La roue de l’infortune des compteurs électriques


Tous les compteurs de consommation électrique d’ancienne génération, dits « électromécaniques », sont progressivement remplacés par des compteurs numériques « communicants », les fameux Linky. C’est l’occasion de découvrir le principe de fonctionnement de ces nouveaux compteurs, mais aussi, avant leur disparition complète, des anciens. Et répondre à l’obsédante question que beaucoup d’entre nous se sont posée  : qu’est-ce qui fait tourner le disque métallique de ces derniers et pourquoi leur vitesse de rotation rend-elle compte de la consommation électrique ?Dans le principe, rien de plus simple que de déterminer la puissance électrique consommée par un appareil  : elle est le produit à chaque instant de la valeur de la tension électrique (U) à ses bornes par la valeur du courant électrique qui le traverse (I).

En pratique, par exemple pour une lampe, on détermine simultanément la tension à l’aide d’un voltmètre placé en dérivation et le courant qui circule dans l’appareil en insérant dans le circuit un ampèremètre en série. La puissance U x I est alors calculée à la main ou avec une machine. C’est exactement ce que font les compteurs électriques modernes.

La roue de l’infortune des compteurs électriques

Ils sont positionnés entre l’arrivée de la ligne électrique extérieure et l’installation domestique. Deux convertisseurs analogique/numérique traduisent courant et tension en nombres qui sont ensuite multipliés. Dans un compteur Linky, cette opération est effectuée plusieurs milliers de fois par seconde.

L’énergie totale consommée, exprimée en kilowattheures, est alors l’addition de toutes les valeurs mesurées multipliées par la durée qui sépare deux mesures successives. La numérisation facilite grandement la mesure de la puissance. Mais comment les compteurs électromécaniques s’y prenaient-ils pour faire de même, de façon totalement analogique, sans puce électronique ?Vue de l’extérieur, l’opération semble dépendre d’une fine roue métallique dentée dont nous voyons la tranche et qui tourne d’autant plus vite que la consommation électrique est importante.

Pour comprendre comment cela est possible, ouvrons le dispositif.

Un axe vertical traverse la roue métallique en aluminium. Il entraîne le mécanisme de l’afficheur au moyen d’un pignon lorsque le disque tourne.

Aucun contact électrique ne relie le disque au circuit : en revanche, nous pouvons constater la présence d’un aimant fer à cheval dont les pôles encadrent la roue, et des électroaimants constitués de bobines de fil entourant un cœur de fer doux. Il y a donc du magnétisme dans l’air.Par quel principe physique les champs magnétiques créés par ces différents aimants animent-ils le disque ? Par l’intermédiaire de courants électriques induits  : les courants de Foucault.

Ces courants apparaissent dès qu’un conducteur électrique se trouve dans un champ magnétique qui varie au cours du temps. Cela correspond à plusieurs situations  : des électroaimants alimentés par un courant alternatif, le mouvement d’un aimant à proximité d’un conducteur ou, ce qui est rigoureusement équivalent, au mouvement d’un conducteur dans un champ magnétique statique (indépendant du temps) mais inhomogène (qui varie dans l’espace).

Courants induits et freins magnétiques

Une expérience permet de saisir l’essentiel de ce phénomène.

Considérons un conducteur en mouvement par rapport à un aimant. Par exemple, la roue du compteur, qui lorsqu’elle tourne voit une partie de sa périphérie se déplacer dans l’entrefer de l’aimant fer à cheval. Si nous nous déplaçons avec le conducteur (la roue), nous constatons que, sur celui-ci, la région où est présent le champ magnétique se déplace.

À la frontière de cette zone, le champ magnétique évolue rapidement. Par exemple, dans la région où la roue sort de l’entrefer de l’aimant, le champ magnétique diminue jusqu’à s’annuler. Il en résulte dans le conducteur une boucle de courant induit, le courant de Foucault, dont une moitié est dans le champ magnétique de l’aimant et l’autre moitié à l’extérieur.

plus le freinage sera fort.Nous sommes maintenant en mesure d’analyser l’effet des bobines présentes dans le compteur. Comment sont-elles alimentées ? Comme dans le compteur numérique, les fils alimentant ces bobines sont branchés comme l’étaient respectivement le voltmètre et l’ampèremètre.

Le dispositif du bas est constitué de deux bobines réalisées avec un très bon conducteur électrique et très peu d’enroulement (et donc une impédance électrique elle aussi négligeable) autour d’un noyau de fer doux en forme de fer à cheval. Elles sont branchées de façon à être traversées par une partie du courant. Il en résulte deux zones de champ magnétique proportionnelles au courant et de directions opposées.

La bobine du haut est quant à elle composée d’un très grand nombre de tours et est branchée pour prélever la tension. La tension appliquée aux bornes de cette bobine est à l’origine d’un courant électrique. Mais lorsque l’on branche une bobine, le courant n’apparaît pas instantanément  : il croît (ou décroît) proportionnellement à la valeur de la tension.

Le résultat final est donc une zone de champ magnétique située entre les deux zones créées par les bobines du bas, et où le champ magnétique est « déphasé » d’un quart de période par rapport aux deux autres.Que se passe-t-il quand on fait fonctionner un appareil dans notre appartement ? Des champs magnétiques oscillants vont être créés dans trois zones contiguës et qui se superposent partiellement. Si l’on observe la géométrie de ce champ et son évolution dans le temps, on constate qu’il semble avancer d’une zone à l’autre et toujours dans la même direction.

Autrement dit, c’est comme si on déplaçait un aimant à la surface du conducteur. Or de même qu’un aimant fixe freine un conducteur qui bouge, un aimant qui bouge met en mouvement un conducteur. Dans le détail, le mécanisme est le même que celui du freinage  : le courant créé par l’une des zones de champ magnétique subit une force de la part du champ magnétique présent dans la zone adjacente.

On se convainc alors que la force est bien proportionnelle au produit des champs créés dans les zones adjacentes et donc au produit du courant par la tension donc in fine à la puissance. La roue est si légère qu’en permanence cette force motrice est compensée par celle de freinage due à l’aimant fer à cheval  : la vitesse de la roue (respectivement la distance parcourue ou encore le nombre de tours qu’elle effectue) est en fin de compte proportionnelle à la force motrice, c’est-à-dire à la puissance (respectivement à l’énergie consommée). On trouve d’ailleurs la constante de proportionnalité inscrite bien en évidence sur les compteurs anciens.

Il faut faire vite pour les regarder une dernière fois, car déjà plus de 8 Français sur 10 sont équipés du compteur Linky  !

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