L’UNESCO et la guerre en Ukraine


La reconstruction de l’Ukraine implique aussi la culture et le patrimoine. Mais dans ce domaine, les efforts restent pour l’instant concentrés dans la protection et la préservation des trésors patrimoniaux. La Presse en a discuté avec Krista Pikkat, directrice Culture et Situations d’urgence à l’UNESCO.

Publié à 0h48

Mis à jour à 6h00

Quelque 260 sites patrimoniaux endommagés, soit 112 sites religieux, 22 églises, 93 bâtiments d’intérêt historique ou artistique, 19 monuments, 12 bibliothèques et une salle d’archives.

Près de 16 mois après l’agression russe, c’est le bilan des dommages causés aux biens patrimoniaux, historiques et culturels en Ukraine, selon un registre tenu par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Début avril, l’institution, une des branches de l’ONU, estimait que les dommages dans ce domaine s’élevaient à 6,9 milliards de dollars américains. Et attention, indique Krista Pikkat, directrice Culture et Situations d’urgence de l’organisme, il ne faut pas uniquement analyser cette situation dans l’angle des dollars ou des débris.

« Il faut voir à la préservation du patrimoine et de la culture en gardant à l’esprit que c’est une question d’identité », dit-elle au cours d’une conversation téléphonique de Paris.

PHOTO DMYTRO KUYZNIETSOV, FOURNIE PAR L’UNESCO
La directrice Culture et Situations d’urgence à l’UNESCO, Krista Pikkat, en mission en 2022 à Borodianka, dans la région de Kyiv

C’est une question d’histoire, de savoir là d’où on vient. De savoir interpréter le présent afin de mieux paver la voie vers l’avenir.

Krista Pikkat, directrice Culture et Situations d’urgence à l’UNESCO

Cette noble façon de voir les choses passe néanmoins par des interventions d’urgence de toutes sortes sur le terrain. Celle de l’UNESCO dans le conflit actuel remonte aux débuts, le 24 février 2022. Certaines actions mises en place au départ se poursuivent. Il faut continuer à préserver et protéger les trésors culturels et patrimoniaux. La reconstruction viendra plus tard.

L’organisme utilise notamment l’imagerie satellitaire pour faire le décompte des sites endommagés. « Nous utilisons différentes sources comme les médias, les médias sociaux et les informations des ministères, mentionne Krista Pikkat. Nous les recoupons avec des observations sur le terrain et aussi les images satellites fournies par l’agence UNOSAT [United Nations Satellite Centre]. »

Les satellites ne peuvent pas tout détecter ajoute Mme Pikkat. « À certains endroits, il y a des fêlures, des petites brisures. Il faut alors aller sur le terrain. »

À la défense d’Odessa

Dès le début de la guerre, des citoyens avisés ont pris l’initiative de protéger les biens culturels et patrimoniaux avec des sacs de sable. Ailleurs, les soldats ukrainiens ont dressé des barricades dans l’espoir de freiner les blindés russes.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
Sacs de sable protégeant le théâtre national académique d’opéra et de ballet d’Odessa en mars 2022, soit dans les premières semaines de la guerre

L’UNESCO a de son côté utilisé un outil diplomatique : une inscription rapide sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. C’est ce que l’organisme international a fait avec le centre historique de la ville d’Odessa, ville baignée par la mer Noire.

La décision a été prise en janvier 2023 à la suite d’un processus d’analyse accéléré. La Russie n’a pas apprécié, qualifiant la décision de « motivation politique », rapportait BBC News à l’époque.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
Monument d’Odessa protégé par des sacs de sable, en mars 2022

Krista Pikkat défend vivement ce classement. « Nous voulions accorder une protection supplémentaire à Odessa dont la valeur culturelle est exceptionnelle, dit-elle. Le but principal, c’était ça. Et il faut savoir que l’UNESCO travaillait bien avant le début de la guerre à la préservation des trésors de la ville. Car, comme ville portuaire, Odessa représentait un défi supplémentaire. »

« Dans le cas [d’Odessa], il y a beaucoup de pression sur celle-ci afin qu’elle grossisse, se modernise. Il y a constamment des décisions à prendre pour assurer un équilibre entre protection du patrimoine et développement », poursuit-elle, ajoutant que son organisme participe à la conférence de Londres, qui se tient depuis mercredi, « pour signaler l’urgence et l’importance de répondre aux urgences culturelles ».

À ce jour, aucun des sites ukrainiens inscrits au patrimoine mondial de l’humanité n’a été touché. « La convention de l’UNESCO ajoute une couche de protection spéciale à ces lieux », dit Mme Pikkat.

PHOTO EFREM LUKATSKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Le bortsch, plat traditionnel ukrainien

Dans un autre dossier, le 1er juillet 2022, l’UNESCO a inscrit le bortsch, plat traditionnel à base de betteraves, au patrimoine immatériel du pays. L’Ukraine avait demandé une accélération du dossier d’évaluation.

Gare aux pillages

L’UNESCO se penche par ailleurs sur des cas de pillage des trésors ukrainiens depuis le début du conflit. « Avec nos partenaires internationaux, nous avons lancé des appels à la vigilance contre le recel et le trafic, dit Mme Pikkat. Nous avons aussi tenu des séances de formation pour des douaniers des pays voisins. »

La représentante de l’ONU estime qu’il serait très délicat pour l’Ukraine d’envoyer ses trésors dans un autre pays, le temps que les canons se taisent. « Sortir les collections du pays est une décision très difficile à prendre, dit-elle. Chaque déplacement implique des risques. »

PHOTO DMYTRO KUYZNIETSOV, FOURNIE PAR L’UNESCO
Buste endommagé du poète et peintre Taras Shevchenko prise à Borodianka

Lorsque La Presse lui raconte l’histoire du trésor polonais envoyé au Canada au début de la Seconde Guerre mondiale et que Maurice Duplessis, anticommuniste notoire, ne voulait pas rendre, elle réplique : « Vous voyez  ! C’est complexe et sensible. »

Mais dans le cas actuel, elle n’a que de bons mots pour le Canada qui, un mois seulement après le début de la guerre, consacrait 4,8 millions pour la protection de sites culturels et patrimoniaux.

« Cette contribution a été très importante dans le sens qu’on nous a donné la liberté d’utiliser l’argent là où nous le jugions le plus urgent, indique Mme Pikkat. Cela a été un exemple de flexibilité. »

Les Occidentaux promettent de faire payer la Russie pour la reconstruction

Les alliés occidentaux de Kyiv ont promis mercredi d’augmenter leur aide financière à l’économie ukrainienne, ravagée par plus d’un an de guerre, mais averti la Russie qu’elle devrait en fin de compte payer pour la reconstruction. Alors que l’Ukraine reconnaît que sa contre-offensive, qui se heurte à une forte résistance de l’armée russe, ne va pas aussi vite qu’espéré, la conférence pour la reconstruction réunit pendant deux jours à Londres plus de 60 pays, institutions internationales et secteur privé. S’exprimant par visioconférence, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a réclamé « des projets concrets » : « Chaque jour d’agression russe apporte de nouvelles ruines, des milliers et des milliers de maisons détruites, des industries dévastées, des vies brûlées ». Le redressement de l’économie ukrainienne a été évalué à 411 milliards de dollars dans une étude récente de la Banque mondiale, l’ONU, l’Union européenne et le gouvernement ukrainien. Une somme appelée à grossir à mesure que le conflit se poursuit.

Agence France-Presse