Thionville. Arthur Kratzer médecin à perpétuité


Il a bossé au centre d’alcoologie de Metz et de Thionville pendant une vingtaine d’années accidentés ou sous traitement, sortant de prison, en proie à des addictions, qui ont besoin de se retaper. « Ça me promène, justifie-t-il. J’aime changer d’endroits. » Le médecin se déplace exclusivement à moto, « sauf quand il neige ».Il ne parvient pas à expliquer pourquoi il a préféré cette voie, soigner ceux qu’on ne voit pas. Le docteur Kratzer ne se pose pas la question d’ailleurs. « C’est un public que j’ai pris l’habitude de fréquenter », répond-il. « Je n’ai jamais postulé à rien, on est toujours venu me draguer », glisse-t-il, amusé.

Pris en otage deux fois

Il s’est fait le cuir auprès des détenus de Queuleu où il avait pris ses quartiers. « On s’épaissit avec le temps », confirme-t-il de sa voix rauque. Il s’est imposé. Il a gagné le respect. Il n’a jamais jugé. Arthur Kratzer s’est notamment occupé de Francis Heaulme. « Un tueur en série ou un pédophile, il aura les mêmes soins. »Ce généraliste hors norme a été pris deux fois en otage par des patients. « Une fille avait avalé de la cire pour parquet. Elle a sorti une fourchette en menaçant de me tuer. Je lui ai répondu qu’il fallait d’abord que j’appelle le centre antipoison », raconte le médecin pénitentiaire. « Dix minutes plus tard, j’ai rangé moi-même la fourchette », poursuit-il. La deuxième fois, il était à son cabinet. « Un patient a sorti un pistolet à grenaille. Il m’a dit qu’il allait tuer quelqu’un aujourd’hui. Il a braqué l’arme sur sa tempe puis sur moi. » Le malade était alcoolisé. « J’ai fini par réussir à lui prendre l’arme, je l’ai rangée dans mon tiroir. J’ai recroisé cet homme plus tard à la prison. Il m’a dit  : “ Je vous avais prévenu que j’allais tuer quelqu’un docteur”. Il a pris 20 ans. »Même s’il ne consulte plus à la maison d’arrêt, son regard soutenu et son sourire contenu ont marqué « les voyous ». « À leur sortie, certains m’ont pris comme médecin. » Un soir, un ancien détenu a essayé de lui piquer son deux-roues à Metz. Il s’est vite ravisé. « Je sortais du resto avec des potes. Il y avait un type sur ma moto. » Le voleur l’a reconnu. Il s’est excusé puis il est parti en le saluant.Le docteur Kratzer – mari, papy, papa de trois filles – lève un peu le pied même s’il n’en voit pas franchement l’intérêt. Il ne le montre pas mais il marche à l’affect, à l’échange, au contact. Quand il a fini, il allume un cigarillo, enfile son blouson, grimpe sur sa moto. Et dire qu’il voulait être véto.