Imaginées il y a bien longtemps pour se protéger du soleil, les lunettes noires se sont imposées au 20e siècle comme l’accessoire essentiel de la garde-robe des stars. Certains modèles collent pour toujours à la peau des vedettes qui les portent. Que seraient Audrey Hepburn, Ray Charles, Karl Lagerfeld ou Madonna sans leurs verres teintés ? Qui reconnaîtrait Michel Polnareff sans ses légendaires Télésol (portées d’abord par Sophia Loren) ?
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Mais que se cache-t-il derrière cette industrie lucrative (plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel) et ses marques mythiques (Ray-Ban, Persol, Oakley…) ? Pourquoi et comment porte-t-on des lunettes noires ? Qui les a vraiment inventées ? Quels progrès vont-elles encore accomplir ?
C’est à ces questions et à bien d’autres que Michel Dalloni répond dans un livre-enquête unique en son genre, Lunettes noires (Ed La Tango), qui revisite des pans entiers de l’histoire du cinéma, du rock, de la littérature, de la mode, du sport, de la nuit et de l’érotisme.
Les lunettes noires dans l’histoire
Michel Dalloni nous apprend que les lunettes solaires auraient été en quelque sorte découvertes, au 1er siècle avant JC, par Néron, un peu par hasard. Dérangé par le soleil éblouissant qui se reflète sur le sable de l’arène, il se rend compte que les rayons sont filtrés à travers l’émeraude qu’il a portée à son oeil. Il peut clairement voir le combat du gladiateur. Sans le savoir, il vient de découvrir le verre minéral solaire !
Au moment où l’industrie du tourisme prend son essor, les lunettes solaires cessent de n’avoir qu’une fonction thérapeutique ou préventive, pour devenir un atout mode ou le symbole d’une personnalité. Jusque-là un instrument de protection professionnelle, elles se popularisent. La rue les transforme pour leur donner une autre vocation et à  partir des années 3O, elles deviennent un accessoire de mode.
Le 9 mai 1937 marque l’arrivée des lunettes solaires dans la pop culture, avec la sortie du modèle Aviator, de Ray Ban, qui va devenir très vite assez culte. Il est reconnaissable à sa forme en goutte d’eau, qui correspond exactement au trajet idéal du globe oculaire autour de l’orbite, si on le pouvait le faire tourner. C’est une forme qui répond à une demande de l’armée américaine, qui entendait protéger le regard de ses pilotes envoyés au combat.
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Les lunettes de soleil et le cinéma
C’est une histoire d’amour entre Hollywood et les lunettes solaires. De James Bond à Matrix, en passant par Tom Cruise, les lunettiers ont réussi à faire passer leur placement de produit comme si c’était simplement une caractéristique identitaire de personnages de films.
Les lunettes de soleil doivent beaucoup au cinéma, et sans doute le cinéma doit-il aussi beaucoup aux lunettes de soleil, aussi bien Hollywood que Cinecittà . Dans Divorce à l’italienne dans les années 60, Marcello Mastroianni promeut le magnifique modèle Persol 649, des lunettes de forme papillon extrapolées, qui deviendront iconiques.
Très vite Hollywood suivra. Ray Ban utilisera beaucoup le cinéma pour placer ses produits, comme avec Robert de Niro et ses lunettes Aviator dans Taxi Driver, ou Arnold Schwarzenegger dans Terminator.
« Le cinéma c’est d’abord du regard, le regard du spectateur, le regard de l’acteur vers le spectateur, explique Michel Dalloni. C’est un face-à -face de regards. Et la lunette noire joue un rôle particulier, parce que tout à coup, elle crée du mystère, de la curiosité, de la peur, de l’angoisse, du désir. Et c’est exactement les caractéristiques et la gamme de sentiments que le cinéma cherche à procurer au spectateur. Et donc là , il y a un mariage, qui est un mariage de raison aussi. »
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Les lunettes noires et la musique
Et puis ceux pour qui les lunettes faisaient uniquement partie du show, comme Bob Dylan, Keith Richards, Sting, et enfin ceux dont on connaît à peine les yeux, comme Michel Polnareff.
Il va aussi y avoir un va-et-vient entre l’histoire de la musique et l’histoire des lunettes noires, avec cette façon de faire passer le handicap de départ comme cool. Avec les lunettes noires, on stylise sa silhouette, on donne une allure supplémentaire.
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« Elles deviennent ainsi légendaires ; elles ont ce petit côté bad boy ou bad girl, ce côté rebelle sur lequel elles ont fait fructifier leur image de marque. »
Celui qui a le rapport le plus obsessionnel vis-à -vis des lunettes noires, c’est Elton John. Il aurait une collection de 4000 paires de lunettes dans ses placards, mais il en aurait acheté au total près de 20000 paires et il organise chaque année des ventes aux enchères de charité, pour faire de la place.Â
Les lunettes noires et la télé
Dans les années 80, en France, Lunettes noires pour une nuit blanche, l’émission de Thierry Ardisson, réinvente le genre de l’émission rock et installe cet accessoire comme symbole de la pop culture.
Il scénarise ses auto-interviews à l’aide des lunettes noires : le même personnage pose des questions et y répond, comme Serge Gainsbourg, Alain Juppé, et de nombreuses vedettes. Celui qui pose les questions a les lunettes noires et celui qui répond n’en a pas. Cela donnera lieu à des moments de partage et de sincérité assez rares à la télévision, commente Michel Dalloni.
Thierry Ardisson a aussi posé la lunette noire comme accessoire de reconnaissance tribale dans les boîtes de nuit : on est des stars, on est défoncés… même si on n’y voit rien !
« Mais on joue un rôle. La nuit c’est le moment où toutes les transgressions sont possibles et la lunette noire, qui vous anonymise et vous fait passer pour un autre, est l’accessoire de cette transgression. La lunette noire permet de fabriquer une personnalité, de surligner une personnalité, de pimenter une personnalité. Elle peut être un masque. »Â
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