Comme si son répertoire n’était jamais saturé. Il ne marche pas mais court, bondit, ne ferme pas l’œil durant des nuits, électrisé par l’adrénaline du pouvoir autant que par les psychotropes qu’il absorbe. Il est dans les petits papiers de Klaus Schwab, le fondateur du forum, dont il convoite en secret la place. « Je veux devenir Klaus Schwab », écrit-il un jour sur les réseaux sociaux, avant d’effacer ce message mégalo.