Ce vendredi, à la cour d’assises spéciale de Paris, c’était au tour de la famille de Samy Amimour, kamikaze du Bataclan, de témoigner. Le président, Jean-Louis Périès, l’a répété plusieurs fois aux témoins : ce n’est pas eux que l’on juge. « Ce que l’on veut comprendre, c’est comment votre fils en est arrivé là », a dit le magistrat au père de Samy Amimour, Azdyne Amimour.
« Ça s’est passé à vitesse vertigineuse »
À la barre, le retraité de 74 ans, cheveux blancs, crâne dégarni, col roulé et veste beige, semblait comme perdu. « C’est très difficile à expliquer. Il a eu une bonne éducation, un parcours scolaire sans faute », a-t-il déclaré. « Et, après, ça s’est passé à vitesse vertigineuse ». Le vieil homme, qui a vite demandé à s’asseoir sur une chaise, a raconté les premiers changements au lycée de son fils « introverti » : la mosquée, la tenue vestimentaire, la prière. « Je me suis dit » pourquoi pas «, je préfère ça que dealer ». À l’été 2013, prétextant un voyage « dans le Sud » avec des copains, Samy Amimour a rejoint la Syrie. Il a embrassé son père avant. « Ça m’a intrigué », a reconnu ce dernier.Pendant un an, la famille a gardé contact via les réseaux sociaux. Azdyne Amimour, puis sa fille Maya, qui a témoigné après lui, ont raconté des envois de photos de « chatons », leur souci de ne pas le « brusquer ». « Je ne lui ai pas fait la morale, je ne voulais pas qu’il rompe le contact », a dit Azdyne Amimour.A l’écran de l’ordinateur, il a aperçu un jour une Kalachnikov posée contre le mur du cyber-café d’où lui parlait son fils. Samy Amimour a rassuré son père. L’arme n’était pas à lui. « Ce n’est pas fréquent quand même, une Kalachnikov dans un cybercafé ? » a poussé la cour. « Vous ne vous êtes pas inquiété plus que ça ? ». « Si, un peu », a avancé le témoin.
« J’avais l’impression de l’enquiquiner »
À l’été 2014, il a décidé de suivre la trace de son fils. « Pour le récupérer ». Un voyage qu’il avait caché aux enquêteurs après les attentats qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis, a-t-il reconnu devant la cour.De ces « quatre jours » sur place, il assure ne rien tirer – « j’avais l’impression de l’enquiquiner », a déclaré Azdyne Amimour au sujet de son fils qui l’a envoyé « balader » à chaque fois qu’il a essayé de « communiquer ».La cour, le ministère public et les parties civiles l’ont assailli de questions pendant plusieurs heures. Pourquoi n’a-t-il pas coupé internet si son fils se radicalisait en ligne ? Comment expliquer cet « enclenchement vers la violence » d’un garçon décrit comme « gentil et serviable » ? Et en Syrie, qu’a fait son fils ? Et lui, qu’a-t-il vu ? Pourquoi est-il rentré bredouille si vite ?
« Il a été complètement lobotomisé »
Le père a hésité, répondu souvent à côté, s’est emmêlé les pinceaux dans les dates et est parti dans de longues digressions, agaçant ses interlocuteurs. « J’ai essayé », « on n’a jamais pensé au pire »… « Il a été complètement lobotomisé ».« Azdyne Amimour n’est pas responsable des crimes de son fils », a commenté, hors de la salle d’audience, Georges Salines, qui a perdu sa fille au Bataclan. Les deux hommes ont écrit à quatre mains le livre « Il nous reste les mots » et se rendent régulièrement ensemble en prison et dans les écoles pour lutter contre la radicalisation.
« J’ai juste pris ce qu’il me donnait, j’essayais d’exister »
Maya Amimour, 28 ans, a, elle, raconté comment elle avait gardé contact avec ce grand frère qui, d’un coup, s’intéressait à elle. « J’ai juste pris ce qu’il me donnait, j’essayais d’exister », a reconnu, à la barre, cette brune au carré long, grandes lunettes sur le nez, qui avait 20 ans au moment du départ de son aîné.Une avocate des parties civiles a voulu savoir ce qu’elle a ressenti à l’annonce de sa mort au Bataclan. « J’étais en colère », a-t-elle répondu, les mains serrées.
« J’ai honte de passer devant les victimes »
« Ces gens-là sont innocents, ils n’ont pas à s’excuser », a crié à un moment l’un des accusés Mohamed Abrini depuis son box. Maya Amimour tremblait à la barre. « Six ans après je lui en veux toujours. Je suis encore honteuse d’avoir le nom. J’ai honte de passer devant les victimes. Dire que je suis désolée est un euphémisme, il n’y a pas de mots », a-t-elle dit, en pleurs. À sa sortie de la salle d’audience, une partie civile est venue la serrer dans ses bras.Azdyne Amimour, lui, a réfléchi à un autre voyage en Syrie. Lorsque son fils est mort, sa compagne était enceinte de lui et il a appris il y a quelques mois que sa petite-fille était vivante et dans un camp dans le nord du pays. « J’aimerais la retrouver », dit-il doucement se disant prêt à « repartir », « pour voir la petite ».
Le procès des attentats du 13 Novembre 2015Consulter le dossier