Le gouvernement finance l’industrialisation de la forêt


Quel avenir pour la forêt française ? C’est la question à laquelle Bérangère Abba, secrétaire d’État à la biodiversité, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’industrie et Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, ont souhaité répondre le mercredi 16 mars. Ils présentaient les conclusions des Assises de la forêt et du bois lancées en octobre dernier.

« Le défi le plus important que nous devons collectivement relever est probablement celui de l’adaptation au changement climatique », estimaient alors les ministres de l’Agriculture, du Logement, de la Biodiversité et de l’Industrie.

Le gouvernement finance l’industrialisation de la forêt

Le 16 mars, les ministères ont précisé leurs pistes  : financement de la recherche sur les arbres face au climat et du « renouvellement » forestier (replanter des arbres), améliorer la « résilience des forêts » grâce à la « diversification » (planter plusieurs espèces d’arbres sur la même parcelle), valoriser les certifications environnementales, améliorer la compétitivité de la filière (éviter de se retrouver comme aujourd’hui avec des difficultés d’approvisionnement en bois et fournir la construction bois) et enfin « pérenniser » le dialogue entamé lors de ces Assises. Une partie de ces mesures seraient mises en œuvre dans le cadre du plan France 2030. En octobre dernier, Julien Denormandie avait annoncé que 500 millions d’euros y étaient prévus pour la filière bois-forêt.

Mais ces mesures permettront-elles réellement à la forêt française de faire face à la crise climatique ? Un rapport opportunément publié le même jour par l’association Canopée invite à en douter. Se présentant comme « le bilan caché du plan de relance forestier », il affirme que les plus récents investissements du gouvernement dans la forêt ressemblent plus à un « plan d’adaptation de la forêt aux besoins de l’industrie » qu’à un plan d’adaptation au changement climatique.

« En clôture de ces Assises, on nous dit qu’il faut mettre de l’argent public sur le renouvellement de la forêt.

Nous, on répond  : “Faisons une pause, et regardons comment l’argent a été dépensé ces deux dernières années dans le cadre du plan de relance” », explique Sylvain Angerand, fondateur de Canopée.

Coupes rases et industriels

Le plan de relance décidé par le gouvernement après le premier confinement avait prévu 200 millions d’euros pour la « filière forêt-bois », dont 150 millions pour « renouveler et diversifier forêts dans un contexte de changement climatique ».

Pourtant, d’après Canopée, ces aides publiques ont surtout servi à financer des coupes rases, remplacées par des plantations de résineux ressemblant plutôt à des monocultures qu’à des forêts diversifiées.

Pour son rapport, l’association a interrogé une trentaine d’acteurs de la forêt. Et elle s’est procuré un « bilan intermédiaire » de la Direction générale de la performance économique (DGPE) du ministère de l’Agriculture.

Ainsi, selon ces sources, « 87 % des projets en forêts privées financés par le plan de relance sont des coupes rases suivies de plantation », assure Canopée.

Ces plantations ne sont « pas ou peu diversifiées ». Et l’essence la plus replantée est le pin douglas. Or, « dans la plupart des régions , le douglas n’est pas adapté à un climat qui se réchauffe », déplore Canopée.

Ainsi, « d’importantes surfaces de forêts bien portantes ont été rasées ». Cet « enrésinement » de la forêt irait dans le sens de l’industrie du bois. « En France, les deux tiers de la forêt sont des feuillus.

Or, l’industrie du bois veut des résineux », explique Sylvain Angerand. Ces espèces, poussant plus vite, sont notamment plus rapidement valorisables.

et 1 million d’euros de travaux forestiers sur cette surface. « Les acteurs qui ont un gros portefeuille de clients , comme les grosses coopératives forestières, ont été privilégiés », estime Sylvain Angerand.

Pour l’association, ces critères étaient taillés pour les grosses coopératives forestières  : « Le volet forestier du plan de relance a été négocié dans l’opacité pendant l’été.

Le contenu du plan de relance a été une surprise pour les professionnels de la filière, à l’exception de quelques acteurs comme Fransylva , la direction de l’Office national des forêts (ONF) ou l’Union des coopératives forestières françaises, qui ont été associés à son élaboration de façon plus ou moins étroite. »

Erreurs du passé

Elle s’inquiète des conséquences pour les forêts. « Une coupe rase peut avoir des effets néfastes sur les sols, la biodiversité et les paysages », rappelle-t-elle.

« Elles stoppent net le cycle de la vie et dégradent durablement les écosystèmes », expliquait Reporterre dans un article en 2020. Pour la replantation, Canopée regrette qu’il y ait eu très peu de critères obligeant à une diversité des essences d’arbres  : il n’y en avait aucun pour les parcelles de moins de 10 hectares, qui représentaient 86 % des dossiers . Et même au-delà de 10 hectares, seuls 20 % de diversification étaient demandés.

« En agriculture, il y a un minimum de conditions environnementales pour l’attribution des aides. Pour la forêt, on en est encore à entendre “Ce sont des terrains privés, on sait très bien gérer, ne venez pas nous embêter” », regrette Sylvain Angerand.

Le ministère de l’Agriculture se défend de ces conclusions.

Pour lui, l’importante proportion de douglas est due au fait que le plan a servi à couper les forêts d’épicéas victimes des scolytes. « Des résineux vont venir à la place de résineux, a-t-il expliqué. On peut aussi mettre en lumière ce qui a été fait avec l’ONF.

Dans les forêts domaniales, il y a un très fort niveau de diversification avec plusieurs dizaines d’essences. » Il a également promis que les Assises devaient permettre « d’aller plus loin dans la diversification des essences ».

« Avec le douglas, on reproduit la même erreur »

Reporterre a également fait remarquer que le douglas n’était pas une espèce considérée comme adaptée au changement climatique.

« Il ne fait pas particulièrement partie des essences menacées, a-t-il répondu. Il n’y a pas de réponse absolue. Il faut voir dans chaque territoire, contexte, quelle essence permet de se prémunir du changement climatique.

 »

Avec le douglas, on reproduit la même erreur. »

Plutôt que des fonds pour la replantation, l’association souhaiterait la fin des près de 500 suppressions de postes prévues à l’ONF, afin d’assurer une présence fine sur le terrain, pour une gestion plus durable des forêts.

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Notes

 Toujours selon le bilan intermédiaire obtenu par Canopée.

 Le Fonds forestier national a été créé en 1946 pour encourager le reboisement, comme souhaite le faire le gouvernement aujourd’hui.

Commentaires

16 mars 2022 à 16h30,

Durée de lecture : 8 minutes

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